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comme avec Thyatire, Apollinaris & Hiérapolis. L’association avec cette derniere ville semble même avoir été solemnisée par quelques jeux, car on a des médailles où cette confédération, ὁμόνοια, est représentée par deux urnes remplies de branches de palmier.

Il y a des médailles de Smyrne qui nous apprennent d’autres particularités. Telles sont les médailles qu’elle a frappées des empereurs Tite & Domitien, avec une figure chargée sur le revers qui porte un rameau dans sa main droite, une corne d’abondance dans la gauche ; l’eau qui en tombe représente la riviere d’Hermus. On y lit les mots suivans : ΣΜΥΡΝΑΙΩΝ ΕΡΜΟΣ ΕΠΙ ΙΩΝΙΟΥΣ, c’est-à-dire « Hermus des habitans de Smyrne dans l’Ionie » : on en peut recueillir que ceux de Smyrne tiroient tribut de la riviere d’Hermus, & qu’elle étoit annexée à l’Ionie.

Mais pour dire quelque chose de plus à la gloire de Smyrne, elle fut faite néocore sous Tibere avec beaucoup de distinction ; & les plus fameuses villes d’Asie ayant demandé la permission à cet empereur de lui dédier un temple, Smyrne fut préférée. Elle devint néocore des Césars, au-lieu qu’Ephese ne l’étoit encore que de Diane ; & dans ce tems-là les empereurs étoient bien plus craints, & par conséquent plus honorés que les déesses. Smyrne fut déclarée néocore pour la seconde fois sous Adrien, comme le marquent les marbres d’Oxford ; enfin elle eut encore le même honneur lorsqu’elle prit le titre de premiere ville d’Asie sous Caracalla, titre qu’elle conserva sous Julia Mœsa, sous Alexandre Sévere, sous Julia Memmœa, sous Gordien Pie, sous Otacilla, sous Gallien & sous Salonine.

Spon cite une médaille de cette ville qui présente le frontispice d’un temple, une divinité debout entre des colonnes, & cette légende autour, ΣΜΥΡΝΑΙΩΝ… Γ… ΝΕΩΚΟΡΩΝ. c’est-à-dire, le sénat de Smyrne trois fois néocore. Il semble que cette médaille suppose une divinité protectrice du sénat, lequel ils appelloient saint, comme il paroît par le titre d’une inscription de cette ville qui dit : « A la bonne fortune, à l’illustre métropolitaine, néocore pour la troisieme fois de l’empereur, conformément au jugement du saint sénat de Smyrne ».

Au défaut des médailles, l’histoire nous instruit des diverses révolutions de cette ville. Dès que les Romains en furent les maîtres, ils la regarderent comme étant la plus belle porte d’Asie, & en traiterent toujours les citoyens fort humainement ; ceux-ci, pour n’être pas exposés aux armes des Romains, les ont beaucoup ménagés & leur ont été fideles. Ils se mirent sous leur protection pendant la guerre d’Antiochus ; il n’y a que Crassus proconsul romain qui fut malheureux auprès de cette ville. Non-seulement il fut battu par Aristonicus, mais pris & mis à mort : sa tête fut présentée à son ennemi, & son corps enséveli à Smyrne. Porpenna vengea bientôt les Romains, & fit captif Aristonicus. Dans les guerres de César & de Pompée, Smyrne se déclara pour ce dernier, & lui fournit des vaisseaux. Après la mort de César, Smyrne, qui penchoit du côté des conjurés, refusa l’entrée à Dolabella, & reçut le consul Trebonius l’un des principaux auteurs de la mort du dictateur : mais Dolabella l’amusa si à-propos, qu’étant entré la nuit dans la ville, il s’en saisit, & le fit martyriser pendant deux jours. Dolabella cependant ne put pas conserver la place, Cassius & Brutus s’y assemblerent pour y prendre leurs mesures.

On oublia tout le passé quand Auguste fut paisible possesseur de l’empire. Tibere honora Smyrne de sa bienveillance, & régla les droits d’asyle de la ville. M. Aurele la fit rebâtir après un grand tremblement de

terre. Les empereurs grecs qui l’ont possédée après les Romains la perdirent sous Alexis Comnène ; les Musulmans en chasserent les Latins & les chevaliers de Rhodes à diverses reprises. Enfin Mahomet I. en fit démolir les murailles. Depuis ce tems-là, les Turcs sont restés paisibles possesseurs de Smyrne, où ils ont bâti pour sa défense une espece de château à gauche, en entrant dans le port des galeres, qui est l’ancien port de la ville. Des sept églises de l’apocalypse, c’est la seule qui subsiste avec honneur ; Sardes si renommée par les guerres des Perses & des Grecs ; Pergame, capitale d’un beau royaume ; Ephese qui se glorifioit avec raison d’être la métropole de l’Asie mineure ; ces trois célebres villes ne sont plus, ou sont de petites bourgades bâties de boue & de vieux marbre ; Thyatire, Philadelphie, Laodicée ne sont connues que par quelques restes d’inscriptions où leur nom se trouve ; mais la bonté du port de Smyrne, si nécessaire pour le commerce, l’a conservée riche & brillante, & l’a fait rebâtir plusieurs fois après avoir été renversée par des tremblemens de terre. Voyez donc Smyrne, (Géog. mod.)

C’est à cette ville que fut injustement exilé & que mourut Publius Rutilius Rusus, après avoir été consul l’an 648. Cicéron, Tite-Live, Velleïus Paterculus, Saluste, Tacite & Séneque ont fait l’éloge de son courage & de son intégrité. On rapporte qu’un de ses amis voyant qu’il s’opposoit à une chose injuste qu’il venoit de proposer dans le sénat, lui dit : « Qu’ai-je affaire de votre amitié, si vous contrecarrez mes projets ? Et moi, lui répondit Rutilius, qu’ai-je affaire de la vôtre, si elle a pour but de me soustraire à l’équité » ?

Bion, charmant poëte bucolique, surnommé le smyrnéen, σμυρναῖος, du lieu de sa naissance, a vécu en même tems que Ptolémée Philadelphe, dont le regne s’est étendu depuis la quatrieme année de la cxxiij. olympiade jusqu’à la seconde année de la cxxxiij. Il passa une partie de sa vie en Sicile, & mourut empoisonné, au rapport de Moschus son disciple & son admirateur. Leurs ouvrages ont été imprimés ensemble plusieurs fois, & entr’autres à Cambridge en 1652 & 1661, in-8o. mais la plus agréable édition est celle de Paris en 1686, accompagnée de la vie de Bion, d’une traduction en vers françois, & d’excellentes remarques par M. de Longepierre ; cette édition est devenue rare, & mériteroit fort d’être réimprimée.

Les auteurs qui donnent Smyrne pour la patrie de Mimnerme, autre aimable poëte-musicien, ont assûrément bien raison. Mimnerme chante le combat des Smyrnéens contre Gigès roi de Lydie, ce sont les hauts faits de ses compatriotes qu’il célebre avec affection. Il étoit antérieur à Hipponax, & vivoit du tems de Solon. Il fut l’inventeur du vers pentametre, s’il en faut croire le poëte Hermésianax, cité par Athénée. Il se distingua sur-tout par la beauté de ses élégies, dont il ne nous reste que quelques fragmens. Il pensoit & écrivoit avec beaucoup de naturel, d’amenité & de tendresse. Son style étoit abondant, aisé & fleuri. J’ai remarque à sa gloire en parlant de l’élégie, qu’Horace le met au-dessus de Callimaque ; il avoit plus de grace, plus d’abondance & plus de poésie.

Il fit un poëme en vers élégiaques, cité par Strabon, sous le titre de Nanno sa maîtresse ; & ce poëme devoit être un des plus agréables de l’antiquité, s’il est vrai qu’en matiere d’amour ses vers surpassoient la poésie d’Homere ; c’est du-moins le jugement qu’en portoit Properce, car il dit, l. I. eleg. ix. Plus in amore valet Mimnermi versus Homero. Horace n’en parle pas autrement ; il cite Mimnerme, & non pas Ho-