Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/774

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par la connoissance ; on peut l’appeller intérieure ou extérieure, sensitive ou méchanique, philosophique ou surnaturelle, de la raison ou de la grace.

La méchanique inventée pour suppléer à la foiblesse des organes est servile ; elle est au-dessous du philosophe ; elle comprend l’art d’ourdir des étoffes, l’agriculture, la chasse, la navigation, la médecine, l’art scénique, &c.

La sensitive qui nous conduit à la connoissance des formes naturelles par les organes corporels. Il y a un esprit dans les nerfs qui se multiplie & se diversifie en autant de sens que l’homme en a reçus.

La philosophique s’éleve aux vérités intelligibles, aux causes des choses, à l’aide de la raison & des principes.

La vérité peut se considérer ou dans les discours, ou dans les choses, ou dans les actions, & la Philosophie se diviser en rationnelle, naturelle & morale.

La rationnelle s’occupe de l’un de ces trois objets, exprimer, enseigner ou mouvoir. La grammaire exprime, la logique enseigne, la rhétorique meut ; c’est la raison qui comprend, ou indique, ou persuade.

Les raisons qui dirigent notre entendement dans ses fonctions sont ou relatives à la matiere, ou à l’esprit, ou à Dieu. Dans le premier cas, elles retiennent le nom de formelles ; dans le second, on les appelle intellectuelles ; au troisieme, idéales. De-là trois branches de philosophie naturelle, physique, mathématique & métaphysique.

La Physique s’occupe de la génération & de la corruption, selon les forces de la nature & les élémens des choses.

Les Mathématiques des abstractions, selon les raisons intelligibles.

La Métaphysique de tous les êtres, entant que réductibles à un seul principe dont ils sont émanés, selon des raisons idéales, à Dieu qui en fut l’exemplaire & la source, & qui en est la fin.

La vertu a trois points de vûe différens, la vie, la famille & la multitude ; & la morale est ou monastique, ou économique, ou politique.

La lumiere de l’Ecriture nous éclaire sur les vérités salutaires ; elle a pour objet les connoissances qui sont au-dessus de la raison.

Quoiqu’elle soit une, cependant il y a le sens mystique & spirituel, selon lequel elle est allégorique, morale ou anagogique.

On peut rappeller toute la doctrine de l’Ecriture à la génération éternelle de Jesus-Christ, à l’incarnation, aux mœurs, à l’union ou commerce de l’ame avec Dieu ; de-là les fonctions du docteur, du prédicateur & du contemplant.

Ces six illuminations ont une vespérie ou soirée : il suit un septieme jour de repos, qui n’a plus de vespérie ou de soirée ; c’est l’illumination glorieuse.

Toutes ces connoissances tirent leur origine de la même lumiere ; elles se rappellent à la connoissance des Ecritures, elles s’y résolvent, y sont contenues & consommées ; & c’est par ce moyen qu’elles conduisent à l’illumination éternelle.

La connoissance sensible se rappelle à l’Ecriture, si nous passons de la maniere dont elle atteint son objet, à la génération divine du verbe ; de l’exercice des sens, à la régularité des mœurs ; & des plaisirs dont ils sont la source, au commerce de l’ame & de Dieu.

Il en est de même de la connoissance méchanique & de la connoissance philosophique.

Les écritures sont les empreintes de la sage sse de Dieu : la sagesse de Dieu s’étend à tout. Il n’y a donc aucune connoissance humaine qui ne puisse se rapporter aux Ecritures & à la Théologie. Et j’ajouterai

aucun homme, quelque sensé qu’il soit, qui ne rapporte tous les points de l’espace immense qui l’environne, au petit clocher de son village.

Pierre d’Espagne, mieux connu dans l’histoire ecclésiastique sous le nom de Jean XXI. avoit été philosophe avant que d’être pape & théologien. Tritheme dit de lui qu’il entendoit la médecine, & qu’il eût été mieux à côté du lit d’un malade que sur la chaire de S. Pierre. Calomnie de moine offensé : il montra dans les huit mois de son pontificat qu’il n’étoit point au-dessous de sa dignité : il aima les sciences & les savans ; & tout homme lettré, riche ou pauvre, noble ou roturier, trouva un accès facile auprès de lui. Il finit sa vie sous les ruines d’un bâtiment qu’il faisoit élever à Viterbe. Il a laissé plusieurs ouvrages où l’on voit qu’il étoit très-versé dans la mauvaise philosophie de son tems.

Roger Bacon fut un des génies les plus surprenans que la nature ait produit, & un des hommes les plus malheureux. Lorsqu’un être naît à l’illustration, il semble qu’il naisse aussi aux supplices. Ceux que la nature signe, sont également signés par elle pour les grandes choses & pour la peine. Bacon s’appliqua d’abord à la grammaire, à l’art oratoire & à la dialectique. Il ne voulut rien ignorer de ce qu’on pouvoit savoir en mathématique. Il sortit de l’Angleterre sa patrie, & il vint en France entendre ceux qui s’y distinguoient dans les sciences. Il étudia l’histoire, les langues de l’Orient & de l’Occident, la Jurisprudence & la Médecine. Ceux qui parcoureront ses ouvrages le trouveront versé dans toute la littérature ancienne & moderne, & familier avec les auteurs grecs, latins, hébreux, italiens, françois, allemands, arabes. Il ne négligea pas la Théologie. De retour dans sa patrie, il prit l’habit de franciscain ; il ne perdit pas son tems à disputer ou à végéter ; il étudia la nature ; il rechercha ses secrets ; il se livra tout entier à l’Astronomie, à la Chimie, à l’Optique, à la Statique ; il fit dans la Physique expérimentale de si grands progrès, qu’on apperçoit chez lui les vestiges de plusieurs découvertes qui ne se sont faites que dans des siecles très-postérieurs au sien ; mais rien ne montre mieux la force de son esprit que celle de ses conjectures. L’art, dit-il, peut fournir aux hommes des moyens de naviger plus promptement & sans le secours de leurs bras, que s’ils y en employoient des milliers. Il y a telle construction de chars, à l’aide de laquelle on peut se passer d’animaux. On peut traverser les airs en volant à la maniere des oiseaux. Il n’y a point de poids, quelqu’énormes qu’ils soient, qu’on n’éleve ou n’abaisse. Il y a des verres qui approcheront les objets, les éloigneront, les agrandiront, diminueront ou multiplieront à volonté. Il y en a qui réduiront en cendres les corps les plus durs. Nous pouvons composer avec le salpêtre & d’autres substances un feu particulier. Les éclairs, le tonnerre, & tous ses effets, il les imitera : on détruira, si l’on veut, une ville entiere, avec une très-petite quantité de matiere. Ce qu’il propose sur la correction du calendrier & sur la quadrature du cercle, marque son savoir dans les deux sciences auxquelles ces objets appartiennent. Il falloit qu’il possédât quelque méthode particuliere d’étudier les langues greques & hébraïque, à en juger par le peu de tems qu’il demandoit d’un homme médiocrement intelligent pour le mettre en état d’entendre tout ce que les auteurs grecs & hébreux ont écrit de théologie & de philosophie. Un homme aussi au-dessus de ses contemporains ne pouvoit manquer d’exciter leur jalousie. L’envie tourmente les hommes de génie dans les siecles éclairés ; la superstition & l’ignorance font cause commune avec elle dans les siecles barbares. Bacon fut accusé de magie : cette calomnie compromettoit son repos & sa liberté. Pour obvier aux suites fâcheuses