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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/687

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Enfin les quartiers des troupes dans les places sont celles qui leur sont assignées pour garnison. Voyez Garnison.

Lorsque les armées sont nombreuses, on est obligé pour la commodité des subsistances de les séparer en plusieurs parties quand la saison devient fâcheuse, & de les établir en différens lieux qui forment autant de quartiers. Ils doivent être disposés de maniere qu’ils mettent le pays en sûreté & qu’ils se soutiennent réciproquement.

Chaque général d’armée fait ensorte d’être le dernier à prendre ses quartiers, parce que celui qui tient plus long-tems la campagne peut trouver l’occasion de tenter quelque entreprise sur son ennemi. On peut encore différer de prendre ses quartiers par une autre considération ; c’est lorsque les troupes qu’on commande sont plus propres à soutenir les rigueurs & les incommodités de la saison que celles de l’ennemi. En l’obligeant de tenir son armée ensemble, malgré l’intempérie du tems, on lui fait perdre beaucoup de monde par les maladies qui en résultent, tandis que les soldats qu’on a sous ses ordres étant plus robustes & plus accoutumés à souffrir les injures de l’air, ne s’en ressentent presque point.

Lorsque de part & d’autre les troupes sont nées à peu près sous le même climat, comme dans ce cas elles souffriroient également du froid, on prend ordinairement des deux côtés, vers la fin du mois d’Octobre, ou lorsque les fourrages commencent à manquer, le parti de se retirer pour prendre chacun ses quartiers.

L’armée devant trouver dans les quartiers le repos dont elle a besoin, on les choisit de maniere que les troupes ne soient point obligées d’être toujours sous les armes pour se garantir des entreprises de l’ennemi ; il faut d’ailleurs qu’ils soient assez sûrs pour qu’une petite partie des troupes suffise pour les garder, & qu’ils couvrent le pays que l’on veut conserver.

Une bonne disposition à cet égard demande beaucoup d’intelligence & de connoissances dans celui qui la dirige ; il faut qu’il soit parfaitement instruit de tout ce qui concerne le pays ; qu’il ait égard aux circonstances dans lesquelles l’armée peut se trouver ; qu’il ait attention au plus ou moins d’affection des habitans, aux forces de l’ennemi, au caractere du général qu’il a en tête, à la nature de ses troupes, & enfin qu’il juge de tous les événemens qui peuvent arriver pour tâcher de les prévenir par la sagesse de ses dispositions. On ne peut sur ce sujet donner que des regles très-générales ; mais le génie & la science de la guerre doivent y suppléer. Voici celles que prescrit Montécuculi.

Il faut, selon ce célebre général, fortifier un camp pour tenir les troupes en sûreté auprès de quelque grande ville marchande ou de quelque riviere, afin de couvrir le pays ; ou bien il faut, & c’est l’usage le plus ordinaire, les distribuer par grosses troupes dans les lieux serrés & voisins, afin que les quartiers puissent se soutenir les uns & les autres.

On doit encore, ajoute ce grand capitaine, couvrir le voisinage des quartiers par des forts, des rivieres, des montagnes, des passages où l’on met des gardes de cavalerie, tant pour avertir quand l’ennemi vient, que pour empêcher qu’il ne puisse faire des courses avec de petits partis, ou pour lui couper les vivres derriere & harceler son arriere garde s’il entreprenoit de passer en grand corps. Il faut aussi serrer les vivres des environs dans des lieux fermés.

L’évidence de ces principes est manifeste. Ce sont à peu près les mêmes que ceux que M. le maréchal de Puysegur donne dans son livre de l’art de la guerre. Il y ajoute seulement, 1°. qu’il faut choisir un lieu dont l’assiette puisse être avantageuse pour le champ de bataille où les troupes doivent se rendre au premier signal.

Et 2°. que ce champ de bataille soit placé de maniere que toutes les troupes puissent s’y rendre longtems avant l’ennemi. Il s’agit pour cet effet de calculer le tems nécessaire aux troupes des quartiers les plus éloignés, & d’examiner s’il est plus court que celui que l’ennemi doit employer pour s’y transporter ; joignant à cette attention des patrouilles ou de petits partis qui rodent continuellement du côté de l’ennemi pour éclairer ses démarches, beaucoup d’exactitude dans le service, & surtout des espions sûrs & fideles, on se met par-là à l’abri des surprises.

Les quartiers peuvent être pris dans le pays ennemi ou sur la frontiere de celui dont on est maître, & dans les provinces voisines. Leur disposition dans le premier cas exige encore plus de précautions que dans le second.

Il est essentiel d’avoir vers le centre des quartiers une espece de place forte capable de protéger, comme le dit Montecuculi, le champ de bataille, & de donner même une retraite aux troupes dans la circonstance d’un événement malheureux. Cette place doit renfermer les principaux magasins de l’armée & les gros équipages de l’artillerie. Comme on ne trouve pas dans tous les pays des places en état de défenses, le premier devoir du général qui regle les quartiers, est d’en former une de cette espece ; le travail nécessaire pour cet effet, n’est ni long ni dispendieux, on en donne une idée dans le troisieme volume des élemens de la guerre des sieges, seconde édition.

Une place quelque mauvaise qu’elle soit étant réparée avec quelques soins, peut braver les efforts de l’ennemi pendant un tems considérable, sur-tout dans la saison de l’hiver où le mauvais tems empêche le transport des grosses pieces de batterie, ou si la terre est gelée elle se refuse entierement aux travaux des approches. On dira peut-être qu’il y a des exemples de plusieurs places de cette nature qui ont été attaquées & prises pendant l’hiver ; mais nous répondrons à cela que si ceux qui étoient dans ces places avoient été vigilans & habiles dans la défense, l’événement auroit été vraisemblablement différent ; car ce ne sont ni les murailles, ni en général les fortifications qui défendent les places, mais les hommes qui sont dedans. Il faut joindre à la bonté des places le génie, l’intelligence & la bravoure de leurs défenseurs, sans quoi il y a peu de secours à attendre des meilleures fortifications.

Indépendamment de la place d’armes ou du lieu d’assemblée pour les quartiers en cas de besoin, il faut occuper & même mettre en état de défense tous les principaux endroits les plus près de l’ennemi, & tous ceux qui pourroient lui servir d’entrée pour pénétrer dans l’intérieur des quartiers : cet objet mérite toute l’attention des officiers qui ont le commandement de ces différens postes.

On n’est jamais surpris à la guerre que par sa faute, personne ne doute de cette vérité ; mais on croit souvent éluder le blâme qui en résulte, en prétendant qu’un officier sur lequel on se reposoit n’a point fait son devoir. Cette excuse paroît assez foible : car comme les chefs doivent connoître le mérite des officiers qui sont sous leur commandement, ils ne doivent jamais leur confier des emplois au-dessus de leur portée ; s’ils se trompent à cet égard, on ne peut s’en prendre qu’à leur peu de discernement, & par conséquent il est assez juste qu’ils partagent une partie de la faute qu’ils ont donné lieu de faire ; c’est le moyen de les empêcher de donner le commandement des postes importans à l’amitié ou à la sollicitation. Au reste un officier qui commande dans un poste qu’il est absolument essentiel de conserver, doit avoir ordre de s’y défendre jusqu’à la derniere extrémité ; il ne doit capituler ou l’abandonner que sur des ordres formels & par écrit du général.