Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/807

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Mais Leuwenhoek, plus heureux que Rédi, au lieu d’un trou unique que les autres auteurs supposoient, en a vu deux, dont M. de Maupertuis a confirmé l’existence, & en a donné la figure & la description qui ne different qu’en peu de choses de celle de Leuwenhoek ; cette différence même peut venir de la différente espece de scorpions que les deux observateurs ont examiné, savoir l’un en Hollande, & l’autre à Montpellier. Voici la description de l’académicien de Paris, qui avant sa mort étoit directeur de l’académie de Berlin.

Le dernier nœud de la queue du scorpion est une petite fiole d’une espece de corne, qui se termine par un col noir fort dur, fort pointu, & ce col est l’aiguillon ; il présente au microscope deux petits trous beaucoup plus longs que larges, qui au-lieu d’être placés à l’extrémité de l’aiguillon, le sont des deux côtés à quelque distance de la pointe. Dans plusieurs aiguillons, quelquefois la situation de ces trous varie un peu, quoiqu’ordinairement ils commencent à la même distance de la pointe.

Il n’est pas nécessaire que le microscope grossisse beaucoup les objets, pour appercevoir ces trous ; on les découvre fort bien avec une loupe de deux ou trois lignes de foyer : & lorsque Rédi n’a pu les voir, c’est apparemment qu’il s’est attaché à chercher à l’extrémité de l’aiguillon, un trou qui n’y est point, & que présentant toujours à son microscope l’aiguillon par la pointe, il ne pouvoit pas appercevoir ces trous placés comme ils sont ; on peut même s’assurer de leur situation sans microscope ; si l’on presse fortement la fiole qu’on vient de décrire, on voit la liqueur qu’elle contient, s’échapper à droite & à gauche par ces deux trous.

Le scorpion est fort commun dans les pays chauds, comme en Afrique, en Asie, en Italie, en Espagne, en Languedoc, en Provence ; il habite les trous de murailles & de la terre ; il se nourrit de vers, de cloportes, d’araignées, d’herbes, &c. Il chemine de biais, & il s’attache si bien avec ses piés & ses serres à ce qu’il veut empoigner, qu’on ne l’en arrache que difficilement.

Ses especes. Il y en a de plusieurs especes, dont nos naturalistes n’ont point encore fait d’exacte division ; mais on n’a guere que deux sortes de scorpions en Languedoc, dont l’une se trouve assez communément dans les maisons, & l’autre habite la campagne. Les premiers sont beaucoup plus petits que les derniers ; ils ressemblent pour la couleur au café brûlé, & passent pour être moins dangereux que les rustiques, lesquels sont en si grande quantité vers un village appellé Souvignargues, à cinq lieues de Montpellier, que les paysans en font une sorte de petit commerce ; ils les cherchent sous les pierres, & les vendent aux apothicaires des villes voisines, qui les emploient dans leur remede en usage contre la piquure du scorpion. Matthiole raconte qu’en Italie il n’y a ni maisons, ni caves, ni celliers, qui n’en soient infectés ; l’exagération est un peu forte ; ils passent pour être fort venimeux en Toscane & dans la Scythie.

Nos voyageurs disent qu’on trouve en Amérique des scorpions dix fois plus grands que les nôtres, & qui cependant ne sont pas venimeux ; ils assurent qu’on en voit d’aîlés, & que ces derniers tuent les lézards & les serpens ; mais de semblables récits n’ont point trouvé créance.

Effets attribués à sa piquure. Il n’en est pas de même des descriptions effrayantes que quelques médecins anciens & modernes nous ont faites, des symptomes produits par la piqure des scorpions.

Elle cause, disent ils, une douleur violente dans la partie, avec tension, engourdissement, & sueur froide par tout le corps ; ceux qui en sont piqués sont quelquefois affectés d’enflure aux aînes, ou d’u-

ne tumeur sous les aisselles ; si la piquure est considérable,

la partie est d’abord affectée d’une chaleur pareille à celle que causent les brulures, suivie d’une fievre aiguë, de vomissemens, & de pissement de sang. Il paroît quelquefois des meurtrissures accompagnées de démangeaisons autour des levres de la plaie, de même que sur tout le corps, de maniere qu’il semble que le malade ait été frappé de la grêle ; il s’amasse des matieres gluantes autour des yeux, les larmes sont visqueuses, & les jointures perdent leur mouvement ; enfin le malade écume, vomit, est attaqué de hoquets, tombe dans des convulsions qui tiennent de l’opisthotonos, & meurt dans cet état. Tous ces symptomes, ajoute-t-on, varient suivant le tempérament du malade, la saison, le pays, l’espece, & l’irritation du scorpion.

Il seroit à souhaiter que nous tinssions ces détails de la main d’observateurs fideles, qui les eussent vûs de leurs propres yeux sur différens malades, & les eussent soigneusement transcrits ; mais c’est ce qui n’est point encore arrivé. Au défaut de pareilles observations qui nous manquent, on a tâché de juger par analogie, des effets de la piquure du scorpion sur les hommes, & en faisant des expériences sur les animaux. Nous pouvons sur-tout compter sur celles de M. de Maupertuis qui dans un voyage à Montpellier, crut ne devoir pas négliger ce genre de recherches, qui intéresse la vie des hommes, ou qui du moins peut servir à tranquilliser leur imagination.

Expériences de M. de Maupertuis à ce sujet. Le premier chien qu’il fit piquer à la partie du ventre qui est sans poil, & qui reçut trois ou quatre coups de l’aiguillon d’un scorpion irrité, devint au bout d’une heure très-enflé & chancelant ; il rendit tout ce qu’il avoit dans l’estomac & dans les intestins, & continua pendant trois heures de vomir de tems-en-tems une espece de bave visqueuse ; son ventre, qui étoit fort tendu, diminuoit après chaque vomissement ; cependant il recommençoit bientôt de s’enfler, & quand il l’étoit à un certain point, il revomissoit encore ; ces alternatives d’enflures & de vomissemens, durerent environ trois heures, ensuite les convulsions le prirent, il mordit la terre, se traîna sur les pattes de devant, enfin mourut cinq heures après avoir été piqué. Il n’avoit aucune enflure à la partie piquée, comme ont les animaux piqués par les abeilles ou les guêpes ; l’enflure étoit générale, & l’on voyoit seulement à l’endroit de chaque piquure, un petit point rouge, qui n’étoit que le trou qu’avoit fait l’aiguillon, rempli de sang extravasé.

Au bout de quelques jours M. de Maupertuis fit piquer un autre chien cinq à six fois au même endroit que le premier ; celui ci n’en fut point malade ; les piqures furent réiterées dix ou douze fois quelques heures après, par plusieurs scorpions irrités ; le chien jetta seulement quelques cris, mais il ne se ressentit en aucune maniere du venin.

Cette expérience fut renouvellée sur sept autres chiens, par de nouveaux scorpions, & malgré toute la fureur & tous les coups des scorpions, aucun chien ne souffrit le moindre accident.

La même expérience fut répétée sur trois poulets, qui furent piqués sous l’aîle & sur la poitrine, mais aucun ne donna le moindre signe de maladie.

De toutes ces expériences il est aisé de conclure que quoique la piquure du scorpion soit quelquefois mortelle, elle ne l’est cependant que rarement ; elle aura besoin pour cela du concours de certaines circonstances, qu’il seroit difficile de déterminer ; la qualité des vaisseaux que rencontre l’aiguillon, les alimens qu’aura mangé le scorpion, une trop grande diete qu’il aura souffert, peuvent contribuer, ou s’opposer aux effets de la piquure. Peut-être que la li-