Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/497

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mort, ou qui ne doive son intrépidité à sa propre foiblesse. Pour être brave, on cesse d’être homme, & pour aller à la mort, on commence à se perdre de vue ; mais l’homme immortel s’expose, parce qu’il se connoit. L’héroïsme, dans les principes d’un homme qui renferme toutes ses espérances dans le monde, est une extravagance. Les louanges de la postérité contre lesquelles il échange sa vie, ne sont pas capables de l’en dédommager. Comment donc & par quel prodige des hommes qui ne paroissent avoir connu d’autre vie que la présente, ont-ils pu consentir à cesser d’être, pour être heureux ? Ciceron a cru que le principe de cet héroïsme étoit toujours une espérance secrette de jouir de sa réputation dans le sein même du tombeau. Mais il y a quelque chose de plus. Il ne seroit pas impossible que ces hommes célebres ayent été plus heureux par leur mort, qu’ils ne l’eussent été par leur vie. Admirés de leurs amis & de leurs compatriotes, persuadés qu’ils le seroient de leurs ennemis mêmes & de la postérité, cette épaisse nuée de tant d’admirateurs a pu, pour des imaginations vives, former un spectacle dont le charme, quoique de peu de durée, fut pour eux d’un plus grand poids que leur propre vie. L’amour de nous-mêmes éclairé par la raison, ne consentira jamais à un tel sacrifice : ce n’est qu’à la faveur des accès d’une imagination séduite & enchantée, qu’il lui applaudira.

Il faut, observe Séneque, apprendre chaque jour à se quitter, il faut apprendre à mourir. Ce sentiment qui est si noble & si relevé dans une bouche chrétienne, paroit tout-à-fait ridicule dans celle d’un stoïcien. Il n’avoit aucune crainte ni aucune espérance pour l’autre vie. Pourquoi donc s’imposoit-il une peine si rigoureuse ? Pourquoi fuyoit-il les plaisirs attirans, lui qui devoit à la mort rentrer dans le sein de la divinité ? Quel avantage avoit le philosophe obscur, toujours rempli de pensées funestes, toujours forcé à se contraindre ; quel avantage avoit-il sur le libertin aimable & aimé, satisfait de son bonheur, ingenieux dans la recherche de la volupté ? Le même sort les attendoit tous deux. La vie des hommes s’envole trop rapidement, pour être employée à la poursuite d’une vertu farouche & opiniâtre. Nous ne pouvons trop chercher à être heureux ; & le présent est le seul moyen qui nous conduise à la félicité, du moins à celle dont nous sommes capables ici-bas. Dompter ses passions, se gêner sans cesse, renoncer à ses plus cheres inclinations, corriger ses erreurs, veiller scrupuleusement sur sa conduite, c’est l’emploi d’un homme qui perce au-delà de cette vie, qui sait par la révélation, qu’il survivra à la perte de son corps. Mais les Stoïciens n’avoient pas les mêmes motifs de se flatter ; jamais un avenir obscur ne leur a tenu lieu du présent, & le présent étoit toute leur richesse, l’objet de tous leurs desirs. Aussi les philosophes grecs, qui parloient suivant leur cœur, avoient-ils une morale douce, & accommodée aux différens besoins de la société. Le portique seul se distingua par une sévérité déplacée ; trop de confiance en la raison, l’abus de ses forces, un courage mal entendu le perdirent entierement.

Sagesse, (Critiq. sacrée) sapience, σοφία, σοφροσύνη ; ce mot qui chez les Grecs & les Latins se prend pour la science de la philosophie, a encore d’autres significations dans l’Ecriture. Il désigne par exemple, 1°. dans le Créateur, ses œuvres divines ; ps. l. 8. 2°. l’habileté dans un art ou dans une science ; Exod. xxxix. 3. 3°. la prudence dans la conduite de la vie ; III. Rois ij. 6. 4°. la doctrine, l’expérience ; Job. xij. 12. 5°. l’assemblage des vertus : à mesure que Jesus-Christ croissoit en âge, il donnoit de plus en plus des preuves de sa sagesse ; Luc. ij. 52. 6°. la prudence présomptueuse des hommes du monde : je

confondrai leur sagesse ; I. Cor. j. 19. 7°. enfin la sagesse éternelle est l’être suprême ; Luc. xj. 49. (D. J.)

Sagesse, (Mythol.) il ne paroît pas que les Grecs aient jamais divinisé la sagesse, qu’ils appelloient σοφία, mais ils l’ont du moins personnifiée, & le plus souvent sous la figure de Minerve, déesse de la sagesse : son symbole ordinaire étoit la chouette, oiseau qui voit dans les ténebres, & qui marque que la vraie sagesse n’est jamais endormie. Les Lacédémoniens représentoient la sagesse sous la figure d’un jeune homme qui a quatre mains & quatre oreilles, un carquois à son côté, & dans sa main droite une flute ; ces quatre mains semblent désigner que la vraie sagesse est toujours dans l’activité ; les quatre oreilles, qu’elle reçoit volontiers des conseils ; la flute & le carquois, qu’elle doit se trouver par-tout, au milieu des armées comme dans les plaisirs : c’est du moins là ce que pensent nos mythologues moralistes. (D. J.)

Sagesse livre de la, (Théol.) nom d’un des livres canoniques de l’ancien Testament, que les Grecs appellent sagesse de Salomon, σοφια σαλομοντος, & qui est cité par quelques anciens sous le nom grec de παναρητος, comme qui diroit recueil ou tresor de toute vertu, ou instructions pour nous conduire à la vertu. En effet le but principal que se propose l’auteur de cet ouvrage, est d’instruire les rois, les grands, les juges de la terre.

Le texte original de cet ouvrage est le grec, & il n’y a nulle apparence qu’il ait jamais été écrit en hébreu ; on n’y voit point les hébraïsmes & les barbarismes presque inévitables à ceux qui traduisent un livre sur l’hébreu ; l’auteur écrivoit assez bien en grec & avoit lu Platon & les poëtes grecs, dont il emprunte certaines expressions inconnues aux Hébreux, telles que l’ambroisie, le fleuve d’oubli, le royaume de Pluton ou d’Ades, &c. il cite toujours l’Ecriture d’après les septante, lors même qu’il s’éloigne de l’hébreu, & enfin si les auteurs juifs l’ont cité, ce qu’ils en rapportent est pris sur le grec. Toutes ces preuves réunies démontrent que l’original est grec.

La traduction latine que nous en avons, n’est pas de S. Jérôme, c’est l’ancienne vulgate usitée dans l’église dès le commencement, & faite sur le grec long-tems avant S. Jérôme ; elle est exacte & fidele, mais le latin n’en est pas toujours fort pur. L’auteur de ce livre est entierement inconnu ; quelques-uns l’attribuent à Salomon, & veulent que ce prince l’ait écrit en hébreu, qu’on le traduisit en grec, & que le premier original s’étant perdu, le grec a depuis passé pour l’original ; mais quelle apparence que les juifs n’eussent pas mis cet ouvrage au nombre de leurs livres canoniques, s’il eût été de Salomon ? D’où vient qu’il n’est point en hébreu, que personne ne l’a jamais vu en cette langue, que le traducteur n’en dit rien, & que son style ne se ressent point de son original ?

D’autres l’ont attribué à Philon, mais on ne connoit point précisément quel est ce Philon : car l’antiquité fait mention de trois auteurs de ce nom ; le premier vivoit du tems de Ptolomée Philadelphe ; le second est Philon de Biblos, cité dans Eusebe & dans Josephe ; le troisieme est Philon le juif, assez connu : ce ne peut être le premier de l’existence duquel on a de bonnes raisons de douter, ni le second qui étoit payen, ni le troisieme qui n’a jamais été reconnu pour un auteur inspiré.

Grotius pense que ce livre est d’un juif qui l’écrivit, dit-il, en hébreu depuis Esdras & avant le pontificat du grand prêtre Simon. Il ajoute qu’il fut traduit en grec avec assez de liberté, par un auteur chrétien qui y ajouta quelques traits & quelques sentimens tirés du christianisme ; delà vient qu’on y remarque, selon cet auteur, le jugement universel, le bonheur des justes, & le supplice des méchans, d’une maniere