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roger, de les embarrasser & de les confondre de la maniere la plus sûre & la plus honteuse pour eux. D’ailleurs cet homme d’une prudence & d’une expérience consommée, qui avoit tant écouté, tant lu, tant médité, s’étoit aisément apperçu que la vérité est comme un fil qui part d’une extrémité des ténebres & se perd de l’autre dans les ténebres ; & que dans toute question, la lumiere s’accroit par degrés jusqu’à un certain terme placé sur la longueur du fil délié, au-delà duquel elle s’affoiblit peu à peu & s’éteint. Le philosophe est celui qui sait s’arrêter juste ; le sophiste imprudent marche toujours, & s’égare lui-même & les autres : toute sa dialectique se resout en incertitudes. C’est une leçon que Socrate donnoit sans cesse aux sophistes de son tems, & dont ils ne profiterent point. Ils s’éloignoient de lui mécontens sans savoir pourquoi. Ils n’avoient qu’à revenir sur la question qu’ils avoient agitée avec lui, & ils se seroient apperçus qu’ils s’étoient laissés entraîner au-delà du point indivisible & lumineux, terme de notre foible raison.

On l’accusa d’impiété ; & il faut avouer que sa religion n’étoit pas celle de son pays. Il méprisa les dieux & les superstitions de la Grece. Il eut en pitié leurs mysteres. Il s’étoit élevé par la seule force de son génie à la connoissance de l’unité de la divinité, & il eut le courage de réveler cette dangereuse vérité à ses disciples.

Après avoir placé son bonheur présent & à venir dans la pratique de la vertu, & la pratique de la vertu dans l’observation des lois naturelles & politiques, rien ne fut capable de l’en écarter. Les événemens les plus fâcheux, loin d’étonner son courage, n’altérerent pas même sa sérénité. Il arracha au suplice les dix juges que les tyrans avoient condamnés. Il ne voulut point se sauver de la prison. Il apprit en souriant l’arrêt de sa mort. Sa vie est pleine de ces traits.

Il méprisa les injures. Le mépris & le pardon de l’injure qui sont des vertus du chrétien, sont la vengeance du philosophe. Il garda la tempérance la plus rigoureuse, rapportant l’usage des choses que la nature nous a destinées à la conservation & non à la volupté. Il disoit que moins l’homme a de besoins, plus sa condition est voisine de celle des dieux ; il étoit pauvre, & jamais sa femme ne put le déterminer à recevoir les présens d’Alcibiade & des hommes puissans dont il étoit honoré. Il regardoit la justice comme la premiere des vertus. Sa bienfaisance, semblable à celle de l’Etre suprème, étoit sans exception. Il détestoit la flatterie. Il aimoit la beauté dans les hommes & dans les femmes, mais il n’en fut point l’esclave : c’étoit un goût innocent & honnête, qu’Aristophane même, ce vil instrument de ses ennemis, n’osa pas lui reprocher. Que penserons-nous de la facilité & de la complaisance avec laquelle quelques hommes parmi les anciens & parmi les modernes ont reçu & répété contre la pureté de ses mœurs ? une calomnie que nous rougirions de nommer ; c’est qu’eux-mêmes étoient envieux ou corrompus. Serons-nous étonnés qu’il y ait eû de ces ames infernales ? Peut-être, si nous ignorions ce qu’un intérêt violent & secret inspire, voyez ce que nous dirons de son démon à l’article Théosophe.

Socrate ne tint point école, & n’écrivit point. Nous ne savons de sa doctrine que ce que ses disciples nous en ont transmis. C’est dans ces sources que nous avons puisé.

Sentimens de Socrate sur la divinité. Il disoit :

Si Dieu a dérobé sa nature à notre entendement, il a manifesté son existence, sa sagesse, sa puissance & sa bonté dans ses ouvrages.

Il est l’auteur du monde, & le monde est la com-

plexion de tout ce qu’il y a de bon & de beau.

Si nous sentions toute l’harmonie qui regne dans l’univers, nous ne pourrions jamais regarder le hasard comme la cause de tant d’effets enchaînés partout, selon les lois de la sagesse la plus surprenante, & pour la plus grande utilité possible. Si une intelligence suprème n’a pas concouru à la disposition, a la propagation & à la conservation générale des êtres, & n’y veille pas sans cesse, comment arrive-t-il qu’aucun désordre ne s’introduit dans une machine aussi composée, aussi vaste ?

Dieu préside à tout : il voit tout en un instant ; notre pensée qui s’élance d’un vol instantané de la terre aux cieux ; notre œil qui n’a qu’à s’ouvrir pour appercevoir les corps placés à la plus grande distance, ne sont que de foibles images de la célérité de son entendement.

D’un seul acte il est présent à tout.

Les lois ne sont point des hommes, mais de Dieu. C’est lui proprement qui en condamne les infracteurs, par la voix des juges qui ne sont que ses organes.

Sentimens de Socrate sur les esprits. Ce philosophe remplissoit l’intervalle de l’homme à Dieu d’intelligences moyennes qu’il regardoit comme les génies tutélaires des nations : il permetroit qu’on les honorât : il les regardoit comme les auteurs de la divination.

Sentimens de Socrate sur l’ame. Il la croyoit préexistante au corps, & douée de la connoissance des idées éternelles. Cette connoissance qui s’assoupissoit en elle par son union avec le corps, se réveilloit avec le tems, & l’usage de la raison & des sens. Apprendre, c’étoit se ressouvenir ; mourir, c’étoit retourner à son premier état de félicité pour les bons, de châtiment pour les méchans.

Principes de la Philosophie morale de Socrate. Il disoit :

Il n’y a qu’un bien, c’est la science ; qu’un mal, c’est l’ignorance.

Les richesses & l’orgueil de la naissance sont les sources principales des maux.

La sagesse est la santé de l’ame.

Celui qui connoît le bien & qui fait le mal est un insensé.

Rien n’est plus utile & plus doux que la pratique de la vertu.

L’homme sage ne croira point savoir ce qu’il ignore.

La justice & le bonheur sont une même chose.

Celui qui distingua le premier l’utile du juste, fut un homme détestable.

La sagesse est la beauté de l’ame, le vice en est la laideur.

La beauté du corps annonce la beauté de l’ame.

Il en est d’une belle vie comme d’un beau tableau, il faut que toutes les parties en soient belles.

La vie heureuse & tranquille est pour celui qui peut s’examiner sans honte ; rien ne le trouble, parce qu’il ne se reproche aucun crime.

Que l’homme s’étudie lui-même, & qu’il se connoisse.

Celui qui se connoit échappera à bien des maux, qui attendent celui qui s’ignore ; il concevra d’abord qu’il ne sait rien, & il cherchera à s’instruire.

Avoir bien commencé, ce n’est pas n’avoir rien fait ; mais c’est avoir fait peu de chose.

Il n’y a qu’une sagesse, la vertu est une.

La meilleure maniere d’honorer les dieux, c’est de faire ce qu’ils ordonnent.

Il faut demander aux dieux en général ce qui nous est bon ; spécifier quelque chose dans sa priere, c’est prétendre à une connoissance qui leur est reservée.

Il faut adorer les dieux de son pays, & regler son