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elle étoit gouvernée par un proconsul au tems de la république, & même depuis, Auguste l’ayant cédée au sénat dans le partage qu’il fit des provinces. L’Asie proconsulaire étoit d’une grande étendue ; elle comprenoit la Lydie, la grande Phrygie, la Misnie, l’Eolie, l’Ionie, les îles adjacentes, & la Carie. Ainsi la ville de Sardes passa sous la puissance de Rome.

Elle fabriquoit des monnoies plusieurs siecles avant l’empire Romain. Hérodote assure que les Lydiens furent les premiers qui firent frapper des monnoies d’or & d’argent ; je n’examine point si l’invention de l’art de battre monnoie leur est dûe ; il est certain que cet art est très-ancien en Lydie, & par conséquent à Sardes, qui en étoit la capitale. On voit encore dans les cabinets des anciennes monnoies d’un travail grossier, qu’on croit avoir été frappées sous les Atyades, anciens rois de Lydie. Quoi qu’il en soit, le cabinet du Roi & celui de M. Pellerin conservent plusieurs médailles d’argent & de bronze de la ville de Sardes, où l’on ne voit point la tête des empereurs ; cependant cette ville fit ensuite frapper un grand nombre de médailles avec la tête de ces princes. Les antiquaires en connoissent plus de cent vingt toutes différentes, depuis Auguste jusqu’à Valerien le jeune : il nous reste aussi plusieurs de ses inscriptions ; mais bornons-nous ici à l’histoire simple de cette ville ; nous avons à faire connoître sa position fertile, sa dignité, son gouvernement particulier, ses traités avec d’autres villes d’Asie, son culte religieux, ses temples, ses fêtes, & les jeux qu’elle a célébrés en l’honneur des dieux & des empereurs ; nous indiquerons aussi quels étoient les ministres de la religion des Sardiens. Enfin, comme il est intéressant de connoître quel a été dans la suite des siecles le sort d’une ville si fameuse, nous rapporterons en deux mots ses diverses révolutions depuis le haut empire jusqu’à-présent.

1. La ville de Sardes étoit éloignée d’Ephèse de 540 stades ; &, suivant les itinéraires, de 63 milles, qui font environ 21 lieues communes de France : si nous ne savions pas d’ailleurs qu’elle étoit de l’Asie proconsulaire & en Lydie, les monumens nous l’apprendroient, puisqu’on lit sur ses médailles, Σαρδιανῶν κοινοῦ Ἀσίας, & même le nom du proconsul, gouverneur de la province ; Γαίῳ Ἀσινίῳ Πολλίωνι Ἀνθυπάτῳ ; & dans une inscription, Τῆς Ἀσίας ναῶν τὸν ἐν Λυδίᾳ Καρδιανῶν.

On sait aussi qu’elle étoit située sur le penchant du mont Tmolus, vers le septentrion, selon Pline, l. V. c. xxjx. qui dit Sardibus in latere Tmoli montis ; qu’elle étoit arrosée par le Pactole, cette riviere si vantée dans l’antiquité pour les sables d’or qu’elle rouloit dans ses eaux, & qu’on n’y trouvoit plus au tems de Strabon. Ces circonstances locales sont encore marquées sur les médailles. On voit sur une médaille du cabinet du roi, la tête d’un vieillard couronné de pampre, avec le nom Τμῶλος, & au revers une figure assise qui tient un canthare, avec le nom de Σαρδινῶν. Le même dieu, le Tmole, sous la figure d’un vieillard, est représenté sur une des médailles de Sardes, frappée sous Domitien ; & une autre de Septime Severe, suivant le P. Froelich, a sur le revers le Pactole avec ses attributs, & la légende σαρδιανῶν.

L’opulence des rois de Lydie a été célebrée dans la plus haute antiquité : on croit qu’ils puisoient leurs trésors dans les mines d’or du Tmole, où sont les sources du Pactole ; mais ce qui contribua le plus dans tous les tems à la richesse de Sardes, ce fut la fertilité de son territoire. Les côteaux du Tmole étoient plantés de vignobles, dont le vin étoit fort estimé ; aussi a-t-on imaginé que Bacchus avoit été nourri à Sardes, & que cette ville a inventé l’art de faire le vin : ce dieu est représenté avec ses attributs, le canthare, le thyrse & la panthere, sur plusieurs de

ses médailles. Une plaine spacieuse s’étend du pié de la montagne jusqu’au-delà du fleuve Hermus, nommée par excellence la plaine de Sardes, Σαρδιανὸν πεδίον.

Elle est arrosée par un grand nombre de ruisseaux, & par le Hermus qui fertilise ses terres. On voit le fleuve représenté sur une médaille de sabine, Σαρδιανῶν Ἕρμος. La plaine outre les pâturages, produisoit en abondance des blés & des grains de toute espece ; Cérès & Triptolème qui présidoient à l’agriculture, sont représentés sur plusieurs de ses médailles. Sardes, dit Strabon, lib. XIII. p. 627. a été prise par les Cimmériens, par les Trères & les Lyciens, & ensuite par les Perses ; elle s’est toujours relevée de ses malheurs à cause de la bonté de son sol. Cette bonté contribua sans doute à son rétablissement, après cet horrible tremblement de terre qui renversa en une nuit douze villes d’Asie ; Sardes fut la plus maltraitée : asperrima in Sardianos lues, dit Tacite, annal. xj. 47. aussi eut-elle le plus de part aux libéralités de Tibere, qui fit rétablir ces villes, & Sardes par reconnoissance lui décerna les honneurs divins.

II. Si cette ville fut puissante par ses richesses, elle fut illustre par d’autres titres honorables. Dans la contestation qui s’éleva entre onze villes de l’Asie, qui toutes ambitionnoient l’honneur de bâtir un temple à Tibere, à Livie & au sénat, les villes de Smyrne & de Sardes, à l’exclusion des autres, resterent en concurrence. Leurs députés parlerent devant le sénat, & si ceux de Sardes n’eurent pas l’avantage sur les Smyrnéens, c’est que ces derniers firent valoir leur antiquité, & les services importans qu’ils avoient rendus aux Romains dans les tems les plus difficiles. Sardes néanmoins pouvoit presque prendre sur ses monumens, les mêmes titres d’honneur que Smyrne ; c’étoit une grande ville, dit Strabon, la plus grande de l’Asie, suivant Séneque, & l’une des plus magnifiques. On voyoit près de cette ville, les tombeaux des anciens rois de Lydie, μνήματα τῶν βασιλέων, & en particulier celui d’Alyatte, pere de Crésus.

Antonin Pie dans un de ses rescrits, met Sardes au nombre des villes qu’il qualifie de métropole de peuples. Elle étoit métropole de la Lydie : Lydia celebratur maximè Sardibus, dit Pline, lib. V. c. xxix. Aussi prenoit-elle le titre de métropole, comme l’a prouvé M. Askew, savant anglois, par une inscription qu’il a copiée sur les lieux en 1748. On lit sur un médaillon de Septime Sévere, σαρδιανῶν δὶς νεοκόρων μετροπόλεως ἀσίας. Enfin dans la division que les Romains firent de la province d’Asie en plusieurs préfectures ou jurisdictions, qu’ils nommoient juridici conventus, celle de Sardes à laquelle ressortissoient plusieurs grandes villes, étoit une des plus étendues.

III. Dans les premiers tems, les villes de l’Asie étoient gouvernées suivant leurs lois, & par leurs propres magistrats : elles jouissoient alors d’une véritable autonomie. Sous la domination des Perses elles perdirent cette précieuse liberté. Alexandre le grand les rétablit dans leur ancien état, qui fut confirmé par les Romains, & nous savons que Sardes eut part à ce bienfait.

Le gouvernement de cette ville étoit démocratique ; l’autorité publique s’exerçoit au nom du peuple par un conseil public, comme on le voit sur un monument érigé en l’honneur d’Antonin Pie : Ἡ. Βουλὴ Καὶ ὁ Δῆμος τῶν σαρδιανῶν. Outre le conseil commun de la ville appellé βουλὴ, composé des archontes & d’autres conseillers, la ville de Sardes avoit un sénat ou conseil des anciens, γερουσία, dont il est fait mention dans une belle inscription de cette ville, rapportée par Spon (misc. p. 317.) Ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆμος καὶ ἡ γερουσία ἐτίμησαν, &c. Ce conseil s’assembloit dans le palais de Crésus, que les Sardiens avoient destiné pour le logement & la retraite des citoyens pendant