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sa muse sur des matieres de religion qu’à l’âge de 57 ans, & ne dissimula point dans ses écrits le libertinage de sa jeunesse. Voici ses propres paroles :

Tùm lasciva protervitas,
Et luxus petulans (heu pudet ac piget !)
Foedavit juvenem nequitiæ sordibus, ac luto.

Les poésies de Prudence sont plus remplies de zèle de religion que des ornemens de l’art ; le style en est souvent barbare, les fautes de quantité s’y trouvent en grand nombre ; & d’ailleurs l’orthodoxie n’y est pas toujours ménagée. On ne sait de qui il tenoit cette anecdote singuliere qu’il avance comme un fait certain (vers 125 & 133.) que les damnés ont tous les ans un jour de repos, & que c’est le jour où J. C. sortit de l’enfer. Il semble même qu’il a cru que l’ame de l’homme est corporelle ; du-moins selon M. le Clerc, ces paroles de Prudence, animæ rapit aura liquorem, signifient naturellement la mortalité de l’ame ; mais je crois que c’est mettre sur le sentiment ce qui doit être attribué à la versification.

Quoi qu’il en soit, on a plusieurs éditions de ses ouvrages ; celle de Deventer est la premiere, & celle d’Alde, à Venise en 1502 in-4°. n’est que la seconde. On estime sur-tout celle d’Hanaw en 1613, celle d’Amsterdam en 1667, avec les notes de Nicolas Heinsius ; & celle in usum delphini, donnée à Paris par le P. Chamillart, en 1687, in-4°.

Entre les savans plus modernes nés à Saragosse, je me contenterai de nommer Agostino, Molinos, & Surita.

Agostino (Antonio) a été l’un des plus habiles hommes de son siecle, dans la connoissance du droit civil & canonique, dans la littérature & les antiquités. Il fut auditeur de rote, ensuite évêque de Lérida, enfin archevêque de Tarragone, où il mourut en 1586, à 68 ans. La plûpart de ses ouvrages sont très-estimés, sur-tout ceux de la belle littérature ; comme 1°. celui qui a pour titre, familiæ Romanorum trigenta ; 2°. de legibus & senatusconsultis Romanorum ; 3°. ses dialogues en espagnol des médailles des Grecs & des Romains ; 4°. ses antiquités d’Espagne, qui ont été traduites en italien & en latin ; 5°. enfin le plus considérable de ses ouvrages est la correction de Gratien, dont M. Baluze a donné une excellente édition, imprimée à Paris en 1672, avec de savantes notes.

Molinos (Michel), né en 1627 à Saragosse, ou du moins dans le diocèse, est connu de tout le monde par sa doctrine sur la mysticité, qu’il répandit en Italie ; il renferma cette doctrine dans un livre espagnol qu’il intitula la conduite spirituelle, & dans lequel il inséra son oraison de quiétude. Tous ses écrits furent condamnés à être brulés au bout de vingt ans, & l’inquisition mit l’auteur dans une prison perpétuelle, où il mourut en 1696, après 7 ans de captivité, quoiqu’il eût fait abjuration de ses erreurs sur un échaffaud dressé dans l’église des dominicains. Il étoit alors âgé de soixante ans, & le public ne voyoit en lui qu’un honnête prêtre, dont les mœurs étoient irréprochables. Son livre n’avoit été publié qu’avec l’approbation des qualificateurs de l’inquisition. Innocent XI. avoit fait un cas tout particulier de Molinos ; & ce même pape l’abandonna à la persécution des jésuites, qui intéresserent Louis XIV. dans cette affaire.

Surita (Jérôme), né à Saragosse en 1502, a mis au jour une histoire curieuse du royaume d’Aragon. Il mourut âgé de 67 ans. « La seule chose dont on puisse blâmer Surita, dit M. de Thou, ou plûtôt le seul malheur dont on le doit plaindre, c’est qu’il ait été secrétaire de l’inquisition, & que passant pour un homme docte, plein de douceur & d’humanité, il ait pris un emploi si cruel en lui-même & si pernicieux à tous les gens de lettres ; soit qu’il l’ait cru nécessaire pour pourvoir à sa sûreté ; ou par

le destin de sa nation, afin de soutenir sa dignité ». (Le chevalier de Jaucourt.)

SARAI ou BOSNA-SERAI, (Géogr. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Bosnie, sur le ruisseau de Migliataska, entre Belgrade à l’orient, & Sebenico au couchant. Ses revenus & ceux de son territoire sont affectés à la sultane mere. Long. 36. 25. lat. 44. 18. (D. J.)

SARAIS, s. m. (Com. & Hist. mod.) on nomme ainsi dans les états du grand mogol de vastes bâtimens qui sont dans la plûpart des villes, & qui y tiennent lieu de ce qu’on appelle en Europe des hôtelleries. Ils sont moins grands que les caravanserai, & les marchands n’y sont reçus avec leurs marchandises qu’en payant un certain droit. Voyez Caravansera. Diction. de comm. & de Trévoux.

SARAMANE, (Géogr. anc.) ville d’Hyrcanie vers le nord, selon Ptolomée, l. VII. c. ix. Ammien Marcellin en parle comme d’une place forte, & dit qu’elle étoit située au bord de la mer. (D. J.)

SARANNE, (Hist. nat. Bot.) espece de lys, mais qui ne se trouve qu’en Sibérie, & dans la péninsule de Kamtschatka. M. Steller la nomme lilium flore atro rubente : ce lys croît à la hauteur d’environ un demi-pié ; sa tige est de la grosseur d’une plume de cygne ; elle est rouge par le bas & verte par en haut ; elle est garnie de deux rangées de feuilles ovales ; la rangée inférieure a trois feuilles, & la rangée supérieure en a quatre. La fleur est d’une couleur de cerise foncée, un peu moins grande que le lys ordinaire ; elle est divisée en six parties égales ; le pistil est triangulaire, & applati par le haut, & contient dans trois capsules distinguées des graines rougeâtres & plates. On voit au-tour du pistil six étamines jaunes par le bout. La racine est aussi grosse que celle de l’ail ; elle est composée de plusieurs gousses, ce qui lui donne une forme ronde. Cette plante fleurit au mois de Juin, & elle croît alors en si grande abondance, que l’on ne voit point d’autres fleurs.

Les femmes du pays en font une sorte de confiture fort agréable, qui, selon M. Steller, pourroit en cas de besoin suppléer au défaut du pain, si l’on en avoit une quantité suffisante. Ce naturaliste en compte cinq especes ; 1°. le kimtchiga, qui ressemble aux pois sucrés, & qui en a à-peu-près le goût ; 2°. la saranne ronde, qui vient d’être décrite ; 3°. l’onsenka, qui croît dans toutes les parties de la Sibérie ; 4°. le titichpa ; 5°. le matista sladka travo, ou la douce plante dont on fait non-seulement des confitures, mais encore dont les Russes ont trouvé le secret de distiller une liqueur forte. La racine de cette plante est jaunâtre à l’extérieur, & blanche à l’intérieur ; son goût est amer & piquant ; sa tige est charnue, remplie de jointures, & s’éleve de la hauteur d’un homme ; sa feuille est d’un rouge verdâtre ; la tige est garnie depuis six jusqu’à dix feuilles ; les fleurs sont blanches, fort petites, & ressemblent à du fenouil ; prises ensemble elles présentent la forme d’une assiette, ou forment un parasol. Cette plante a un goût qui a du rapport avec celui de la reglisse. On ne la recueille qu’avec des gants, vu que le jus qui en sort est si caustique, qu’il fait venir des ampoules aux mains. La maniere d’en obtenir une liqueur spiritueuse consiste à verser de l’eau bouillante sur cette plante liée en paquets ; pour faciliter la fermentation on y joint quelques baies de myrtille, ou des prunelles ; on met le tout dans un vaisseau bien bouché, que l’on place dans un lieu chaud, où la liqueur demeure jusqu’à ce qu’elle cesse de fermenter, ce qui se fait avec grand bruit ; on distille ensuite le mélange, & l’on obtint une liqueur aussi forte que l’eau-de-vie ; par une seconde distillation elle devient, dit-on, assez forte pour mordre sur le fer. Deux puds