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Conrad d’Halberstad. Il faut le louer de s’être occupé de la morale, si méprisée, si négligée de ses contemporains, mais bien davantage d’en avoir moins cherché les vrais préceptes dans Aristote que dans la nature de l’homme. Le goût de l’utile ne se porte pas sur un objet seulement ; Conrad joignit à l’étude de la Morale celle de la Physique. Il étoit de l’ordre de S. Dominique. Il satisfit à la curiosité des religieux en écrivant des corps célestes, des élémens, ou simples, de quelques mixtes, ou des minéraux ou des végétaux, des animaux & de leurs organes, & de l’homme.

Bibrach remarqua la corruption de l’église dans son ouvrages de cavendo malo.

Eccard confondant les opinions d’Aristote avec les dogmes de Jesus-Christ, ajoutant de nouveaux mots à ceux qu’on avoit déja inventés, tomba dans des sentimens hétérodoxes que Jean XXII. proscrivit.

Nous terminerons la seconde époque par Pierre de Dacia, & par Alphonse X. roi de Castille.

Pierre de Dace fut astronome & calculateur ; il eut quelque teinture d’hébreu & de grec.

Personne n’ignore combien l’Astronomie doit à Alphonse : qui est-ce ce qui n’a pas entendu nommer du-moins les tables alphonsines ? C’est lui qui considérant les embarras de la sphere de Ptolomée, disoit que « si Dieu l’avoit appellé à son conseil, il auroit arrangé le ciel un peu mieux ».

Troisieme période de la philosophie scholastique. Lorsque l’absurdité soit dans les sciences, soit dans les arts, soit dans la religion, soit dans le gouvernement, a été poussée jusqu’à un certain point, les hommes en sont frappés, & le mal commence à se réparer quand il est extrème. La philosophie & la théologie scholastique étoient devenues un si abominable fatras, que les bons esprits ou s’en dégoûterent, ou s’occuperent à les débrouiller.

Guillaume Durand commença cette tâche. Il en fut appellé le docteur très-résolu. Il eut des opinions particulieres sur l’état des ames après leur séparation d’avec le corps, & le concours de Dieu & de la créature. Il n’en admettoit qu’un géneral ; selon lui, un esprit est dans le lieu ; mais ce lieu n’est point déterminé. Il convient à son essence d’être par-tout. Sa présence à un corps n’est pas nécessaire, soit pour l’animer, soit pour le mouvoir. Sa hardiesse philosophique fit douter de son orthodoxie & de son salut.

Occam disciple de Scot, renouvella la secte des nominaux. On l’appella le docteur singulier & invincible ; il professa la théologie à Paris au commencement du quatorzieme siecle. Il eut des idées très-saines sur les deux puissances ecclésiastiques & civiles, & il servit avec zele Philippe-le-Bel dans sa querelle avec Boniface. Il en eut un autre sur la propriété des biens religieux avec le pape Jean XXII. qui l’anathématisa. Il vint en France y chercher un asyle, d’où il eut bientôt occasion de se venger de la cour de Rome, en achevant de fixer les limites de l’autorité du souverain pontife. Celui-ci eut beau renouveller ses excommunications, l’aggraver, briser des cierges, & le réaggraver, Occam persista à soutenir que le souverain n’étoit soumis qu’à Dieu dans les choses temporelles. Il se montra en 1330 à la cour de l’empereur Louis, qui l’accueillit, & à qui Occam dit : Défendez-moi de votre épée, & moi je vous défendrai de ma plume. Il a écrit de la Logique, de la Métaphysique & & de la Théologie. On lui reproche d’avoir fait fleche de tout, mêlant les peres & les philosophes, les auteurs sacrés & les auteurs profanes, les choses divines & les choses naturelles, les dogmes révélés & les opinions des hommes, le profane & le sacré, l’exotique & le domestique, l’orthodoxe & l’hérésie, le vrai & le faux, le clair & l’obscur, plus scrupuleux sur son but que sur les moyens.

Richard Suisset parut vers le milieu du quatorzieme

siecle. Il s’appliqua aux mathématiques, & tenta de les appliquer à la philosophie naturelle ; il ne négligea ni la philosophie, ni la théologie de son tems. Il entra dans l’ordre de Cîteaux en 1350. Rien ne s’allarme plus vîte que le mensonge. C’est l’erreur & non la vérité qui est ombrageuse. On s’apperçut aisément que Suisset suivoit une méthode particuliere d’étudier & d’enseigner, & l’on se hâta de le rendre suspect d’hétérodoxie. Le moyen qu’un homme sût l’algebre, & qu’il remplît sa physique de caracteres inintelligibles, sans être un magicien ou un athée ? Cette vile & basse calomnie est aujourd’hui, comme alors, la ressource de l’ignorance & de l’envie. Si nos hypocrites, nos faux dévots l’osoient, ils condamneroient au feu quiconque entend les principes mathématiques de la philosophie de Newton, & possede un fossile. Suisset suivit la philosophie d’Aristote. Il commenta sa physique & sa morale ; il introduisit le calcul mathématique dans la recherche des propriétés des corps, & publia des astronomiques. Il écrivit un ouvrage intitulé le calculateur. Il méritoit d’être nommé parmi les inventeurs de l’algebre, & il l’eût été, si son livre du calculateur eût été plus commun. On étoit alors si perdu dans des questions futiles, qu’on ne pouvoit revenir à de meilleures connoissances. S’il paroissoit par hasard un ouvrage sensé, il n’étoit pas lu. Comme il n’y a rien qui ne soit susceptible de plus ou de moins, Suisset étendit le calcul de la quantité physique à la quantité morale. Il compara les intensités & les remissions des vices & des vertus entr’elles. Les uns l’en louerent, d’autres l’en blâmerent. Il traite dans son calculateur de l’intensité & de la remission ; des difformes ; de l’intensité de l’élement doué de deux qualités inégales ; de l’intensité du mixte ; de la rareté & de la densité ; de l’augmentation ; de la réaction ; de la puissance ; des obstacles de l’action ; du mouvement & du minimum ; du lieu de l’élément ; des corps lumineux ; de l’action du corps lumineux ; du mouvement local ; d’un milieu non-résistant ; de l’induction d’un degré suprème. Il ne s’agit plus ici, comme on voit, d’ecceité, de quiddité, d’entité, ni d’autres sottises pareilles. De quelque maniere que Suisset ait traité son sujet, du-moins il est important. Il marque une tête singuliere ; & je ne doute point qu’on ne retrouvât dans cet auteur le germe d’un grand nombre d’idées dont on s’est fait honneur long-tems après lui.

Buridan professa la philosophie au tems où Jeanne, épouse de Philippe-le-Bel, se deshonoroit par ses débauches & sa cruauté. On dit qu’elle appelloit à elle les jeunes disciples de notre philosophe, & qu’après les avoir épuisés entre ses bras, elle les faisoit précipiter dans la Seine. On croit que Buridan, qui voyoit avec chagrin son école se dépeupler de tous ceux qui y entroient avec une figure agréable, osa leur proposer cet exemple d’un sophisme de position : Reginam interficere nolite, timere, bonum est ; où le verbe timere renfermé entre deux virgules, peut également se rapporter à ce qui précede ou à ce qui suit, & présenter deux sens en même tems très-opposés. Quoi qu’il en soit, il se sauva de France en Allemagne. Tout le monde connoît son sophisme de l’âne placé entre deux bottes égales de foin.

Marsile d’Inghen fut condisciple de Buridan, & défenseur comme lui de l’opinion des nominaux.

Gautier Buley fut appellé le docteur perspicu. Il écrivit de la vie & des mœurs des philosophes, depuis Thalès jusqu’à Séneque ; ouvrage médiocre. Il fut successivement réaliste & nominal.

Pierre de Assiac fut encore plus connu parmi les théologiens que parmi les philosophes. Il naquit en 1350. Il fut boursier au college de Navarre, docteur en 1380 ; successivement principal, professeur, maître de Gerson & de Clémangis, défenseur de l’imma-