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offrandes & des sacrifices. Moïse en a institué dans l’église judaïque : la chrétienne en a reçu de J. C. Jusqu’au tems de Moïse, c’est-à-dire pendant tout le tems de la loi de nature, les hommes n’avoient pour se gouverner que la raison naturelle & les traditions de leurs ancêtres. On n’avoit point encore érigé le temple au vrai Dieu, le culte alors n’avoit point de forme fixe & déterminée ; chacun choisissoit les cérémonies qu’il croyoit les plus significatives pour exprimer au dehors sa religion. Enfin le culte fut fixé par Moïse, & tous ceux qui voulurent avoir part aux faveurs plus marquées que Dieu répandoit sur le peuple juif, étoient obligés de le révérer & de s’y soumettre. Sur les débris de cette religion, qui n’étoit que l’ombre & l’ébauche d’une religion plus parfaite, s’est élevée la religion Chrétienne, au culte de laquelle tout homme est obligé de se soumettre, parce que c’est la seule véritable, qu’elle a été marquée au sceau de la Divinité, & que la réunion de tous les peuples dans ce culte uniforme, est fondée sur l’œconomie des decrets de Dieu. Voyez l’article de la .

Religion, se dit plus particulierement du système particulier de créance & de culte qui a lieu dans tel ou tel pays, dans telle ou telle secte, dans tel ou tel tems, &c.

Dans ce sens, on dit la religion romaine, la religion réformée, la religion des Grecs, celle des Turcs, des sauvages d’Amérique, des Siamois, &c.

Ceux-ci, dit le ministre Claude, soutiennent que la diversité des religions, c’est-à-dire les différentes manieres d’honorer Dieu lui sont agréables, parce que toutes ont le même objet, toutes tendent à la même fin, quoique par des moyens différens.

Principe faux, si Dieu a déclaré qu’il rejettoit tel ou tel culte, comme insuffisant ou imparfait, & qu’il en adoptoit tel ou tel autre, comme plus pur & plus raisonnable ; si d’ailleurs il a établi dans le monde quelqu’autorité visible qui dût avec pleine puissance, régler la maniere & les cérémonies du culte qu’il a approuvé ; or c’est ce qu’il a fait par la révélation & par l’établissement de son Eglise.

C’est donc à tort, que le même ministre prétend que le sentiment de ces idolâtres est beaucoup plus équitable, que celui de ces zélateurs qui croyent qu’il n’y a que leur culte qui soit agréable à Dieu ; & l’on sent que par ces zélateurs, il a voulu désigner les Catholiques Car ceux-ci ne condamnent pas les autres cultes précisément par leurs propres lumieres, mais parce que Dieu les a rejettés, parce qu’ils ne sont pas conformes à celui qu’il a établi, & parce qu’enfin ils ne sont point autorisés par la puissance à qui il a confié l’interprétation de ses lois.

La religion d’une assez grande partie du monde, est celle dont on peut trouver une description exacte dans un des chœurs de la troade de Séneque, à la fin du second acte qui commence ainsi :

Verum est, an timidos fabula decipit ?
Umbras corporibus vivere conditis, &c.

C’est suivant Guy Patin, la religion des princes, des grands, des magistrats, & même de quelques médecins & philosophes, & il ajoute que le duc de Mayenne, chef de la ligue en France, avoit coutume de dire que les princes ne commençoient à avoir de la religion, qu’après avoir passé quarante ans, cum numina nobis mors instans majora facit. Patin, lettres choisies. Lettre 106. pensée fausse & démentie par l’expérience de tous les siecles.

Religion des Grecs & des Romains, (Théologie payenne.) c’est la même religion ; la greque est la mere, & la romaine est la fille. On se tromperoit si l’on regardoit Romulus comme le pere de la religion des Romains. Il l’avoit apportée d’Albe, & Albe l’avoit re-

çue des Grecs. Les critiques qui contestent la venue

d’Enée en Italie, ne nient pas qu’avant même la guerre de Troie, les Arcadiens sous Oénotrus, les Palantiens sous Evandre, les Pélages, ne soient venus avec leurs dieux en Italie. Ainsi sans recourir à Enée, la religion greque se trouve à la naissance de Rome. Rémus & Romulus un peu avant que de poser la premiere pierre, célebrent les Lupercales selon la coutume d’Arcadie, & l’institution d’Evandre ; & lorsque la ville reçoit ses citoyens, Romulus commençant par le culte des dieux, consacre des temples, éleve des autels, établit des fêtes & des sacrifices, en prenant dans la religion greque tout ce qu’il y a de mieux.

Il y a plus, les monumens l’attesterent long-tems à Rome & dans les autres villes d’Italie, témoin un autel érigé à Evandre sur le mont Aventin ; un autre à Carmenta sa mere près du capitole ; des sacrifices à Saturne selon le rit grec ; le temple de Junon à Fatères, modelé sur celui d’Argos, & le culte qui se ressembloit. Ces monumens & tant d’autres, que Dénis d’Halicarnasse avoit vûs en partie, lui font dire que Rome étoit une ville greque.

On prétend communément, que Numa donna la religion à Rome ; c’est confondre les ornemens d’un édifice avec la construction. A peine la foule de particuliers qui se jetta dans cette capitale fut réduite en corps politique, que Romulus y ouvrit, si je puis parler ainsi, un asyle aux dieux comme aux hommes.

Il est vrai cependant que Numa donna de l’ordre & de l’étendue aux cérémonies, aux fêtes, aux sacrifices, & au mystere sacré. Sous le regne de ce prince, la religion prit une forme stable ; soit qu’appellé à la couronne par sa piété, il n’eût d’autre objet que l’honneur des dieux ; ou que prévenu des principes de Pythagore, il voulût donner à sa politique tous les dehors de la religion ; soit qu’élevé dans la doctrine des anciens Sabins, comme plus pure & plus austere, & non point dans celle de ce philosophe, que Tite-Live nous assure n’avoir paru que sous le regne de Servius Tulsius, & encore aux extrémités de l’Italie, il crut pouvoir ne rien faire de plus avantageux pour l’établissement de l’empire romain, que d’y introduire les rits de son pays, & d’adoucir par les principes & les impressions de la religion, un peuple sauvage & belliqueux, qui ne connoissoit presque d’autres lois que celle de la supériorité, ni d’autres vertus que la valeur. Numa forma donc beaucoup d’établissemens utiles en ce genre ; mais ni lui, ni ses successeurs, ne toucherent point aux institutions de la religion greque fondée par Romulus.

La religion romaine étoit donc fille de la religion greque. On n’est pas surpris qu’une fille ressemble à sa mere, comme on ne l’est pas qu’elle en differe en quelque chose. Mais quelle fut la différence de l’une à l’autre ? qu’est-ce que les Romains ajouterent à la religion greque ? & qu’est-ce qu’ils en retrancherent ? C’est une recherche fort curieuse que je n’ai trouvé discutée que par M. l’abbé Coyer, dans une charmante dissertation dont nous allons donner le précis avec un peu d’étendue.

Ces additions & les retranchemens que les Romains firent à la religion greque, peuvent, dit-il, se présenter sous quatre faces : 1°. Rome en adoptant la religion greque, voulut des dieux plus respectables : 2°. des dogmes plus sensés : 3°. un merveilleux moins fanatique : 4°. un culte plus sage. Etablissons ces quatre points que M. l’abbé Goyer a si bien développés, & nous aurons le système & la différence des deux religions.

Nous écartons d’abord de notre point de vue la religion des philosophes grecs ou romains ; quelques-uns nioient l’existence des dieux, les autres dou-