Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/507

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si l’ouverture est très-petite ; mais si elle est aussi grande que le calibre de ce gros vaisseau, la colomne de sang qui se présente à la circulation, se partagera en deux portions inégales ; l’une suivra le cours naturel, l’autre s’échappera par la plaie. Cette seconde sera plus considérable que la premiere, parce que le sang n’aura point à vaincre la résistance que présente la colomne de sang contenue dans les veines entre le cœur & la plaie, dans les arteres, entre cette derniere & les extrémités. Si au contraire cette ouverture est plus grande que le calibre du vaisseau, le sang resserré, comme nous l’avons vu, cherchant à s’échapper, se jettant avec précipitation dans l’endroit où il trouve le moins d’obstacles, accourra des deux côtés de la veine ou de l’artere, les deux colomnes de sang se heurteront par des mouvemens directs & rétrogrades, pour sortir par la plaie. Quoique le mouvement direct soit toujours le plus fort, il n’empêchera pas que la colomne retrograde ne fournisse à l’évacuation, plus ou moins, suivant la grandeur de l’ouverture. C’est cette expérience faite par de Heyde contre Bellini, que M. de Haller a répetée une multitude de fois, de différentes manieres, qui sert de base à la théorie que ce dernier donne de la saignée.

Pendant que le sang s’écoule, il arrive que la colomne de sang qui vient immédiatement du cœur dans les arteres, qui est obligée de traverser les vaisseaux capillaires pour remplir les veines, rencontrant moins d’obstacles, à raison de l’augmentation des orifices par lesquels elle doit s’échapper, accélere son mouvement. Les vaisseaux collatéraux, en comprimant le sang qu’ils contiennent, en cherchant à rétablir l’équilibre, envoyent une partie de ce sang dans le vaisseau où il éprouve le moins de résistance. Mais (ce qu’il est très-important de remarquer) le vaisseau ouvert contient moins de sang, ses parois sont plus rapprochés qu’ils n’étoient avant la saignée ; & quoique dans un tems donné, il s’écoule à-travers le vaisseau, une plus grande quantité de sang, l’augmentation, loin d’être supérieure à la perte, lui est toujours inférieure, par le frottement qui y met un obstacle, la force d’inertie, & le tems nécessaire pour qu’il parcoure l’espace compris entre le lieu d’où il part, & l’ouverture du vaisseau. Bientôt ce mouvement se communique des vaisseaux collatéraux, successivement à tous ceux qui parcourent le corps, sanguins, séreux, bilieux, &c. mais d’autant plus foiblement, dans un espace de tems d’autant plus long, qu’ils sont plus éloignés, plus petits, & plus hors du courant de la circulation du sang contenu dans les vaisseaux qu’on évacue, ou dans ceux qui y correspondent immédiatement.

Cet afflux de sang augmenté pendant la saignée dans le vaisseau ouvert, a été appellé par les Médecins dérivation ; cette diminution de la quantité de sang contenu dans les vaisseaux les plus éloignés, qui vient se rendre au lieu ouvert, ou qui coule en moindre quantité dans cette partie éloignée, parce qu’il faut que le cœur fournisse davantage au vaisseau le plus vuide, parce que le sang se jette toujours du côté de la moindre résistance, s’appelle révulsion. Jusque-là tous les Médecins sont d’accord entr’eux de cet effet pendant la saignée sans ligature ; mais s’ils apprétient la quantité de la dérivation & celle de la révulsion, on les voit se partager. Les uns avec Bellini & Sylva, prétendent que le vaisseau ouvert est plus plein pendant la saignée, qu’il ne l’étoit avant ; que la révulsion est d’autant plus grande que le vaisseau est plus éloigné. Les autres, avec MM. Senac & Quesnay, appellans à leur appui toutes les lois de l’hydraulique, toutes les lumieres de la raison & l’expérience médicinale, conviennent que dans un tems donné, il circule une plus grande quantité de

sang dans le vaisseau ouvert, pendant la saignée, qu’avant ou après ; mais que le vaisseau resserré contient réellement une moindre quantité de sang, qui circule plus vite. Ils insistent & prouvent que la révulsion est d’autant moindre, qu’elle se fait dans une partie plus éloignée. Ils se rient de ceux qui voulant ralentir & diminuer l’eau qui s’écoule par un canal qui répond à un bassin commun, vont chercher le point le plus éloigné, pour y faire une ouverture, & craignent qu’en doublant le diametre de ce canal, dont l’entrée ne varie point, ils n’y attirent un débordement.

Voilà (si nous ne nous trompons) le fond de ces disputes vives & intéressantes, agitées entre de grands hommes armés de calculs les uns & les autres sur la dérivation & la révulsion, dans lesquelles on est étonné que la préoccupation ait étouffé la raison la plus simple & la plus naturelle, au point de voir des hommes respectables recourir à des explications forcées, admettre sans cesse de fausses suppositions, pour accommoder & expliquer par leurs systèmes, des expériences qu’ils ne pouvoient révoquer en doute, & qui les accabloient : telles que l’avantage de la saignée à la jugulaire dans les pléthores particulieres de la tête, qui causent des céphalalgies. Nous aurons lieu d’examiner cet objet plus en détail ; passons aux autres effets de la saignée.

Si le sang coule goutte-à-goutte, il se formera peu-à-peu sur les bords de la plaie un caillot, par l’application & la coalition successive de la partie rouge du sang épaissie, desséchée par le défaut de mouvement, & le contact de l’air. Ce caillot observé si constamment par M. de Haller, arrêtera l’hémorragie, collera les bords de la plaie, & enfin laissera voir la cicatrice par sa chûte. Cette cicatrice resserrera le vaisseau, en diminuera le diametre dans l’endroit où elle se trouvera placée, à moins qu’il ne survienne à l’artere un anevrisme auquel la force & l’inégalité du jet donneront lieu, en dilatant les membranes affoiblies par la plaie, en empêchant la réunion de la plus intérieure : ce qu’on peut prévenir par les moyens détaillés, lorsqu’il a été question des accidens qui peuvent suivre la saignée. Voyez Anevrisme.

Si on enleve le caillot avant la réunion de la plaie, & que le vaisseau soit considérable, les symptômes précédens se renouvelleront, le saigné tombera en défaillance, la circulation sera interrompue dans tout le corps, & l’hémorrhagie arrêtée par ce nouvel accident. Ce dernier effet sera d’autant plus prompt, que le sang coulera en plus grande quantité dans un tems donné. Il sera dû à l’état des vaisseaux sanguins & du cœur, qui n’étant pas remplis au point nécessaire pour la propagation du mouvement, suspendront leur action, jusque à ce que la nature effrayée ranimant ses forces, fasse resserrer le calibre de tous les vaisseaux, & soutienne cette compression du sang nécessaire à la vie. Si alors le sang s’échappe de nouveau, le caillot à la formation duquel la défaillance donne lieu, ne s’étant point formé par la dissolution du sang, ou par la force avec laquelle il est poussé, la compression étant détruite aussi tôt que formée, les défaillances répétées améneront la mort.

Si au contraire l’hémorrhagie est arrêtée naturellement ou artificiellement, le resserrement général & proportionné de tous les vaisseaux, & la loi posée que le sang en mouvement se tourne toujours du côté où il trouve moins d’obstacles, feront que l’équilibre se rétablira bientôt dans les vaisseaux sanguins ; de maniere que chacun d’eux éprouvera une perte proportionnelle à son calibre. Cette perte se propagera successivement dans les vaisseaux séreux, &c. qui enverront leurs sucs remplacer en partie le sang évacué, ou qui en sépareront une moindre quantité.

Par l’augmentation de ces liqueurs blanches avec