Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus d’impression dans les affaires mêmes les plus importantes, par une raillerie agréable, que par les meilleures raisons. Meliora sunt vulnera amici, quam fraudulenta oscula inimici. Les coups d’un ami valent mieux que les baisers trompeurs d’un ennemi.

On peut traiter ici une question qui est de savoir s’il est toujours nécessaire que dans ces propositions le positif du comparatif convienne à tous les deux membres de la comparaison : & s’il faut, par exemple, supposer que deux choses soient bonnes, afin de pouvoir dire que l’une est meilleure que l’autre.

Il semble d’abord que cela devroit être ainsi ; mais l’usage y est contraire. L’Ecriture elle-même se sert du mot de meilleur, non-seulement en comparant deux biens ensemble : melior est sapientia quàm vires, & vir prudens quàm fortis, mais aussi en comparant un bien à un mal : melior est patiens arrogante. Et même en comparant deux maux ensemble : melius est habitare cum dracone, quàm cum muliere litigiosâ.

La raison de cet usage est qu’un plus grand bien est meilleur qu’un moindre, parce qu’il a plus de bonté qu’un moindre bien ; or par la même raison on peut dire en quelque façon qu’un bien est meilleur qu’un mal, parce que ce qui a de la bonté en a plus que ce qui n’en a point ; & on peut dire aussi qu’un moindre mal est meilleur qu’un plus grand mal, parce que la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté, que ce qui est plus mauvais.

Les inceptives & les désitives sont composées dans le sens, parce que, lorsqu’on dit qu’une chose a commencé ou cessé d’être telle, on fait deux jugemens : l’un de ce qu’étoit cette chose avant le tems dont on parle, & l’autre de ce qu’elle est depuis. Voyez la logique du Port-royal.

Avant de finir ce qui concerne les propositions, il ne sera pas hors de propos d’examiner ce qu’on entend ordinairement par proposition frivole.

Les propositions frivoles sont celles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale, & qui n’apporte aucune instruction dans l’esprit. Telles sont 1°. les propositions identiques. Par propositions identiques, j’entends seulement celles où le même terme emportant la même idée, est affirmé de lui-même. Tout le monde voit que ces sortes de propositions, malgré l’évidence qui les accompagne, ne sont d’aucune ressource pour acquérir de nouvelles connoissances. Répétez, tant qu’il vous plaira, que la volonté est la volonté, la loi est la loi, le droit est le droit, la substance est la substance, le corps est le corps, un tourbillon est un tourbillon, vous n’en êtes pas plus instruit. C’est une imagination tout-à-fait ridicule de penser, qu’à la faveur de ces sortes de propositions, on répandra de nouvelles lumieres dans l’entendement, ou qu’on lui ouvrira un nouveau chemin vers la connoissance des choses. L’instruction consiste en quelque chose de bien différent. Quiconque veut entrer lui-même, ou faire entrer les autres dans des vérités qu’il ne connoit point encore, doit trouver des idées moyennes, & les ranger l’une après l’autre dans un tel ordre, que l’entendement puisse voir la convenance ou la disconvenance des idées en question. Les propositions qui servent à cela, sont instructives, mais elles sont bien différentes de celles où l’on affirme le même terme de lui-même, par où nous ne pouvons jamais parvenir, ni faire parvenir les autres à aucune espece de connoissance. Cela n’y contribue pas plus, qu’il serviroit à une personne qui voudroit apprendre à lire, qu’on lui inculquât ces propositions : un A est un A, un B est un B, &c. & qu’un homme peut savoir aussi bien qu’aucun maître d’école, sans être pourtant jamais capable de lire un seul mot durant tout le cours de sa vie.

2°. Une autre espece de propositions frivoles, c’est

quand une partie de l’idée complexe est affirmée du nom du tout, ou ce qui est la même chose, quand on affirme une partie d’une définition du mot défini. Telles sont toutes les propositions, où le genre est affirmé de l’espece, & où des termes plus généraux sont affirmés de termes qui le sont moins. Car quelle instruction, quelle connoissance produit cette proposition, le plomb est un métal, dans l’esprit d’un homme qui connoît l’idée complexe, qui est signifiée par le mot de plomb ? Il est bien vrai, qu’à l’égard d’un homme qui connoît la signification du mot de métal, & non pas celle du mot de plomb, il est plus court de lui expliquer la signification du mot de plomb, en lui disant que c’est un métal (ce qui désigne tout-d’un-coup plusieurs de ses idées simples) que de les compter une à une, en lui disant que c’est un corps fort pesant, fusible, & malléable.

C’est encore se jouer sur des mots, que d’affirmer quelque partie d’une définition du terme défini, ou d’affirmer une des idées dont est formée une idée complexe, du nom de toute l’idée complexe, comme tout or est fusible ; car la fusibilité étant une des idées simples qui composent l’idée complexe que le mot or signifie, affirmer du mot or ce qui est déja compris dans sa signification reçue, qu’est-ce autre chose que se jouer sur des sons ? On trouveroit beaucoup plus ridicule d’assurer gravement, comme une vérité fort importante, que l’or est jaune ; mais je ne vois pas comment c’est une chose plus importante de dire que l’or est fusible, si ce n’est que cette qualité n’entre point dans l’idée complexe dont le mot or est le signe dans le discours ordinaire. De quoi peut-on instruire un homme, en lui disant ce qu’on lui a déja dit, ou qu’on suppose qu’il sait auparavant ? Car on doit supposer que j’ai la signification du mot dont un autre se sert en me parlant, ou bien il doit me l’apprendre. Que si je sai que le mot or signifie cette idée complexe de corps jaune, pesant, fusible, malléable, ce ne sera pas m’apprendre grande chose, que de réduire ensuite cela solemnellement en une proposition, & de me dire gravement, tout or est fusible. De telles propositions ne servent qu’à faire voir le peu de sincérité d’un homme, qui veut me faire accroire qu’il dit quelque chose de nouveau, en ne faisant que repasser sur la définition des termes qu’il a déja expliqués ; mais quelques certaines qu’elles soient, elles n’emportent point d’autre connoissance que celle de la signification même des mots.

En un mot, c’est se jouer des mots que de faire une proposition qui ne contienne rien de plus que ce qui est renfermé dans l’un des termes, & qu’on suppose être déja connu de celui à qui l’on parle, comme un triangle a trois côtés, ou le safran est jaune ; ce qui ne peut être souffert que lorsqu’un homme veut expliquer à un autre les termes dont il se sert, parce qu’il suppose que la signification lui en est inconnue, ou lorsque la personne avec qui il s’entretient lui déclare qu’elle ne les entend point ; auquel cas il lui enseigne seulement la signification de ce mot, & l’usage de ce signe.

Il y a donc deux sortes de propositions dont nous pouvons connoître la vérité avec une entiere certitude ; l’une est de ces propositions frivoles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale & qui n’apporte aucune instruction dans l’esprit. En second lieu, nous pouvons connoître la vérité de certaines propositions, qui affirment quelque chose d’une autre qui est une conséquence nécessaire de son idée complexe, mais qui n’y est pas renfermée, comme que l’angle extérieur de tout triangle est plus grand que l’un des angles intérieurs opposés ; car comme ce rapport de l’angle extérieur à l’un des angles intérieurs opposés ne fait point partie de l’idée complexe qui