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sur le grand bras de la riviere de Loire en 1757 & années suivantes. La riviere de Loire se divise à l’entrée de la ville de Saumur en six bras ou canaux sur lesquels sont construits cinq ponts & une arche.

Le mauvais état de ces ponts & principalement de celui construit en bois, situé sur le grand bras de la riviere, ayant détérminé le conseil à en ordonner la reconstruction en pierre, il fut fait en 1753 & 1754 un projet général par le sieur de Voglie, ingénieur du roi en chef pour les ponts & chaussées de la généralité de Tours, par lequel il réduit les six bras à trois, en augmentant néanmoins considérablement le débouché de la riviere.

Ce projet général fut approuvé par le ministre, & la construction du pont sur le grand bras, composé de douze arches de dix toises chacune de diametre, jugée la plus urgente.

L’ingénieur forma les devis & détail des ouvrages à faire pour la construction de ce pont ; il en entama même l’exécution dans le courant de l’année 1756, avec batardeaux & épuisemens, suivant l’usage adopté jusqu’à ce jour ; mais il ne tarda pas à reconnoître les difficultés presqu’insurmontables que devoit occasionner ce travail, par la profondeur de l’eau sous l’étiage, où les basses eaux étoient en quantité d’endroits de 15 à 18 piés : on laisse à juger de la difficulté de trouver des bois propres à la construction des batardeaux, de celle de les mettre en œuvre, & encore plus du peu de solidité de ces mêmes batardeaux, toujours exposés à des crues fortes & fréquentes, ce qui en rendant le succès des épuisemens fort douteux, en auroit augmenté considérablement la dépense, & n’eût jamais permis de descendre les fondations de ce pont à une profondeur suffisante sous l’étiage. L’ingénieur convaincu de tous ces inconvéniens, crut donc devoir recourir à des moyens de construction plus simples, plus sûrs & moins dispendieux, en ne faisant usage ni de batardeaux ni d’épuisemens.

Le succès de deux campagnes & des fondations de trois piles, le suffrage de plusieurs ingénieurs, & l’approbation des inspecteurs généraux des ponts & chaussées nommés par le ministre pour examiner cette nouvelle méthode de fonder, ne laissent aucun doute ni inquiétude tant sur la solidité des ouvrages que sur les avantages & l’économie considérable qui en résultent. On va donner les détails de ces différens moyens imaginés & mis en usage par le sieur de Voglie, ingénieur du roi en chef pour les ponts & chaussées de la généralité de Tours, & par le sieur de Cessart, ingénieur ordinaire des ponts & chaussées au département de Saumur.

Avant cependant d’entrer dans aucun détail sur cette nouvelle méthode, il paroît indispensable de donner une idée de la maniere de construire avec batardeaux & épuisemens, pour mettre toute personne en état de juger plus sûrement de l’une & de l’autre méthode.

Maniere de fonder avec batardeaux & épuisemens. Pour construire un pont, ou tout ouvrage de maçonnerie dans l’eau, soit sur pilotis, soit en établissant les fondations sur un fond reconnu bon & solide, on n’a point trouvé jusqu’à ce jour de moyen plus sûr pour réussir, que celui de faire des batardeaux & des épuisemens. Ces batardeaux ne sont autre chose qu’une enceinte formée de double rang de pieux battus dans le lit de la riviere sur deux files paralleles, de palplanches ou madriers battus jointivement & debout au-devant de chacun desdits rangs de pieux, de terre glaise dans l’intérieur de ces palplanches, & de pieces de bois tranversales qui servent à lier entr’eux les pieux & madriers pour en empêcher l’écartement par la poussée de la glaise. Cette enceinte comprend ordinairement deux piles ; & lorsqu’elle

est exactement fermée, on établit sur le batardeau même un nombre suffisant de chapelets ou autres machines semblables propres à enlever toute l’eau qu’elle contient à la plus grande profondeur possible. Cette opération une fois commencée, ne discontinue ni jour ni nuit, jusqu’à ce que les pieux de fondation sur lesquels la pile doit être assise soient entierement battus au refus du mouton très-pesant, que ces mêmes pieux soient recépés de niveau à la plus grande profondeur possible, & qu’ils soient coëffés d’un grillage composé de fortes pieces de bois recouvertes elles-mêmes de madriers jointifs ; c’est sur ces madriers ou plateformes qu’on pose la premiere assisse en maçonnerie, qui dans tous les ouvrages faits dans la Loire, n’a jamais été mise plus bas qu’à six piés sous l’étiage par la difficulté des épuisemens. Lorsque la maçonnerie est élevée au-dessus des eaux ordinaires, on cesse entierement le travail des chapelets ou autres machines hydrauliques, on démolit le batardeau, & l’on arrache tous les pieux qui le composoient. Cette opération se répete toutes les fois qu’il est question de fonder. On imagine sans peine les difficultés, les dépenses & l’incertitude du succès de ces sortes d’opérations.

Nouvelle méthode de fonder sans batardeaux ni épuisemens. Cette nouvelle façon de fonder consiste essentiellement dans la construction d’un caisson, ou espece de grand bateau plat ayant la forme d’une pile, qu’on fait échouer sur les pieux bien battus & sciés de niveau à une grande profondeur par la charge même de la maçonnerie à mesure qu’on la construit. Les bords de ce caisson sont toujours plus élevés que la superficie de l’eau ; & lorsqu’il repose sur les pieux sciés, les bords, au moyen des bois & assemblages qui les lient avec le fond du caisson, s’en détachent facilement en deux parties en s’ouvrant par les pointes pour se mettre à flot : on les conduit ainsi au lieu de leur destination, & on les dispose de maniere à servir à un autre caisson. Voyez nos Planches & leur explication.

Personne n’ignore que M. de la Belye est le premier qui ait fait avec succès usage d’un pareil caisson pour la construction du pont de Westminster, en le faisant, par le secours des vannes, échouer sur le terrein naturel dragué bien de niveau. Il manquoit à cette ingénieuse invention le mérite de ne laisser aucune inquiétude sur la nature du terrein sur le quel on a fondé, soit par son propre affaissement, soit par les affouillemens toujours redoutables dans les grandes rivieres : l’expérience a même fait connoître que le terrein sur lequel on a fondé le pont de Westminster, quoique jugé très-propre à recevoir les fondations de ce pont sans aucun pilotis, n’étoit point à l’abri de ces affouillemens. Il étoit donc d’autant plus indispensable de chercher des moyens de remédier à cet inconvénient essentiel, que dans l’emplacement du pont de Saumur, la hauteur des sables ou de l’eau est de plus de 18 piés sous l’étiage, & qu’on ne pouvoit se flatter par quelque moyen qu’on mît en usage, d’aller chercher à cette profondeur le terrein qui paroît solide. C’est à quoi l’on a remédié en faisant usage des pieux battus à un refus constant, & les sciant ensuite tous de nouveau à une profondeur déterminée sous la surface des basses eaux, au moyen d’une machine dont on donnera ci-après la description : on commencera par détailler les opérations & ouvrages faits pour remplir le travail qu’on vient d’annoncer, en indiquant en même tems tous les autres moyens de construction dont on a fait usage pour donner à cette nouvelle méthode de fonder la solidité désirable.

Il est bon de prévenir qu’il y a jusqu’à ce jour trois piles construites de cette maniere pendant deux campagnes consécutives ; qu’elles ont toutes 54 piés de longueur d’une pointe à l’autre, sur 12 piés d’épais-