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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/573

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aux femmes de verser des larmes après cette funeste journée ; enfin, le sénat refusa de racheter les prisonniers, & envoya les miserables restes de l’armée faire la guerre en Sicile, sans récompense, ni aucun honneur militaire, jusqu’à ce qu’Annibal fût chassé d’Italie.

Les conquêtes même d’Annibal commencerent à changer la fortune de cette guerre. Il n’avoit pas été envoyé en Italie par les magistrats de Carthage ; il recevoit très-peu de secours, soit par la jalousie d’un parti, soit par la trop grande confiance de l’autre. Pendant qu’il resta avec son armée réunie, il battit les Romains ; mais lorsqu’il fallut qu’il mît des garnisons dans les villes, qu’il défendît ses alliés, qu’il assiégeât les places, ou qu’il les empêchât d’être assiégées, ses forces se trouverent trop petites ; & il perdit en détail une grande partie de son armée. Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces : elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces.

Comme les Carthaginois en Espagne, en Sicile, & en Sardaigne, n’opposoient aucune armée qui ne fut malheureuse ; Annibal, dont les ennemis se fortifioient sans cesse, se vit réduit à une guerre défensive. Cela donna aux Romains la pensée de porter la guerre en Afrique : Scipion y descendit. Les succès qu’il y eut obligerent les Carthaginois à rappeller d’Italie Annibal, qui pleura de douleur, en cédant aux Romains cette terre, où il les avoit tant de fois vaincus. Tout ce que peut faire un grand homme d’état & un grand capitaine, Annibal le fit pour sauver sa patrie ; n’ayant pu porter Scipion à la paix, il donna une bataille, où la fortune sembla prendre plaisir à confondre son habileté, son expérience & son bon sens.

Carthage reçut la paix, non pas d’un ennemi, mais d’un maître : elle s’obligea de payer dix mille talens en cinquante années, à donner des ôtages, à livrer ses vaisseaux & ses éléphans ; & pour la tenir toujours humiliée, on augmenta la puissance de Masinisse son éternel ennemi.

Enfin les Romains se rappellant encore le souvenir des batailles de Trasymene & de Cannes, résolurent de détruire Carthage. Ce fut le sujet de la troisieme guerre punique. Le jeune Scipion, fils de Paul Emile, & qui avoit été adopté par Scipion, fils de l’Africain, démolit cette ville superbe, qui avoit osé disputer avec Rome de l’empire du monde. On en dispersa les habitans, & Carthage ne fut plus qu’un vain nom.

Cette ville ruinée éleva le cœur des Romains, qui n’eurent plus que de petites guerres & de grandes victoires, au lieu qu’auparavant ils avoient eu de petites victoires, & de grandes guerres. Bientôt ils soumirent l’orient & l’occident, portant jusques chez les peuples les plus barbares la crainte de leurs armes & le respect de leur puissance. Leurs mœurs changerent avec la fortune : le luxe de l’Orient passa à Rome avec les dépouilles des provinces. La douceur de vaincre & de dominer, corrompit cette exacte probité, auparavant estimée par leurs ennemis même. L’ambition prit la place de la justice dans leurs entreprises : une sordide avarice & la rapine succéderent à l’intérêt du bien public ; les guerres civiles s’allumerent, & l’état devint la proie du citoyen le plus ambitieux & le plus hardi. (D. J.)

Punique, pierre, (Hist. nat.) lapis punicus, nom donné par quelques auteurs à une pierre spongieuse, qui, pulvérisée, étoit un remede contre les maladies des yeux : il paroît que ce nom vient par corruption de pumex, pierre-ponce.

PUNIR, CHATIER, (Synon.) on châtie celui qui a fait une faute, afin de l’empêcher d’y retomber ; on veut le rendre meilleur. On punit celui qui a fait un crime, pour le lui faire expier ; on veut qu’il serve d’exemple.

Les peres châtient leurs enfans ; les juges font punir les malfaiteurs. Le châtiment dit une correction, mais la punition ne dit précisément qu’une mortification faite à celui qu’on punit. Il est essentiel, pour bien corriger, que le châtiment ne soit ni ne paroisse être l’effet de la mauvaise humeur. Les lois doivent proportionner la punition au crime ; celui qui vole ne doit pas être puni comme l’assassin.

Le mot de châtier, porte toujours avec lui une idée de subordination, qui marque l’autorité, ou la supériorité de celui qui châtie sur celui qui est châtié. Mais le mot de punir n’enferme point cette idée dans sa signification ; on n’est pas toujours puni par ses supérieurs ; on l’est quelquefois par ses égaux, par soi-même, par ses inférieurs, par le seul événement des choses, par le hazard, ou par les suites même de la faute qu’on a commise.

Les parens que la tendresse empêche de châtier leurs enfans, sont souvent punis de leur folle amitié par l’ingratitude & le mauvais naturel de ces mêmes enfans.

Il n’est pas d’un bon maître de châtier son éleve pour toutes les fautes qu’il fait ; parce que les châtimens trop fréquens contribuent moins à corriger du vice, qu’à dégoûter de la vertu. La conservation de la société étant le motif de la punition des crimes, la justice humaine ne doit punir que ceux qui la dérangent, ou qui tendent à sa ruine.

Il est du devoir des ecclésiastiques de travailler à l’extirpation du vice par la voie de l’exhortation & de l’exemple ; mais ce n’est point à eux à châtier, encore moins à punir le pécheur. Girard.

Châtier & punir ont à-peu-près le même sens au figuré ; mais châtier se prend aussi pour corriger, polir un ouvrage ; le style de la Fontaine n’est pas toujours châtié, mais ses négligences sont aimables.

PUNITION, s. f. (Jurisprud.) est l’action de punir quelqu’un. La punition des crimes & délits appartient au juge criminel ; celle des faits de police aux officiers de police ; celle des contraventions à la loi en matiere civile appartient aux juges civils.

On appelle punition exemplaire celle qui emporte quelque peine severe qui s’exécute en public pour servir d’exemple. Voyez Peine. (A)

Punitions militaires, (Hist. anc.) peines infligées aux généraux ou aux soldats qui n’ont pas fait leur devoir. Parmi les anciens, quelques nations ont porté ces punitions jusqu’à la barbarie, d’autres se sont contenues à cet égard dans les bornes d’une juste sévérité. Les Carthaginois faisoient crucifier les généraux qui avoit été défaits, & ceux même qui n’avoient pas pris toutes les mesures imaginables pour réussir. Chez les Gaulois, le soldat qui arrivoit le dernier de tous en rendez-vous général de l’armée, étoit mis à mort par les plus cruels supplices. Les Grecs & les Romains, quoique très-séveres, ne porterent point les punitions à cet excès.

A Athènes, le refus de porter les armes étoit puni par un interdit public, ou une espece d’excommunication, qui fermoit au coupable l’entrée aux assemblées du peuple & aux temples des dieux. Mais jetter son bouclier pour fuir, quitter son poste, déserter, c’étoient autant de crimes capitaux, & punis de mort. A Sparte, c’étoit une loi inviolable de ne jamais prendre la fuite, quelque supérieure en nombre que pût être l’armée ennemie, de ne jamais quitter son poste, ni de rendre les armes. Quiconque avoit manqué contre ces regles, étoit diffamé pour toujours, exclus de toutes sortes de charges & d’emplois, des assemblées & des spectacles. C’étoit un deshonneur que de s’allier avec eux par les mariages, & on leur faisoit des outrages en public, sans qu’ils pussent reclamer la protection des lois.

Chez les Romains les punitions militaires étoient toujours proportionnées aux infractions de la disci-