Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/833

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& fit en particulier pour le roi les caryatides qui embellissent un des dômes du Louvre du côté de la cour ; car ces figures, quoique colossales, sont néanmoins très-dégagées, & semblent très-légeres ; il fit deux morceaux considérables dans l’église des jésuites de Paris : le premier est deux grands anges d’argent en l’air, tenant chacun d’une main un cœur d’argent. Je dis que ces anges sont en l’air, parce qu’ils ne sont attachés à l’arcade sous laquelle ils semblent voler effectivement, que par quelques barres de fer qu’on ne voit point. Le second morceau de sa main, est le mausolée de Henri de Bourbon prince de Condé, mausolée taillé dans le beau, & qu’on admireroit à tous égards, si le sacré & le profane, la Piété avec Minerve, ne s’y trouvoient mélangées. On voit de ce célebre artiste dans l’église des carmélites du fauxbourg S. Jacques, le tombeau du cardinal de Bérule ; dans l’église du noviciat des jésuites, & dans celle de S. Jacques de la Boucherie, deux crucifix de sa main. Ces productions de son génie sont d’une grande beauté. Parmi les ouvrages de son ciseau pour Versailles, on ne doit pas oublier de citer le grouppe de Remus & de Remulus allaités par une chevre ; & on voit à Marly un autre grouppe également estimé, représentant deux enfans qui se jouent avec un bouc. Mais pendant que Sarrasin avançoit sa carriere dans l’art de la sculpture, le Puget s’y élevoit pour le surpasser un jour.

Tadda (Francisco), sculpteur d’Italie, fleurissoit au milieu du xvj. siecle. Ayant trouvé quelques morceaux de porphyre parmi des pieces de vieux marbre, il essaya de les joindre, & d’en composer un bassin de fontaine pour Côme de Médicis, grand-duc de Toscane, & il réussit dans son entreprise. On dit qu’il fit distiller certaines herbes dont il retira une eau qui avoit la vertu de coller ensemble toutes sortes de morceaux de porphyre brisés. Si ce n’est point un conte que ce secret, il fut enterré avec lui.

Théodon, né en France dans le xvij. siecle, perfectionna ses talens en Italie, & devint sculpteur de la fabrique de S. Pierre. Un des deux grouppes de l’église de Jésus à Rome est de sa main, & l’autre de celle de le Gros. Les plus habiles sculpteurs qui fussent alors en Italie, présenterent chacun leur modele ; & ces modeles ayant été exposés, il fut décidé sur la voix publique, que celui de Théodon & celui de le Gros étoient les meilleurs. Théodon fit encore un autre grouppe, qu’on cite aujourd’hui parmi les chef-d’œuvres de la Rome moderne.

Tuby dit le Romain (Jean-Baptiste) de l’académie de sculpture, mort à Paris en 1700, âgé de 70 ans. Il tient un rang distingué parmi les artistes qui ont paru sous le regne de Louis XIV. On voit de lui dans les jardins de Versailles, une figure représentant le poëme lyrique. Il a encore embelli les jardins de Trianon, par une copie du fameux grouppe de Laocoon. Le mausolée du vicomte de Turenne enterré à S. Denys, est sans contredit le plus beau de particuliers honorés d’une sépulture à côté de nos rois. Le Brun en a tracé le plan, & Tuby l’a exécuté. On y voit l’Immortalité qui tient d’une main une couronne de laurier, & qui soutient de l’autre ce grand homme. La Sagesse & la Vertu sont à ses côtés. La premiere est étonnée du coup funeste qui enleve ce héros à la France, & l’autre est plongée dans la consternation.

Van-Clève (Corneille) originaire de Flandres, né à Paris, a été un des bons sculpteurs de France. On voit dans plusieurs églises de Paris, dans les maisons royales, & dans les provinces, quantité de beaux ouvrages sortis de ses mains. Il est mort en 1733, âgé de 89 ans.

Van-Obstal (Gérard), natif d’Anvers, mort à Paris en 1668, âgé de 73 ans. Il avoit beaucoup de ta-

lens pour les bas-reliefs, & travailloit admirablement

bien l’ivoire ; la figure du roi que l’on voit posée sur la porte Saint Antoine, est de cet habile maître.

Verrochio, (André) naquit à Florence en 1432, & mourut en 1488. Il tailla dans sa patrie les tombeaux des Médicis ; mais son chef-d’œuvre est un enfant de bronze pêchant à la ligne. Les deux têtes de métal en demi-relief, l’une d’Alexandre le grand, & l’autre de Darius, qu’il fit pour Laurent de Médicis, furent encore admirées. Il jetta en bronze à Venise la statue équestre de Barthelemi de Bergame ; & l’application qu’il y donna fut la cause de sa mort. J’ai parlé de cet artiste comme peintre, au mot Ecole florentine.

Volterre (Daniel de) il a quelquefois quitté le pinceau pour le ciseau. Le cheval qui porte la statue de Louis XIII. dans la place royale à Paris, a été fondue d’un seul jet par Volterre. Voyez son article parmi les Peintres, au mot Ecole.

Zumbo, (Gaetano Guilio) né à Syracuse en 1656, mort à Paris en 1701. Il devint sculpteur sans autre maître que son génie. Il ne se servit dans tous ses ouvrages que d’une cire coloriée, qu’il préparoit pourtant d’une maniere particuliere. Ce secret à la vérité ne lui fut pas particulier, Warin & le Bel l’avoient eu avant lui ; mais les morceaux que notre artiste fit avec cette matiere excellerent sur tous les autres en ce genre par leur perfection. Le grand duc de Toscane lui donna des marques d’une bienveillance distinguée. Pendant le tems qu’il fut à ce prince, il exécuta ce sujet renommé sous le nom de la Corruzione, ouvrage curieux pour la vérité, l’intelligence, & les connoissances qui s’y font remarquer. Ce sont cinq figures coloriées au naturel, dont la premiere représente un homme mourant, la seconde un corps mort, la troisieme un corps qui commence à se corrompre, la quatrieme un corps qui est corrompu, & la cinquieme un cadavre plein de pourriture, que l’on ne sauroit regarder sans être saisi d’une espece d’horreur, tant l’ingénieux sculpteur a su y mettre de force & de vérité. Le grand-duc plaça cet ouvrage dans son cabinet.

Zumbo étant à Gènes, y employa quatre ou cinq ans à travailler une nativité du Sauveur & une descente de croix, qu’on peut regarder comme ses chefs-d’œuvres. Il s’associa dans cette ville à un chirurgien françois nommé Desnoues, afin de représenter avec sa cire coloriée toutes les parties du corps ; le chirurgien disséquoit ; & le sculpteur représentoit. Son plus beau morceau dans ce genre a été un corps de femme avec son enfant. La France fut le terme des voyages de Zumbo ; il y travailla à plusieurs pieces d’anatomie, & composa entr’autres la tête préparée pour une démonstration anatomique. L’académie des Sciences en a fait l’éloge dans son hist. année 1701. Tous les curieux voulurent la voir, & M. le duc d’Orleans, qui avoit un goût très-éclairé, ne dédaigna pas d’aller chez Zumbo l’examiner à loisir.

Voilà les principaux sculpteurs de l’Europe, depuis environ deux siecles & demi. Il est bon de remarquer que le souverain qui ne sauroit trouver une certaine quantité de jeunes gens qui puissent, à l’aide des moyens qu’il leur donne, devenir un jour des Raphaëls & des Carraches, en trouve un grand nombre qui peuvent par son secours devenir de bons sculpteurs. L’école qui n’a pas été formée en des tems où les causes physiques voulussent bien concourir avec les causes morales, enfante ainsi des hommes excellens dans la Sculpture, au lieu de produire des peintres du premier ordre. C’est précisément ce que nous savons être arrivé dans ce royaume : depuis le renouvellement des Arts, on n’a guère rassemblé en un seul lieu le grand nombre de bons sculpteurs en tout genre