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total est composé, parce qu’il comprend trois sujets déterminés, chacun par l’idée caractéristique de sa nature propre & individuelle. Voici une autre proposition dont le sujet total est pareillement composé en apparence, quoiqu’au fond il soit simple : croire a l’Evangile et vivre en paien, est une extravagance inconcevable ; il semble que croire à l’Evangile soit un premier sujet partiel, & que vivre en païen en soit un second : mais l’attribut ne peut pas convenir séparément à chacun de ces deux prétendus sujets, puisqu’on ne peut pas dire que croire à l’Evangile est une extravagance inconcevable ; ainsi il faut convenir que le véritable sujet est l’idée unique de la réunion de ces deux idées particulieres, & par conséquent que c’est un sujet simple.

Ce que j’appelle ici sujet composé, M. du Marsais le nomme sujet multiple ; & c’est, dit-il, lorsque, pour abréger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens.

Malgré l’exactitude ordinaire de ce savant grammairien, j’ose dire que l’assertion dont il s’agit est une définition fausse ou du-moins hasardée, puisqu’elle peut faire prendre pour sujet multiple ou composé un sujet réellement simple. Quand on dit, par exemple, les hommes sont mortels, on donne, pour abréger, l’attribut commun sont mortels à plusieurs objets différens, & c’est au lieu de dire Pierre est mortel, Jacques est mortel, Jean est mortel, &c. on pourroit donc conclure de la définition de M. du Marsais, que le sujet les hommes est multiple ou composé, quoiqu’il soit simple & avoué simple par cet auteur : un sujet simple, dit-il, est énoncé en un seul mot ; le soleil est levé, sujet simple au singulier ; les astres brillent, sujet simple au pluriel.

Au reste, cette définition n’est pas plus exacte que celle du sujet multiple ou composé : pour s’en convaincre, il ne faut que se rappeller les exemples que j’ai cités des sujets simples ; aucun de ceux qui sont énoncés en plusieurs mots n’est destiné à réunir plusieurs objets différens sous un attribut commun, comme l’exige notre grammairien. C’est qu’en effet la simplicité du sujet dépend & doit dépendre non de l’unité du mot qui l’exprime, mais de l’unité de l’idée qui le détermine.

L’attribut peut être également simple ou composé.

L’attribut est simple, quand il n’exprime qu’une seule maniere d’être du sujet, soit qu’il le fasse en un seul mot, soit qu’il en emploie plusieurs. Ainsi quand on dit, Dieu est éternel ; Dieu gouverne toutes les parties de l’univers ; un homme avare recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage ; être sage avec excès, c’est être fou : les attributs de toutes ces propositions sont simples, parce que chacun n’exprime qu’une seule maniere d’être du sujet : est éternel, gouverne toutes les parties de l’univers, sont deux attributs qui expriment chacun une maniere d’être de Dieu, l’un dans le premier exemple, l’autre dans le second ; recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage, c’est une maniere d’être d’un homme avare ; être fou, c’est une maniere d’être de ce que l’on appelle être sage avec excès.

L’attribut est composé, quand il exprime plusieurs manieres d’être du sujet. Ainsi quand on dit, Dieu est juste et tout puissant, l’attribut total est composé, parce qu’il comprend deux manieres d’être de Dieu, la justice & la toute-puissance.

Les propositions sont pareillement simples ou composées, selon la nature de leur sujet & de leur attribut.

Une proposition simple est celle dont le sujet & l’attribut sont également simples, c’est-à-dire également déterminés par une seule idée totale. Exemples : la

sagesse est précieuse ; la puissance législative est le premier droit de la souveraineté ; la considération qu’on accorde à la vertu est préférable à celle qu’on rend à la naissance.

Une proposition composée est celle dont le sujet ou l’attribut, ou même ces deux parties sont composées, c’est-à-dire déterminées par différentes idées totales.

Une proposition composée par le sujet peut se décomposer en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans le sujet composé, & elles auront toutes le même attribut & des sujets différens. L’Ecriture & la tradition sont les appuis de la saine Théologie : il y a ici deux sujets, l’Ecriture & la tradition ; de-là les deux propositions simples sous le même attribut : 1° l’Ecriture est un appui de la saine Théologie ;la tradition est un appui de la saine Théologie.

Une proposition composée par l’attribut peut se décomposer en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans l’attribut composé ; & elles auront toutes le même sujet & des attributs différens. La plûpart des hommes sont aveugles & injustes : il y a ici deux attributs, sont aveugles & sont injustes ; de-là les deux propositions simples avec le même sujet : 1° la plûpart des hommes sont aveugles ; 2° la plûpart des hommes sont injustes. La décomposition est presque sensible dans cette belle strophe d’Horace, II. Od. 7.

Auream quisquis mediocritatem
Diligit, tutus caret obsoleti
Sordibus tuti, caret invidendâ
Sobrius aulâ.

Une proposition composée par le sujet & par l’attribut peut se décomposer 1° en autant de propositions, avant le même attribut composé qu’il y a d’idées partielles dans le sujet ; 2° chacune de ces propositions elémentaires peut se décomposer encore en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans l’attribut composé en sorte que chacune des idées partielles du sujet composé pouvant être comparée avec chacune des idées partielles de l’attribut composé, & chaque comparaison donnant une proposition simple, le nombre des propositions simples qui sortiront de celle qui est composée par le sujet & par l’attribut, est égal au nombre des idées partielles du sujet composé, multiplié par le nombre des idées partielles de l’attribut composé. Les savans & les ignorans sont sujets à se tromper, prompts à décider & lents à se rétracter : il y a ici deux sujets simples, 1° les savans, 2° les ignorans, & trois attributs simples, 1° sont sujets à se tromper, 2° sont prompts à décider, 3° sont lents à se rétracter ; il en sortira donc deux fois trois ou six propositions simples : en les comparant entre elles par le sujet, trois auront pour sujet commun l’un des deux sujets élémentaires, & partageront entre elles les trois attributs ; trois autres auront pour sujet commun l’autre sujet élémentaire & partageront de même les trois attributs : si on les compare par l’attribut, deux auront pour attribut commun le premier attribut élémentaire, deux autres auront le second attribut, les deux dernieres le dernier attribut ; & les deux qui auront un attribut commun partageront entre elles les deux sujets.

1°. Les savans sont sujets à se tromper.
2°. Les savans sont prompts à se décider.
3°. Les savans sont lents à se rétracter.
4°. Les ignorans sont sujets à se tromper.
5°. Les ignorans sont prompts à se décider.
6°. Les ignorans sont lents à se rétracter.

Jusqu’ici je n’ai donné d’exemples de propositions composées que de celles que les Logiciens appellent