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cœur. Le coup de cloche est le signal qui appelle le chanoine à l’église.

On s’explique par signes avec les muets ou les sourds ; & l’on convient d’un signal pour se faire entendre des gens éloignés. Girard. (D. J.)

Signal par le feu, (Littérature.) les signaux par le feu se nommoient πυρσοὶ & φρυκτοὶ, & l’art de les donner s’appelloit πυρσοφορία, φρυκτωρία.

Homere est le premier qui en ait fait mention. L’usage en étoit déja si établi de son tems, qu’il en a employé la comparaison comme d’une chose connue & propre à peindre dans l’esprit de ses lecteurs l’image de ce qu’il vouloit faire concevoir.

« Comme lorsqu’une ville assise au milieu de la mer vient à être assiégée, on voit de loin durant le jour, dit le poëte, des tourbillons de fumée s’élever au milieu de la ville dans les airs, & pendant la nuit on apperçoit d’épaisses colonnes de feu s’élancer jusque dans les nues, & appeller de chez les peuples voisins un secours puissant contre les efforts de l’ennemi, telle paroissoit la flamme qui voltigeant autour de la tête d’Achille répandoit au loin son éclat..... »

Ce qu’Homere n’a fait qu’indiquer assez légerement, Eschyle l’a marqué fort-au-long en plusieurs endroits de sa tragédie.

« Puissent enfin les dieux, s’écrie l’esclave qui fait le prologue de la piece, me délivrer de la pénible fonction qui m’attache depuis si long-tems à observer le moment du signal dont on est convenu. J’ai vu par plusieurs révolutions se montrer & disparoître ces astres brillans qui amenent à la terre les différentes saisons ; j’ai toujours attendu le flambeau qui doit parler à nos yeux, & nous apprendre la destruction de Troie..... que ces feux si long-tems espérés viennent enfin me dégager. Je vous salue, flambeau de la nuit, votre lumiere est agréable comme celle du plus beau jour ; quelles fêtes vont éclater à l’occasion de l’évenement que vous annoncez » !

A peine l’esclave de Clytemnestre a-t-il porté la nouvelle au palais, que la reine sort pour en informer le peuple ; & quand les vieillards qui composent le chœur demandent, quel est le messager assez vîte à la course pour avoir apporté sitôt la premiere nouvelle de la prise de Troie, Clytemnestre leur répond en ces termes : « Nous en sommes redevables à Vulcain, l’éclat de ses feux est parvenu jusqu’à nous, un signal a fait allumer un autre signal. Aux premiers feux apperçus sur le mont Ida, les seconds ont répondu de dessus le sommet de la montagne consacrée dans l’île de Lemnos à Mercure. L’étendue des eaux qui séparent cette île du mont Athos, a été bientôt éclairée par les flammes, & la montagne de Jupiter aussi-tôt après a été toute couverte de feu : semblables aux rayons du soleil qui se répandent sur la terre, ces feux ont annoncé la hauteur du mont Maciste, ce que le Maciste devoit publier, pour ainsi dire, jusque sur les bords de l’Euripe. Des gardes placées sur le Mésape inaccessible au sommeil, fideles à des ordres rigoureux, ont fait paroître à leur tour des feux qui, tels qu’une lune brillante, franchissant rapidement les campagnes de l’Asope, ont réveillé sur le mont Cythéron les signaux qui devoient en faire naître d’autres encore plus loin. La garde chargée d’observer de dessus cette derniere montagne n’a pas tardé, malgré la distance, à reconnoître ces feux. Elle a augmenté ceux qui devoient servir de réponse. Les ténebres du lac Gorgopis ont été dissipées par ce nouvel éclat, & le mont Egiplanete, frappé de cette lumiere, nous a avertis de ce qu’il venoit d’apprendre. Mes ordres ont été ponctuellement suivis ; les gardes que j’avois disposés sur

l’Egiplanete ont à l’envi redoublé les feux, le golfe & le promontoire Saronique ont vu se produire le jour que ma volonté faisoit naître, & de grandes traces de lumiere sont arrivées jusque sur le mont Arachnéen : c’étoit le lieu le plus proche d’Argos & du palais des Atrides. Ainsi a été apportée l’importante nouvelle que je vous apprends. Telles ont été les lois que j’avois établies pour une juste correspondance entre ceux qui devoient se succéder dans la fonction de donner & de recevoir les signaux.... Les Grecs à cette heure sont maîtres de Troie ».

L’usage des signaux, dont l’invention toute entiere étoit dûe aux Grecs, se perfectionna à mesure que ce peuple réfléchit sur l’art de la guerre. Ces signaux y étoient souvent employés. De tout ce qui s’est inventé, dit Polybe, pour mettre à profit certaines occasions qu’il est important de ne point laisser échapper, rien n’est plus utile que les signaux par le feu. Dès-lors ils ne furent plus un simple signe d’institution pour apprendre seulement le gros d’un fait, on s’étudia à trouver comment on pourroit faire comprendre les différentes circonstances de ce qui se passoit à un éloignement de trois ou quatre journées de ceux avec lesquels il auroit été à desirer que l’on pût s’expliquer ; en un mot, on parvint, comme Polybe l’assûre, à faire connoître des événemens que l’on n’avoit pas pu prévoir & qu’on pouvoit deviner.

Le même Polybe rend compte, d’une excellente méthode pour les signaux par le feu, qui avoit pour auteur Cléoxene, ou Démoclite, suivant quelques écrivains, & qu’il avoit perfectionnée lui-même. Elle consistoit à faire lire peu-à-peu à un observateur ce qu’il étoit important d’apprendre. On ne montroit pas des mots ni des phrases dont le bon sens demeurât équivoque, ou sujet à des difficultés, comme il arrivoit souvent dans la pratique d’Enée ; mais après que toutes les lettres de l’alphabet avoient été rangées en quatre ou cinq colonnes, perpendiculairement les unes au-dessus des autres.

1°. Celui qui devoit donner le signal, commençoit par désigner le rang de la colonne où se devoit chercher la lettre que l’on vouloit indiquer. Il marquoit cette colonne par un, deux, trois flambeaux qui levoit toujours à gauche, suivant que la colonne étoit la premiere, la seconde ou la troisieme, & ainsi du reste.

2°. Aprés avoir fait connoître le rang de la colonne, & fixé l’attention de l’observateur à chercher où étoit la lettre ; celui qui étoit chargé du signal, indiquoit la premiere lettre de la colonne par un flambeau, la seconde par deux, la troisieme par trois, de sorte que le nombre des flambeaux répondoit exactement au quantieme de la lettre d’une colonne, alors on écrivoit la lettre qui avoit été indiquée ; & par ces opérations répétées plusieurs fois, on parvenoit à former des syllables, des mots, & des phrases qui présentoient un sens déterminé.

Celui qui donnoit le signal avoit encore un instrument géométrique garni de deux tuyaux, afin qu’il pût connoître par l’un la droite, & par l’autre la gauche de celui qui devoit lui répondre.

Le témoignage de Polybe, historien judicieux & exemt de soupçon de mensonge, ne nous laisse pas douter qu’on ne se servît avec succès de la méthode qu’il a expliquée & perfectionnée ; mais s’il étoit besoin de fortifier son témoignage, la pratique des siecles qui ont suivi celui de Polybe, seroit une nouvelle preuve de la vérité de récit de cet historien.

Voici ce que dit Jules Africain des signaux par le feu, dans son livre intitulé Κεστοί. Cet auteur en traite dans un chapitre particulier. Il est vrai qu’il est assez difficile, par l’altération du texte de trouver un