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Mets voiles au vent, cingle vers nous, Caron,
Car on t’attend, &c.

Rime kirielle, elle consiste à terminer chaque couplet d’un petit poëme par un même vers :

Qui voudra savoir la pratique
De cette rime juridique,
Saura que bien mise en effet,
La kirielle ainsi se fait
De plates, de syllabes huit ;
Usez-en donc si bien vous duit,
Pour faire le couplet parfait,
La kirielle ainsi se fait.

On voit bien que cet exemple se ressent de l’origine barbare de la kirielle ; mais nous ne manquons pas de couplets de chansons où elle est mise avec esprit.

Rime rétrograde, sous Charles VIII. & Louis XII. les poëtes avoient mis les rimes rétrogrades en vogue ; c’étoit le nom qu’on avoit donné aux vers, lorsqu’en les lisant à-rebours, on y trouvoit encore la mesure & la rime, comme dans ceux-ci ; exemple :

Triomphamment cherchez honneurs & prix,
Désolez, cœurs méchans, infortunés
Terriblement êtes mocquez & pris.

Lisez ces vers en remontant, vous trouverez les mêmes rimes.

Prix & honneurs cherchez triomphamment, &c.

Rime sénée, on nommoit ainsi les vers où tous les mots commençoient par la même lettre ; exemple :

Ardent amour, adorable Angélique.

Un poëme dont tous les vers commençoient par une même lettre, s’appelloit poëme en rimes sénées.

Rime féminine, les vers qui finissent par un mot dont la derniere syllabe a pour voyelle un e muet, excepté dans les imparfaits charmoient, aimoient ; ces vers, dis-je, ont une rime féminine, & on les appelle aussi vers féminins ; exemple :

Victoire Armes
Gloire Charmes

Dans la rime féminine, la ressemblance du son se tire de la pénultieme syllabe, parce que l’e muet ne se faisant point sentir, n’est compté pour rien. Dans le dernier hémistiche des vers de rime féminine, il y a toujours une syllabe de plus que dans les vers masculins, qui est la syllabe formée par cet e muet.

Rime masculine, c’est lorsque la derniere syllabe du dernier mot du vers ne comprend point un e muet, qu’on nomme autrement e féminin ; exemple :

Fierté Soupirs
Beauté Desirs

Dans cette sorte de rime, on ne considere que la derniere syllabe pour la ressemblance du son, & c’est cette syllabe qui fait la rime. Les mots qui ont un e ouvert rimeroient très-mal avec ceux qui ont un e fermé à la derniere syllabe ; ainsi enfer & étouffer seroient des rimes vicieuses : il faut, autant qu’il est possible, que les dernieres syllabes des deux vers qui riment, se ressemblent parfaitement ; cependant on use d’indulgence à cet égard quand le son de la derniere syllabe est plein, ou que les rimes sont rares.

Rime normande, on appelle ainsi des rimes qui ne ressemblent que dans le son, ou dans la maniere de les écrire. Ces rimes quoiqu’autorisées par l’emploi qu’en ont fait des poëtes célebres, paroissent toutefois très-vicieuses ; exemple :

Et quand avec transport je pense m’approcher,
De tout ce que les dieux m’ont laissé de plus cher.

Rime redoublée, Chapelle (Claude l’Huillier), eleve du célebre Gassendi, inspira le goût des rimes redoublées à l’abbé de Chaulieu, à ce qu’il nous dit lui-même :

Chapelle au milieu d’eux, ce maître qui m’apprit
Au son harmonieux de rimes redoublées,

L’art de charmer l’oreille & d’amuser l’esprit,
Par la diversité de cent nobles idées.

Ces vers ont fait croire à bien des gens que Chapelle est le premier qui s’est servi des rimes redoublées : mais c’est une erreur ; d’Assoucy les employa long-tems avant lui, & même avec quelque succès, comme M. de Voltaire l’a remarqué.

Pourquoi donc, sexe au teint de rose,
Quand la charité vous impose
La loi d’aimer votre prochain,
Pouvez vous me haïr sans cause,
Moi qui ne vous fis jamais rien ?
Ah ! pour mon bonheur je vois bien,
Qu’il faut vous faire quelque chose.

(D. J.)

Rime riche, terme de Poésie pour marquer le degré de perfection dans cette partie du vers.

La rime féminine est riche, lorsqu’immédiatement devant la pénultieme voyelle ou diphtongue, il y a une même lettre dans les deux qui font la rime ; exemple :

Victoire Rebelle
Histoire Isabelle

La rime masculine est riche, lorsqu’immédiatement devant la derniere voyelle ou diphtongue, il se trouve quelque lettre semblable dans les deux mots, comme dans heureux, généreux.

Rime suffisante, la rime féminine est suffisante, lorsque la pénultieme voyelle ou diphtongue avec tout ce qui la suit, rendent un même son dans les mots qui ont la rime : Exemple,

Belle, Victoire,
Infidelle. Gloire.

La rime masculine est pareillement suffisante, lorsque la derniere voyelle ou diphtongue des mots avec tout ce qui la suit, rendent un même son : Exemple,

Espoir, Heureux,
Devoir. Honteux.

Rimes croisées, c’est lorsqu’on entrelace les vers des deux especes, un masculin après un féminin, ou deux masculins de même rime entre deux féminins qui riment ensemble. L’ode, le rondeau, le sonnet, la balade, se composent à rimes croisées.

Rimes mélées, c’est lorsque dans le mélange des vers, on ne garde d’autres regles que celle de ne pas mettre de suite plus de deux vers masculins, ou plus de deux féminins. Les fables, les madrigaux, les chansons, quelques idilles, certaines pieces de théâtre, les opéra, les cantates, &c. sont composés de rimes mélées. La répétition de la même consonnance, loin d’être vicieuse dans les rimes mélées, y jette pour l’ordinaire de l’agrément.

Rimes plates, c’est lorsque les vers de même rimes se suivent par couples, deux masculins & deux féminins. La comédie, l’églogue & l’élégie, se composent à rimes plates. Pour le poëme épique & la tragédie, ils sont nécessairement assujettis à cette ordonnance de vers. Il faut avoir soin d’éviter la fréquente répétition des mêmes rimes, qui feroient une monotonie desagréable.

Rimes unissonnes, rimes qui ont le même son. L’orthographe différente ne rend point la rime défectueuse, quand le son est le même à la fin des mots. Ainsi les rimes suivantes & autres semblables, sont régulieres. Amant, moment ; départ, hasard ; champêtre, connoître ; sang, flanc ; aime, extrême.

Tout conspire à la fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux.

Au reste M. l’abbé Massieu prétend que le plus ancien morceau de poésie rimé qu’il y ait dans toute l’Europe, est la traduction ou le poëme de la grace,