Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est-elle peuplée de beaucoup de familles nobles ; elle est entourée d’une muraille à l’antique, flanquée de tours, & munie d’un fossé. Cette ville se donna en 1347 à Amédée de Savoye, nommé le comte verd, & à Jacques de Savoye son cousin, appellé le prince d’Achaïe. On y compte environ dix mille ames, & la ville est gouvernée par un lieutenant du souverain, comme prince de Piémont. Long. 25. 26. lat. 44. 52. (D. J.)

QUIETIS FANUM, (Antiq. rom.) temple consacré au repos, dont Rome avoit fait une divinité. Il étoit hors de la porte Colline, dans le chemin nommé via lavicana, selon Tite-Live.

QUIETISTES, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom donné en divers tems à plusieurs sectes d’hérétiques contemplatifs & mystiques, défenseurs des sentimens détaillés au mot quiétisme, & sur-tout dans ces derniers tems aux disciples de Michel Molinos. Voyez Molinosisme & Quiétisme.

QUIÉTISME, s. m. (Hist. des sect. mod.) ou mysticisme ; doctrine dont le principal point est que l’on doit s’anéantir soi-même pour s’unir à Dieu, & demeurer ensuite dans une parfaite quiétude, c’est-à-dire dans une simple contemplation sans faire aucune réfléxion, & sans se troubler en aucune sorte de ce qui peut arriver dans le corps. Molinos (Michel) né dans le diocèse de Sarragosse en 1627 alla s’établir à Rome, où il s’acquit une grande considération, & répandit cette doctrine dans plusieurs livres, entre autres dans celui qu’il intitula : la conduite spirituelle, ainsi que dans son oraison de quietudine ; delà vint qu’on nomma sa doctrine quiétisme, & ses disciples quiétistes.

Il avoit déja beaucoup de sectateurs en 1680 ; leurs opinions qui sont comme tant d’autres, si humiliantes pour la raison humaine, firent grand bruit à Rome, où ces sortes de contestations sont méprisées pour le fond, & jugées avec beaucoup de solemnité pour la forme. Molinos étoit grand directeur de conscience, & qui plus est homme de bien, selon la justice que lui rendit le pape, deux titres pour avoir beaucoup d’ennemis. Ceux qui étoient jaloux de gouverner les consciences, ne manquerent pas de voir un hérétique dangereux dans un homme, dont les idées sur la spiritualité étoient plus dignes de pitié que d’indignation.

Christine, soit par compassion naturelle, soit par haine contre les persécuteurs de Molinos, soit peut-être par le desir de jouer un rôle remarquable dans une affaire dont la chrétienté étoit alors occupée, prit très-hautement le parti du prêtre espagnol, & peu s’en fallut qu’on ne fit un crime à cette princesse, de remplir envers un malheureux prêtre les devoirs de l’humanité. Le repos spirituel qu’il prêchoit, & qui étoit alors l’objet de toute l’attention du saint office, fit dire à Pasquin assez plaisamment. « Si nous parlons, les galeres : si nous écrivons, le gibet ; si nous nous tenons en repos, le saint office : que faire donc ? »

Mais enfin les ennemis de Molinos étoient si puissans, & poursuivoient si vivement sa condamnation, qu’elle fut prononcée en 1687, par le pape Innocent XI. alors assis sur le siége pontifical. Les livres de Molinos furent brûlés, & lui-même pour sauver sa vie, fut obligé de faire abjuration de ses erreurs sur un échafaud, dressé dans l’église des Dominicains en présence du sacré college. On le condamna ensuite à une prison perpétuelle, où il mourut le 29 Décembre 1689.

Dans cette conjoncture, la doctrine du quiétisme causoit en France une division, au milieu des querelles du jansénisme, preuve que l’esprit humain n’avoit pas encore fait assez de progrès philosophiques.

La dispute du quiétisme qui s’éleva dans ce royau-

me, dit M. de Voltaire, est une de ces intempérances

d’esprit, & de ces subtilités théologiques qui n’auroient laissé aucune trace dans la mémoire des hommes, sans les noms des deux illustres rivaux qui combattirent. Une femme, sans crédit, sans véritable esprit, & qui n’avoit qu’une imagination échauffée, mit aux mains les deux plus grands hommes qui fussent alors dans l’église gallicane ; son nom étoit Bouvieres de la Motte. Elle étoit née à Montargis en 1648, où elle avoit épousé le fils de Guion, entrepreneur du canal de Briare. Devenue veuve dans une assez grande jeunesse, avec du bien, de la beauté, & un esprit fait pour le monde, elle s’entêta de ce qu’on appelle la spiritualité. Un barnabite du pays de Geneve nommé la Combe, fut son directeur. Cet homme connu par un mélange assez ordinaire de passions & de religion, & qui est mort fou, plongea l’esprit de sa penitente dans les rêveries mystiques dont elle étoit déja atteinte. L’envie d’être une sainte Therese en France, ne lui permit pas de voir combien le génie françois est opposé au génie espagnol, & la fit aller beaucoup plus loin que sainte Therese. L’ambition d’avoir des disciples, la plus forte peut-être de toutes les ambitions, s’empara toute entiere de son cœur. Elle alla avec son directeur dans le petit pays où l’évêque titulaire de Genève fait sa résidence ; elle s’y donna de l’autorité par sa profusion en aumônes ; elle tint des conférences ; elle fit des proselites, & fut chassée par l’évêque, ainsi que son directeur. Ils se retirerent à Grenoble ; elle y répandit un petit livre intitulé : Le moyen court, & un autre sous le nom des torrens, écrits du style dont elle parloit, & fut encore obligée de sortir de Grenoble.

Alors elle se rendit à Paris, conduite par son directeur, & l’un & l’autre ayant dogmatisé en 1687, l’archevêque obtint un ordre du roi pour faire enfermer Lacombe, comme un séducteur, & pour mettre dans un couvent madame Guion, qui s’étoit déja fait de grandes protections. Ses amis & amies se plaignirent hautement, que M. de Harlay, connu pour aimer trop les femmes, persécutât une femme qui ne parloit que de l’amour de Dieu. En particulier, la protection toute-puissante de madame de Maintenon, rendit la liberté à madame Guion, qui vint à Versailles pour la remercier, s’introduisit dans S. Cyr, & assista aux conférences dévotes que faisoit M. l’Abbé de Fénelon. Il étoit alors précepteur des enfans de France.

Né avec un cœur tendre, son esprit s’étoit nourri de la fleur des belles-lettres. Plein de goût & de graces, il préferoit dans la théologie tout ce qui a l’air touchant & sublime, à ce qu’elle a de sombre & d’épineux ; son imagination s’échauffoit par la candeur & par la vertu, comme les autres s’enflamment par leurs passions. La sienne étoit d’aimer Dieu pour lui-même ; il ne vit dans madame Guion qu’une ame éprise du même goût que lui, & se lia sans scrupule avec elle. Ainsi madame Guion, assurée & fiere d’un tel partisan, continua de répandre dans S. Cyr toutes ses idées. L’évêque de Chartres s’en plaignit, l’archevêque de Paris menaça de recommencer ses poursuites. Madame de Maintenon qui ne pensoit qu’à faire de S. Cyr un séjour de paix, & qui n’avoit en vûe que son crédit & son repos, rompit tout commerce avec madame Guion. Enfin, l’abbé de Fénelon lui-même conseilla à son amie, de s’en rapporter aux lumieres du célebre Bossuet, regardé comme un pere de l’Eglise. Elle le fit, communia de la main de ce prélat, & lui donna ses écrits à examiner.

Cependant M. de Fénelon ayant été élevé à l’archevêché de Cambrai en 1695, Bossuet devenu jaloux de la réputation & du crédit de son disciple, exigea qu’il condamnât madame Guion avec lui, & souscrivît à ses instructions pastorales. M. de Féne-