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soit rabattre avec la marche une lisse qui faisoit baisser un fil double de chaque maille du corps qui étoit tirée, après quoi on passoit la broche ; & faisant tirer ensuite le lac qui devoit être broché, & joignant la broche au peigne, il arrivoit que le lac tiré en levant la broche, enlevoit en même tems les trois quarts de chaque maille de corps qui étoient demeurées dessus, & ne laissoient pour lier que le quatrieme fil que la lisse de rabat avoit fait trouver sous la broche lorsqu’on l’avoit passée quand le lac avoit été tiré.

La broche fait aujourd’hui le même effet que le double corps ; il y a encore cette différence qu’avec la broche on peut faire un fonds moiré avec le quart de la chaîne, en faisant baisser une lisse du rabat ; pour lors il ne faut point de coup perdu, comme au double corps ; ou-bien avec le poil en faisant baisser les quatre lisses de liage ; pour lors il faut le coup perdu comme au double corps ; ainsi tout revient au même.

Les métiers pour la broche sont montés à l’ordinaire, comme tous les gros-de-tours en 40 portées doubles de chaîne, & de dix de poil ; on les monte aussi en relevé, en ajoutant un second poil de 40 portées simples, comme il a été dit ci-devant. Les parties qui doivent faire fonds moire & fonds brillant par la lame, doivent être peintes sur le dessein, comme celles des doubles corps.

Au lieu d’un seul lac qui suffit pour le double corps, afin de faire le moëre & le brillant, ici il en faut deux. En supposant la partie du brillant sans liage peinte en rouge, & celle de la moire en marron, on tire la partie peinte en rouge, sous laquelle on passe la broche nuement, sans bouger ni faire mouvoir aucune lisse, & lorsque la broche est passée, on prend le second lac peint en marron, que l’on tire avec celui qui est peint en rouge ; pour lors faisant baisser tout le poil de dix portées, ou une des quatre lisses qui contient le quart de la chaîne, on passe la navette de lame, ou on broche l’espolin de la même qualité de dorure.

Il est très-aisé de comprendre, que le premier lac tiré se trouvant (ou la soie qu’il leve) toute sur la broche, quand le second est tiré ensuite, la broche étant près du peigne, les fils que la lisse de rabat fait baisser étant sur la broche, ne peuvent pas se trouver dessous étant arrêtés par cette même broche, & qu’il n’y a que ceux du second lac, lesquels se trouvant dessous, & n’étant gênés en aucune façon, forment la figure de la moire, en baissant aussi bas que le reste de la chaine qui ne se tire pas ; & le vuide qui se trouve dans la partie où les fils ne peuvent pas baisser, forment le brillant de la lame. Il est vrai que pour cette opération il faut deux tems ; savoir, celui de passer la broche, & celui de passer la navette, au lieu qu’au double corps, il n’en faut qu’un, qui est celui de passer la navette seulement. Mais en revanche sur le métier de la broche, on peut, comme on l’a déja dit, faire l’étoffe à l’ordinaire à deux répétitions non seulement, mais encore toutes sortes de grosdetours à la broche ou non, sans rien changer au métier, ce qui ne sauroit se faire avec les doubles corps.

L’on a trouvé depuis peu une invention assez jolie pour faciliter le travail des étoffes à la broche, qui souvent sont difficiles à travailler, lorsque la moire se fait par le moyen du quart de la chaîne, il ne sera pas difficile de le comprendre ; par exemple, lorsque l’étoffe a plus de brillant que de moire, & que l’on fait baisser le quart de la chaîne, il arrive que les fils de cette chaîne, qui est extrémement tendue, le deviennent encore davantage, lorsque la partie de soie qui doit faire la moëre est levée, le quart de cette même partie étant forcé de baisser, fait une triple extension ; savoir, celle de la chaîne ordinaire, celle de la tire, & celle du rabat, lequel pesant sur la bro-

che, la force de baisser, & fait que la navette de lame

ne peut se passer que difficilement dans ces momens, qui, suivant les desseins, ne sont pas de durée. Au moyen de cette méchanique, la broche passe derriere le peigne dans quatre lames d’un fer bien poli passé dans la chaîne, comme des mailles de lisses, & lorsqu’on veut passer la navette, on fait lever la petite méchanique, comme une lisse qui soutient la broche, & la navette se passe plus aisément. L’auteur du présent mémoire a donné dans le panneau, comme les autres ; il a fait faire la petite méchanique, & s’en est servi pendant quelques jours ; tout ce qu’elle a de plus beau est de lancer la broche aussi promptement que la navette, & de la retirer de même quand la lame est passée. Après avoir bien examiné si on ne pourroit pas trouver un moyen plus aisé pour cette opération, il n’a pas pu s’empêcher de rire de sa simplicité, & de celle de tous les fabriquans qui travaillent ces genres d’étoffes ; il a raisonné & pensé, que puisque tous les fabriquans en double corps font la moëre avec le poil qui est passé au petit corps, on pouvoit bien la faire de même avec le poil, quoique le métier fût monté autrement ; de façon qu’au lieu de faire baisser le quart de la chaîne au coup de lame, il a fait baisser les 4 lisses de poil, ce qui revient au même, puisqu’il se trouve un fil par dent de peigne, quand tout le poil baisse, comme au quart de la chaîne.

On pourroit dire que la quantité de fils de poil qui baissent, étant égale à celle des fils de la chaîne, l’extension des fils de poil doit produire le même effet que celle des fils de la chaîne ; à quoi on répondra, que tous les poils en général destinés à lier la dorure dans les étoffes de la fabrique, ne sont point tendus & arrêtés comme les chaînes, attendu qu’ils enterreroient la dorure ; d’ailleurs les poids qui les tiennent tendus montent au fur & à mesure qu’ils s’emploient (précaution nécessaire pour conserver l’égalité de l’extension), au lieu que les chaînes sont arrêtées avec des valets ou especes de bascules chargés de poids considérables, qui empêchent à l’ensuple de jouer pendant le cours de la fabrication, ce qui n’est pas de même au poil qui monte & descend, c’est-à-dire le poids, tandis que l’on travaille l’étoffe, de façon que l’on voit dérouler le poil, lorsqu’on le fait rabattre pour passer le coup de lame, & ainsi monter le poids & descendre, suivant les efforts de la tire & du rabat, & par ce moyen conserver toujours l’égalité de son extension, ce qui est d’une conséquence infinie pour toutes les étoffes de la fabrique, dans lesquelles les poils sont destinés à former des liages dans la dorure. Au moyen de cette façon de travailler, en faisant baisser le poil au lieu de la chaîne, l’on passe la navette de lame aussi aisément que dans une étoffe unie.

Suite des étoffes à la broche. Il se fabrique à Lyon des étoffes riches, auxquelles les ouvriers ont donné le nom d’étoffes à la broche, qui dans le commerce n’ont d’autres dénomination que celle de fond d’or ou d’argent riches. Voici ce que c’est.

Toutes les étoffes riches de la fabrique, dont la dorure est liée par les lisses, soit par un poil, soit par la chaîne, ont un liage suivi que forme des lignes diagonales, lesquelles partant à droite & à gauche, selon la façon de commencer ou d’armer le liage, en commençant par la premiere du côté du batant, & finissant par la quatrieme du côté des lisses, ou en commençant par cette derniere, & finissant par la premiere du côté du battant. Cette façon d’armer le liage en général, & pourvu que la lisse ne soit pas contrariée, est la même, ou produit le même effet. Outre cette façon de lier la dorure dans les étoffes riches, elles ont encore une dorure plus grosse, qui imite la broderie, appellée vulgairement dorure sur liage, parce que pour lors on ne baisse point de lisse