Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/546

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mieux le cours des eaux qui entrent du même jas dans chaque gourmas ; ces conches, dis-je, sont séparées par une petite velle au milieu, qui fait que quoique la vareigne soit commune aux deux jas, & que les jas aient communication l’un dans l’autre, les conches sont séparées, elles ont leurs eaux à part ; ces conches ont 182 piés de largeur, mais elles ont sur le côté du marais une petite conche de six toises de large, la longueur en est indéterminée au-moins pour les marais que l’on voudroit construire, car le jas, le marais & les conches qui sont sur ce plan font voir ce que l’on peut faire de livres de marais sur un terrein de 64362 toises quarrées, dont 900 font le journal. Les marais faits suivant ce plan, tant les marais réguliers que ceux qui ne le sont pas, font ensemble 38 livres une aire, savoir 20 carreaux à la livre ; chaque livre a sur les vivres du marais à-proportion comme sur les bosses, tables, muants, conches, jas & sarretieres, s’il s’en rencontre aux propriétés du marais. Il faut observer que beaucoup de jas servent à plusieurs marais ; ils ont un nombre d’écluses : celui qu’on nomme jas de l’épée, qui est devenu gaz, ou perdu, avoit, lorsqu’il servoit, 23 varaignes ; il fournissoit près de 200 livres de marais ; il n’étoit pas meilleur pour cela.

Les marais se mettent au coy au mois de Mars. Pour vuider les eaux par le coy, lettre K & H, on observe de boucher les conduits des tables pour qu’elles ne vuident pas ; on largue, ou vuide l’eau du muant, ensuite avec le boguet P, on commence à nettoyer celles des aires qui sont au haut du marais, & l’on renvoie l’eau au muant, pour qu’il vuide toujours au coy : c’est ce que l’on appelle limer un marais. Quand les aires sont nettoyées, on en fait autant au muant ; ensuite pour faire passer les eaux des tables au muant & par les brassours, on garnit les aires pour qu’elles ne sechent pas trop. On nettoye les tables, on fait venir l’eau des conches par le maure qui se rend aux tables, & le marais est prêt à saler. Le saunier devroit aussi nettoyer les conches, les eaux en seroient plus nettes. On jette les boues sur les bosses avec un boguet S ; il commence quelquefois à saler au mois de Mai, mais c’est ordinairement au mois de Juin, ce qui dure jusqu’à la fin de Septembre, quelquefois même jusqu’au 10 ou au 15 Octobre, mais cela est rare. Dans toutes les malines qui sont ordinairement au plein & au renouvellement de la lune, on se sert du gros de la mer qui est environ trois jours avant ou après le plein, pour recevoir de l’eau ; les malines qui sont faites de façon que les marées sont à trois piés & demi au-dessus du mort de l’eau, manquent ordinairement au mois de Juillet, tant par la faute des sauniers, que par la mauvaise construction des jas.

On connoît que le sel se forme quand l’eau rougit ; c’est en cet état qu’étant réchauffé par le soleil & par le vent, il se crême de l’épaisseur du verre : alors on le casse, il va au fond, & c’est ce qu’on nomme le braser ; il s’y forme en grains gros comme des pois, pour lors on l’approche de la vie G avec le rouable qui sert à nettoyer le marais ; ensuite on prend l’outil Q, qui se nomme le servion : il ne differe du rouable qu’en ce qu’il est un peu plus penché, & qu’il a le manche plus court. On s’en sert pour mettre le sel en pile sur la vie ; & lorsque le marais est tiré d’un bout à l’autre, on le porte sur les piles ou pilots faits en cône ; il y a aussi des piles qui sont ovales par le pié, & qui vont en diminuant par le haut, telles qu’on les voit au côté du cartouche où je représente les charrois ; ces piles se nomment vaches de sel. A mesure qu’on tire le sel sur la vie, on garnit les aires de nouvelle eau, pour la préparer à saler. Quand un marais commence à saler, il ne donne du sel que tous les huit jours ; & lorsqu’il s’échauffe, on en tire deux

& trois fois par semaine : il s’en est vû même, mais cela est rare, d’où l’on en tiroit tous les jours.

Il est bon d’observer que quand un marais est en train de saler, ou trop échauffé à saler, & qu’il passe des nuages qui donnent un brouillard un peu fort ; le marais en sale beaucoup plus, parce qu’il anime la sole du marais ; & quand il ne mouille pas, on raffraîchit le marais par les faux gourmas marqués b sur le plan ; ce qui empêche que l’eau dans sa course ne se refroidisse ; on abrege en outre son chemin par des petits canaux qui viennent de la table au muant, dont un est marqué gg ; ils sont rangés de distance en distance, comme ceux que l’on nomme faux gourmas : je n’en ai marqué que quelques-uns, pour éviter la quantité des lettres répétées ; j’ai fait de même pour les brassours marqués O, & j’ai seulement ponctué les autres pour faire connoître les petits canaux qui servent à faire entrer l’eau dans ceux qu’on nomme porte-eau de la table ; on fait au muant comme on a fait aux aires, avec le piquet & la palette, pour mettre le sel sur la pille ; on se sert pour cela d’un sac garni de paille ; on le nomme boureau Y. Un homme le met sur ses épaules ; un second tenant deux morceaux de bois ou de planche, nommés seaugeoire, longs de 8 pouces, sur 2 de large, avec une poignée, figure b b, s’en sert pour emplir le pannier X, & le met sur le dos de celui qui a le sac ; celui-ci court toujours, & monte sur la pile. Quand il sale beaucoup, ces gens sont tourmentés par un mal qui leur vient aux piés, & que l’on nomme seaunerons ; mais il n’est pas dangereux, quoiqu’il cause de vives douleurs ; il leur survient encore des crevasses en divers endroits des mains. Quand on veut avoir du sel à l’usage de la table, on leve la crême qui se forme sur l’eau ; ce sel est d’un grain très-fin, & blanc comme de la neige.

Lorsqu’il ne sale plus, on laboure & on ensemence les terres : cet ouvrage se fait à bras, parce qu’on ne peut le faire autrement. Dans l’usage du marais, on se sert d’un outil appellé serrée R, que le saunnier nomme la clé du marais, parce qu’effectivement c’est l’instrument le plus utile à sa construction. Il est d’égale grosseur d’un bout à l’autre ; & de plus il a des pointes à l’un de ses bouts qui vont en s’élargissant ; voilà sa vraie forme, & non celle que des auteurs différens de plans de marais lui ont donnée. On doit remarquer encore qu’ils ont mis leur échelle de 200 toises, quoiqu’elle ne soit que de 33 toises 4 piés ; en outre, sur leur plan, ils prennent la fosse du gourmas R, pour le jas ou jars ; ils posent la vareigne T, où elle ne peut être ; parce que où est S, doit être un morceau du jas, & non à l’endroit marqué R. Par conséquent ils mettent un chenal à l’autre bout du marais, & c’est celui qui doit répondre à l’écluse qui va au jas. Ces auteurs ont été mal instruits ; d’ailleurs tout leur marais est fort bon en corrigeant ces fautes d’explication. De plus ils font encore voir le bout du brassour ouvert en correspondance des aires, ce qui n’est pas ; c’est avec le picquet que l’on communique l’eau, comme je l’ai dit ailleurs ; sa coupe ne doit avoir que 5 pouces au plus d’élévation ; & sa hauteur environ 5 piés ; les piles de sel doivent avoir 10 & 12 piés pour les plus hautes ; la leur seroit de 25 piés, ou suivant leur échelle de 25 toises ; ce qui ne peut être. On aura dans nos Planches la prise du marais de Chatelars qu’on a levée sur les lieux avec les mesures les plus justes ; l’on y voit où la varaigne est posée, le tour que les eaux font pour se rendre au muant ; c’est le vrai chenal, le jas, & tout ce qui en dépend. On apperçoit sur notre plan régulier, la course des eaux, à commencer à la vareigne, jusqu’à la coiment où elle va se rendre : l’eau parcourt 2380 toises sur un seul côté du marais, & autant, à quelque chose près, de l’autre côté. Le jas contient 2406