Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 14.djvu/873

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sain, à un organe plutôt qu’à un autre ; par exemple, la bile au foie, & non pas aux reins, &c ? voilà ce qui a exercé les phisiologistes de tous les âges, & qui est encore un problême dont, selon toutes les apparences, la solution manquera long-tems à l’art.

Les premiers dogmatiques dont la théorie naissante étoit religieusement circonscrite par l’observation, n’ont pû nous rien transmettre de bien recherché sur une matiere aussi obscure.

Empédocle, plus philosophe que médecin, croyoit que les sueurs & les larmes provenoient d’un sang atténué & fondu. Hippocrate reconnoit un principe qui attire les humeurs vers chaque organe & les y prépare ; il regardoit les glandes comme des éponges qui s’imbibent de ces humeurs ; suivant Platon, c’est un appétit dans chaque partie, qui lui donne la faculté d’attirer à soi ce qu’elle appette ; Aristote pense de même, en rectifiant néanmoins les idées grandes & inexactes de Platon. Voyez la physiologie de Fernel. Galien enfin est pour ses facultés : il paroît que c’est à ce petit précis qu’on peut reduire les systêmes de la sage & sublime antiquité, & ce n’est peut-être pas un petit éloge pour la philosophie, que sa stérilité en ce genre ; mais certes, la physiologie des modernes nous en dédommage bien, par une fécondité qui n’a rien laissé à discuter de tous les points d’une matiere aussi vaste ; on diroit qu’elle a mis à contribution toutes les branches des sciences, chacune d’elles lui ayant fourni à l’envi son tribut de système. La chimie lui a donné les fermens, les coagulans, les fondans, les assimilans, l’archée de Wanhelmont, système, pour le dire en passant, digne de l’enthousiasme d’un grand homme, dont la critique n’appartient pas à des génies froids, que le figuré d’une expression, ou la singularité d’un nom suffit le plus souvent pour indisposer ; la méchanique, les cribles de Descartes, renouvellés des pores d’Asclépiade, les attritions, la disposition particuliere dans la figure de chaque couloir, &c. La physique, l’électricité, l’attraction & l’adhésion newtonienne ; la géométrie, ses calculs, l’hydraulique, ses lois, ses expériences, &c.

Heureusement que la plûpart de ces hypothèses, autrefois si bruyantes, ne sont guere plus admises par les esprits sages ; à la vérité il s’est trouvé de nos jours, des auteurs à qui on ne peut refuser cette qualité, qui ont tâché d’en évoquer quelques-unes, pour en bâtir de nouveaux systèmes, tel est celui de l’humeur analogue ; mais la préexistence supposée de cette humeur, qu’il faut admettre nécessairement dans cette nouvelle hypothèse, & les inconvéniens qui en résultent pour une pareille analogie, en ont démontré le peu de solidité. M. Winslow a eu beau vouloir l’appuyer de ses observations, sur le tissu cotonneux des conduits secrétoires qu’il dit avoir trouvé imbus de bile dans le foye, & d’urine dans les reins, chez des fœtus les plus près du tems de la conception ; tout cela prouve seulement que les secrétions ont lieu dans les fœtus, & c’est de quoi personne ne doute.

Les productions en ce genre, de quelques autres modernes, n’ont pas eu un meilleur succès ; les noms fameux d’Hoffman & de Boerhaave, n’ont pû sauver leurs systèmes : plus de goût, plus de justesse dans notre philosophie, nous ont enfin appris à les apprécier.

Stahl, le Platon de la médecine moderne, à qui nous devons en grande partie cette reforme, nous a donné d’autres idées sur les secrétions ; suivant lui, c’est l’ame, cet agent universel du corps, qui en est chargée, qui les dirige, qui a soin d’envoyer la salive à la bouche quand il le faut. Ces idées qu’on dit empruntées de Wanhelmont, prennent dans le génie de Sthal, une force, une profondeur dont on n’auroit

pas cru avant lui, la théorie susceptible.

L’académie de Bordeaux ayant proposé, il y a quelques années, un prix sur le méchanisme des secrétions, trois illustres émules, (MM. Hamberger, Delamure, & de Haller,) fournirent chacun une belle dissertation sur cette matiere. Celle de M. Hamberger, qui fut couronnée, explique ce méchanisme par les lois de l’adhésion, supposées établies entre les particules des fluides, & celles des solides qui composent le tissu des vaisseaux secrétoires ; l’auteur estime cette action par les rapports de la gravité spécifique des unes avec celle des autres, ensorte que le plus haut degré de l’adhérence est entre les parties du solide & du fluide, dont les gravités spécifiques se correspondent davantage ; il observe qu’il s’est convaincu par des expériences dont il donne les résultats, des différences ou rapports de ces gravités spécifiques ; mais nous observerons à notre tour, qu’il n’est peut-être point de systèmes, parmi ceux qu’on s’efforce d’appuyer de tout l’appareil des sciences, dans lequel on trouve un abus plus marqué, une plus mauvaise application de principes bons en soi ; pour s’en convaincre, il suffit d’un coup d’œil sur les phénomènes de physique les plus simples. On peut voir les objections qui ont été faites au système de l’auteur, dans plusieurs ouvrages de M. Haller, & pour s’éviter la peine des recherches, dans le second volume de sa nouvelle physiologie.

A l’égard des expériences de M. Hamberger, sur les viscères & les fluides des animaux, M. Delamure, célebre professeur de la faculté de Montpellier, en a fait de son côté, qu’on ne sauroit concilier avec celles de M. Hamberger ; on peut consulter la table des produits que ce professeur en a donnée à la suite d’une thèse sur les secrétions, qu’il fit soutenir en 1749.

Toutes les autres théories qu’on pourroit encore citer, n’étant que des modifications ou des copies les unes des autres, & se trouvant d’ailleurs répandues dans des livres qui sont entre les mains de tout le monde, nous croyons pouvoir nous dispenser d’en parler, pour nous arrêter plus long-tems à un excellent ouvrage, qui a paru depuis peu d’années, sous le titre de Recherches anatomiques sur les glandes ; cet ouvrage est de M. de Bordeu, médecin de Paris & de Montpellier, qui jouit dans la capitale, comme praticien, d’une réputation très-étendue & très-méritée. La grandeur des vues que présente l’auteur, la beauté de ses principes, tracés d’après une philosophie peu commune, toujours éclairés de la connoissance pratique de l’anatomie, & des autres parties de l’art les plus essentielles, nous engagent à rappeller ici, sous la forme d’un extrait, ce qui nous a paru de plus frappant dans ce système, & de plus propre à completer ce que nous avons à dire sur la matiere des secrétions.

M. de Bordeu fait dépendre les secrétions & les excrétions des nerfs, du-moins dans le plus grand nombre des circonstances. Les nerfs ont été de tout tems un objet d’étonnement & de méditation pour un physiologiste ; ils sont la partie constituante, essentielle de l’animal proprement dit, au moyen du sentiment & du mouvement dont ils sont doués privativement aux autres parties : le sentiment ou la sensibilité est la faculté éminente & primitive, la vie par excellence du système nerveux. Le mouvement & quelques autres phénomenes, comme l’irritation à laquelle quelques modernes ont voulu substituer l’irritabilité, n’en sont que des effets secondaires. C’est ici l’ame sensitive des anciens & de Willis ; c’est elle qui en se répandant avec les nerfs dans les parties, les fait vivre de leur vie particuliere, & c’est l’assemblage, le concours de ces petites vies qui produit la vie générale : Cette sensibilité est modifiée dans tous les organes dans des proportions graduées à l’infini ; dans cer-