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Les corps célestes sont lumineux, transparens, purs, mûs autour d’un centre ; ils ont de la chaleur ; ils obéissent à l’être nécessaire ; ils s’en occupent.

En vous conformant à leur bonté, vous ne blesserez ni les plantes, ni les animaux ; vous ne détruirez rien sans nécessité ; vous entretiendrez tout dans son état d’intégrité ; vous vous attacherez à écarter de vous toute souillure extérieure. Vous tournerez sur vous-même, d’un mouvement circulaire & rapide ; vous poursuivrez ce mouvement jusqu’à ce que le saint vertige vous saisisse : vous vous éleverez par la contemplation au-dessus des choses de la terre. Vous vous séparerez de vos sens ; vous fermerez vos yeux & vos oreilles aux objets extérieurs ; vous enchaînerez votre imagination ; vous tenterez tout pour vous aliéner & vous unir à l’être nécessaire. Le mouvement sur vous-même, en vous étourdissant, vous facilitera beaucoup cette pratique. Tournez donc sur vous-même, étourdissez-vous, procurez-vous le saint vertige.

Le saint vertige suspendra toutes les fonctions du corps & de l’esprit animal, vous réduira à votre essence, vous fera toucher à l’être éternel, vous assimilera à lui.

Dans l’assimilation à l’être divin, il faut considérer ses attributs. Il y en a de positifs ; il y en a de négatifs.

Les positifs constituent son essence ; les privatifs sa perfection.

Vos actions seront imitatives de celles de l’être nécessaire, si vous travaillez à acquérir les premiers, & à éloigner de vous toutes les qualités dont les seconds supposent la privation.

Occupez-vous à séparer de vous toutes les qualités surajoutées à la corporéité. Enfoncez-vous dans une caverne, demeurez-y en repos, la tête penchée, les yeux fixés en terre ; perdez, s’il se peut, tout mouvement, tout sentiment ; ne pensez point, ne réfléchissez point, n’imaginez point ; jeunez, conduisez par degrés toute votre existence, jusqu’à l’état simple de votre essence ou de votre ame ; alors un, constant, pur, permanent, vous entendrez la voix de l’être nécessaire : il s’intimera à vous ; vous le saisirez ; il vous parlera, & vous jouirez d’un bonheur que celui qui ne l’a point éprouvé n’a jamais conçu, & ne concevra jamais.

C’est alors que vous connoîtrez que votre essence differe peu de l’essence divine ; que vous subsistez ou qu’il y a quelque chose en vous qui subsiste par soi-même, puisque tout est détruit, & que ce quelque chose reste & agit ; qu’il n’y a qu’une essence, & que cette essence est comme la lumiere de notre monde, une & commune à tous les êtres éclairés.

Celui qui a la connoissance de cette essence, a aussi cette essence. C’est en lui la particule de contact avec l’essence universelle.

La multitude, le nombre, la divisibilité, la collection, sont des attributs de la corporéité.

Il n’y a rien de cela dans l’essence simple.

La sphere suprème, au-delà de laquelle il n’y a point de corps, a une essence propre. Cette essence est incorporelle. Ce n’est point la même que celle de Dieu. Ce n’est point non plus quelque chose qui en differe ; l’une est à l’autre comme le soleil est à son image représentée dans une glace.

Chaque sphere céleste a son essence immatérielle, qui n’est point ni la même que l’essence divine, ni la même que l’essence d’une autre sphere, & qui n’en est cependant pas différente.

Il y a différens ordres d’essences.

Il y a des essences pures ; il y en a de libres ; il y en a d’enchaînées à des corps ; il y en a de souillées ; il y en a d’heureuses ; il y en a de malheureuses.

Les essences divines & les ames héroïques sont li-

bres. Si elles sont unies ou liées à quelque chose,

c’est à l’essence éternelle & divine, leur principe, leur cause, leur perfection, leur incorruptibilité, leur éternité, toute leur perfection.

Elles n’ont point de corps & n’en ont pas besoin.

Le monde sensible est comme l’ombre du monde divin ; quoique celui-ci n’ait nulle dépendance, nul besoin du premier, il seroit absurde de supposer l’un existant, & l’autre non existant.

Il y a corruption, vicissitude, génération, changement dans le monde sensible ; mais rien ne s’y résout en privation absolue.

Plus on s’exercera à la vision intuitive de l’essence premiere, plus on l’acquerra facilement. Il en est du voyage du monde sensible dans le monde divin, comme de tout autre.

Cette vision ne sera parfaite qu’après la mort. L’ame ou l’essence de l’homme sera libre alors de tous les obstacles du corps.

Toute cette science mystique est contenue dans le livre du saint prophete ; je ne suis que l’interprete. Je n’invente aucune vérité nouvelle. La raison étoit avant moi ; la tradition étoit avant moi ; l’alcoran étoit avant moi. Je rapproche ces trois sources de lumiere.

Pourquoi le saint prophete ne l’a-t-il pas fait lui-même ? c’est un châtiment qu’il a tiré de l’opiniâtreté, de la desobéissance & de l’imbécillité de ceux qui l’écoutoient. Il a laissé à leurs descendans le soin de s’élever par eux-mêmes à la connoissance de l’unité vraie.

L’imitateur du saint prophete, qui travaillera comme lui à éclairer ses semblables, trouvera les mêmes hommes, les mêmes obstacles, les mêmes passions, les mêmes jalousies, les mêmes inimitiés, & il exercera la même vengeance. Il se taira ; il se contentera de leur prescrire les principes de cette vie, afin qu’ils s’abstiennent de l’offenser.

Peu sont destinés à la félicité de la vie ; les seuls vrais croyans l’obtiendront.

Quand on voit un derviche tourner sur lui-même jusqu’à tomber à terre, sans connoissance, sans sentiment ; yvre, abruti, étourdi, presque dans un état de mort, qui croiroit qu’il a été conduit à cette pratique extravagante par un enchaînement incroyable de conséquences déliées, & de vérités très-sublimes ?

Qui croiroit que celui qui est assis immobile au fond d’une caverne, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête penchée sur ses mains, les yeux fixément attachés au bout de son nez, où il attend des journées entieres l’apparition béatifique de la flamme bleue, est un aussi grand philosophe que celui qui le regarde comme un fou, & qui se promene tout fier d’avoir découvert qu’on voit tout en Dieu ?

Mais après avoir exposé les principaux axiomes de la philosophie naturelle des Arabes & des Sarrasins, nous allons passer à leur philosophie morale.

Après avoir remarqué que c’est vraissemblablement par une suite de ces idées que les musulmans réverent les idiots : ils les regardent sans doute comme des hommes étourdis de naissance, qui sont naturellement dans l’état de vertige, & dont la stupidité innée suspendant toutes les fonctions animales & vitales ; l’essence de leur être est sans habitude, sans exercice ; mais par une faveur particuliere du ciel, intimement unie à l’essence éternelle.

Mahomet ramena les idolâtres à la connoissance de l’unité de Dieu, il assura les fondemens de la science morale, la distinction du juste & de l’injuste, l’immortalité de l’ame, les recompenses & les chatimens à venir ; il pressentit que la passion des femmes étoit trop naturelle, trop générale & trop violente, pour tenter avec quelque succès à la refrener ; il aima mieux y conformer sa législation, que d’en multiplier à l’infini les infractions, en opposant son autorité à l’im-