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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/597

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tre cela il faut faire de fort grands pas, parce que les trous sont éloignés de six paumes l’un de l’autre. Cette montée, qu’on ne peut regarder sans admiration, peut passer pour ce qu’il y a de plus considérable dans les pyramides. Les pierres qui en font les murailles, sont unies comme une glace de miroir, & si bien jointes les unes aux autres, qu’on diroit que ce n’est qu’une seule pierre. Il en est de même du fond où l’on marche, & la voute est superbe.

Ce chemin, qui conduit à la chambre des sépulcres, persuade que ce n’est point là qu’étoit la véritable entrée de la pyramide : il faut que celle qui conduisoit à cette chambre soit plus aisée & plus large ; car si les pyramides étoient les tombeaux des anciens rois, il faut qu’on ait ménagé une route plus commode pour y porter les cadavres ; & comment les faire passer par un chemin où l’on ne peut marcher qu’en grimpant ? Si nous en croyons Strabon, on entroit dans la grande pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet. A quarante stades de Memphis, dit-il, il y a une roche sur laquelle ont été bâties les pyramides & les monumens des anciens rois… L’une de ces pyramides est un peu plus grande que les autres ; sur son sommet il y a une pierre qui pouvant être aisément ôtée, découvre une entrée qui mene par une descente à yis jusqu’au tombeau : ainsi on pourroit avoir élevé cette tombe par le moyen de quelque machine, sur le haut de la pyramide, avant que les pierres qui la couvrent y fussent posées, & l’avoir fait descendre ensuite dans la chambre.

Au bout de la montée on entre dans cette chambre ; on y voit un sépulcre vuide taillé d’une seule pierre qui, lorsqu’on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois piés & un pouce ; la hauteur de trois piés & quatre pouces, & la longueur de sept piés & deux pouces. La pierre dont il est fait a plus de cinq pouces d’épaisseur ; elle est extraordinairement dure, bien polie, & ressemble à du porphyre. Les murailles de la chambre sont aussi incrustées de cette pierre.

Le sépulcre est tout nud, sans couverture, sans balustrade, soit qu’il ait été rompu, ou qu’il n’ait jamais été couvert. Le roi qui a fait bâtir cette pyramide, n’y a jamais été enterré. D’anciens auteurs disent que le fondateur de cette pyramide étoit Chemmis. Diodore de Sicile, en parlant de ce prince & de Cephren, qui a fait construire une des autres pyramides, dit que quoique ces deux rois ayent fait élever ces deux superbes monumens pour en faire leur sépulcre, il est vrai néanmoins qu’aucun d’eux n’y a été enterré.

Pour visiter la pyramyde en-dehors, on monte en reprenant de tems en tems haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté du nord, qui est l’endroit où l’on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre quarrée où il n’y a rien à voir, & qui ne sert qu’à se reposer, ce qui n’est pas inutile. Quand on est parvenu au haut, on se trouve sur une plate-forme, d’où l’on a une agréable vûe sur le Caire & sur toute la campagne des environs, sur d’autres pyramides qu’on découvre, & sur la mer, que l’on a à main gauche.

La plate-forme qui, à la regarder d’en bas, semble finir en pointe, est de dix ou douze grosses pierres, & elle a à chaque côté qui est quarré seize à dix-sept piés. Quelques-unes de ces pierres sont un peu rompues ; & la principale de toutes, sur laquelle étoit la plûpart des noms de ceux qui avoient pris la peine de monter au haut de cette pyramide, a été jettée en bas par quelques voyageurs.

On ne peut descendre autrement que par le dehors ; quand on a bâti la pyramide on a tellement disposé les pierres les unes sur les autres, qu’après en

avoir fait un rang avant que d’en poser un second, on a laissé un espace à se pouvoir tenir dessus, ou du moins suffisant pour asseoir les piés fermes. Le Brun dit avoir compté deux cens dix rangs de pierre, les unes hautes de quatre paumes, les autres de cinq, & quelques-unes de six. Quant à la largeur, quelques-unes ont deux paumes, d’autres trois ; d’où il est aisé de comprendre qu’il doit être difficile de les monter.

Il est néanmoins encore plus mal-aisé de descendre, car quand on regarde du haut en bas, les cheveux dressent à la tête. C’est pourquoi le plus sûr est de descendre à reculons, & de ne regarder qu’à bien poser les piés à mesure que l’on descend. D’ailleurs de toutes les pierres dont la grande pyramide est faite, il n’y en a presque point qui soient entieres ; elles sont toutes rongées par le tems, ou écornées par quelqu’autre accident : de sorte que quoiqu’on puisse monter de tous côtés jusqu’à la plate-forme, on ne trouve pourtant pas la même facilité à descendre.

En mesurant cette pyramide d’un coin à l’autre par le devant, le P. Vansleb a trouvé qu’elle avoit trois cens pas ; & ensuite ayant mesuré la même face avec une corde, il a trouvé cent vingt-huit brasses, qui font sept cens quatre piés. L’entrée n’est pas au milieu : le côté du soleil couchant est plus large d’environ soixante piés. La hauteur de la pyramide, en la mesurant par-devant avec une corde, est, selon la même voyageur, de cent douze brasses, chacune de cinq piés & demi, ce qui revient à six cens seize piés. On ne peut pas néanmoins dire de combien elle est plus large que haute, parce que le sable empêche qu’on ne puisse mesurer le pié. Le côté de cette pyramide qui regarde le nord, est plus gâté que les autres, parce qu’il est beaucoup plus battu du vent du nord, qui est humide en Egypte.

La seconde pyramide ne peut être vûe que par-dehors, parce qu’on n’y peut entrer, étant entierement fermée. On ne peut pas non plus monter au haut, parce qu’elle n’a point de degrés comme celle qui vient d’être décrite. De loin, elle paroît plus haute que la premiere, parce qu’elle est bâtie dans un endroit plus élevé ; mais quand on est auprès, on se détrompe. M. Thevenot donne à chaque face six cens trente-un piés. Elle paroît si pointue, qu’on diroit qu’un seul homme ne sauroit se tenir sur son sommet. Le côté du nord est aussi gâté par l’humidité.

La troisieme est petite, & de peu d’importance. On croit qu’elle a été autrefois revêtue de pierres, & semblables à celles du tombeau qui est dans la premiere pyramide. Ce qui donne lieu de le penser, c’est qu’on trouve aux environs une grande quantité de semblables pierres.

Pline parlant de ces pyramides, dit que celle qui est ouverte fut faite par 370000 ouvriers dans l’espace de 20 ans.

Au devant de chacune de ces pyramides on voit encore des vestiges de bâtimens quarrés qui semblent avoir été autant de temples ; & à la fin du prétendu temple de la seconde pyramide, il y a un trou par lequel quelques-uns croient qu’on descendoit du temple pour entrer dans l’idole, qui est éloignée de quelques pas de ce trou. Les Arabes appellent cette idole Abul-houl, c’est-à-dire pere Colomne. Pline la nomme Sphinx, & dit qu’elle servit de tombeau au roi Amasis. Il n’y a pas de difficulté à croire que ce Sphinx ait pu être un tombeau, parce que, premierement, il est dans un lieu qui étoit anciennement un cimetiere, & auprès des pyramides & des grottes, qui n’étoient autre chose que des tombeaux.

En second lieu, on le juge aussi de sa forme. Ce Sphinx a par-derriere une cave sous terre, d’une largeur proportionnée à la hauteur de la tête, & qui n’a pu servir qu’à y mettre le corps de quelque per-