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s’incommoderoit moins en payant largement un traitement d’importance, que beaucoup de gens de la premiere qualité, dont les biens ne répondent pas à leur naissance.

4°. Il faut que les vues des experts s’étendent jusque sur la distance des lieux ; car il ne seroit pas raisonnable qu’un chirurgien qui auroit été d’un bout d’une grande ville à l’autre, pendant trois ou quatre mois, pour faire un traitement de conséquence, principalement à Paris, ou à une lieue & plus dans la campagne, ne fût pas mieux payé qu’un autre chirurgien qui auroit fait un pareil traitement dans son voisinage.

Enfin les experts doivent en même tems porter leur estimation à des prix honnêtes, équitables & indispensables.

Des talens nécessaires pour bien faire toutes sortes de rapports. Quoiqu’il soit vrai de dire généralement parlant, que les chirurgiens les mieux versés dans la théorie & dans la pratique de leur art, sont aussi les plus capables de bien faire toutes sortes de rapports en Chirurgie, il y a néanmoins des parties de cet art plus particulierement requises pour y bien réussir, & ces parties dépendent ou de l’anatomie, ou de la doctrine des maladies chirurgicales, qu’il faut connoître par leurs propres signes, par pratique & par théorie. Il faut avoir aussi beaucoup d’expérience dans la bonne méthode de traiter ces maladies.

A l’égard de l’anatomie, il faut pour bien faire les rapports, savoir celle que l’on nomme utile, c’est-à-dire celle qui tombe sous les sens, préférablement à celle qui est appellée curieuse, laquelle consiste dans certaines recherches que l’on fait avec le secours du microscope, des injections & des tuyaux qui servent en introduisant l’air dans les conduits, à les rendre plus visibles.

Il faut par exemple, qu’un chirurgien, pour bien faire ses rapports, soit parfaitement instruit de la structure, de l’ordonnance, du nombre, & de la conjonction des os, parce qu’il ne peut sans cela, bien connoître les fractures & les dislocations de ces parties, qui fournissent souvent matiere à faire des rapports : outre que ces masses solides étant fixes & permanentes, lui donnent lieu de mieux désigner la situation des autres parties, qui sont attachées aux corps durs, & auxquelles ils servent d’appui.

Il ne doit pas être moins informé de la situation, de l’ordonnance, du progrès des muscles, & des vaisseaux considérables, afin de pouvoir juger de l’issue des plaies, qui sont faites à la surface du corps, & aux extrémités tant supérieures qu’inférieures, & cela tant par rapport à l’hémorrhagie, qui est plus ou moins fâcheuse, selon que les vaisseaux ouverts sont plus ou moins gros, qu’eu égard à la perte du mouvement de quelque organe, lorsque les tendons ou les ligamens des jointures se trouvent intéressés dans les plaies.

Il est encore absolument nécessaire qu’un chirurgien, pour bien faire ses rapports, se soit appliqué à examiner la situation de tous les visceres dans les trois cavités principales, qui sont la tête, la poitrine & le bas-ventre ; comment ils sont placés dans les différentes régions qui partagent ces cavités, & comment ils correspondent au-dehors, afin que la division que l’instrument offensif a fait à l’extérieur, lui donne lieu de juger quel viscere peut être blessé dans l’intérieur quand les plaies sont pénétrantes.

La connoissance des maladies chirurgicales lui est absolument nécessaire pour en exprimer dans ses rapports l’essence, les signes, les accidens & les prognostics ; la pratique sur tout cela lui est encore plus nécessaire que la théorie, car quand il s’agira de caractériser une maladie, & de juger de ses suites, comme, par exemple, lorsqu’on sera en doute si certains

sujets sont attaqués de vérole, de lepre, de scorbut, de bubons pestilentiels, de cancer, d’écrouelles, &c. Un chirurgien qui aura beaucoup vû & traité de ces sortes de maladies, en jugera bien mieux, & plus surement qu’un autre qui se sera contenté de lire avec application les livres qui en discourent.

Il faut néanmoins qu’il soit savant, indépendamment qu’il doit être expérimenté dans la méthode de traiter ces maladies, afin de pouvoir marquer dans ses rapports l’ordre & le tems de leur curation, & de pouvoir juger si les autres chirurgiens y ont procédé méthodiquement ou non.

Il faut de plus qu’il connoisse bien les remedes, leur prix & leur effet, tant pour ne pas adjuger dans les estimations le payement de plusieurs remedes qui auroient été inutiles ou contraires à la maladie, qu’afin de pouvoir estimer selon leur juste valeur, ceux qui ont été utilement administrés.

Mais comme l’objet des plaies fournit seul plus de matieres aux rapports de Chirurgie que toutes les autres maladies qui sont du ressort de cet art, il résulte que le chirurgien doit s’y appliquer tout entier pour éviter les erreurs dans les rapports en ce genre. Eh combien de connoissance ne demandent-ils pas ! Depuis qu’Hippocrate a avoué ingénuement & en grand homme, s’être trompé en prenant dans une blessure à la tête la lésion de l’os pour une suture, que personne ne pense pouvoir être à l’abri d’une faute après l’exemple du prince des Médecins ; mais sur-tout si le chirurgien & le médecin s’apperçoivent dans le traitement d’une blessure avoir commis quelque erreur semblable, par négligence ou par ignorance, il est de leur devoir & de l’équité, d’en faire l’aveu au juge dans leur rapport, afin que celui qui auroit porté le coup, ne soit point puni de la faute d’autrui.

Une autre observation bien importante dans tous les rapports de blessures, c’est de ne point attribuer légérement la mort qui a suivi, à la blessure comme à sa cause. Souvent la mort arrive tout-à-coup, en conséquence des causes cachées jusqu’alors. On peut donc imputer mal-à-propos le terme de notre vie à des accidens qui n’y entrent pour rien, ou du-moins pour peu de chose. Souvent des ignorans, en visitant des cadavres, au lieu d’étudier les blessures en forgent d’imaginaires.

Enfin l’on ne sauroit être trop circonspect à définir le tems qui doit s’écouler entre la blessure & la mort pour décider que la plaie étoit absolument mortelle. Nombre de personnes pensent que si le blessé passe le neuvieme jour, on ne doit point alors attribuer à la blessure la mort qui survient, mais qu’au contraire, si le blessé meurt avant ce tems, la plaie étoit absolument mortelle.

Cette idée n’est cependant qu’un préjugé populaire, dont un habile homme ne doit point se préoccuper. Une artere étant coupée au bras ou à la cuisse, pourra causer la mort au bout de quelques heures, & même plus promptement, quoique cette plaie ne fût pas absolument mortelle, & qu’on eût pû y apporter du remede. Si un intestin grêle se trouve coupé près du pylore, le blessé pourra vivre quelques jours jusqu’à ce qu’il tombe en consomption par défaut de nutrition, & cependant cette plaie sera absolument mortelle. Ces exemples suffisent pour prouver combien la doctrine des rapports est délicate, & combien elle exige de talens, de prudence, de connoissances & de précautions.

Il nous reste à donner quelques modeles généraux des différentes especes de rapports dont nous avons parlé ; nous commencerons par les exoënes.

Exoëne pour une prisonniere. Rapporté par moi maître chirurgien juré à Paris, qu’en vertu de l’ordonnance de messieurs les officiers du grenier à sel de cette ville, en date du 3 Mars 1695, je me suis trans-