Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mois ; lorsqu’elles en sortent, on les met dans des cornets de papier, & dans des pots que l’on couvre d’un papier percé de trous d’épingles, pour leur donner de l’air : on les nourrit avec des mouches.

Les coques des araignées rendent plus de soie à proportion de leur légereté, que les coques de vers-à-soie ; treize onces de coques d’araignées rendent près de quatre onces de soie nette, dont il ne faut que trois onces pour faire une paire de bas des plus grands, tandis que les bas de soie ordinaires, pesent sept ou neuf onces. M. Bon fit voir à la société des Sciences de Montpellier, une paire de bas faits de soie d’araignée, qui ne pesoient que deux onces & un quart, & des mitaines qui ne pesoient qu’environ trois quarts d’once ; ces bas & ces mitaines étoient aussi forts, & presque aussi beaux que ceux qui sont faits avec de la soie ordinaire ; ils étoient d’une couleur grise, approchante du gris de souris, qui étoit la couleur naturelle de cette soie ; mais son lustre & son éclat avoient sans doute été augmentés par l’eau de savon mêlée de salpetre, & d’un peu de gomme arabique.

M. Bon ayant envoyé des ouvrages de soie d’araignées à l’académie royale des Sciences de Paris, la compagnie chargea deux académiciens d’examiner la soie des araignées, pour savoir de quelle utilité elle pourroit être au public. M. de Reaumur fut nommé pour cet examen, & l’année suivante 1710, il rendit compte de son travail. M. Bon ayant fait voir que les araignées filoient dans certain tems de l’année, une soie dont on pouvoit faire différens ouvrages, M. de Reaumur se proposa de rechercher les moyens de nourrir & d’élever les araignées, & ensuite de savoir si leur soie pourroit être à aussi bon marché que celle des vers-à-soie ; & au cas qu’elle fût plus chere, si on pourroit être dédommagé de quelque façon. On sait que les araignée se nourrissent de mouches ; mais toutes les mouches du royaume suffiroient à peine, pour nourrir les araignées qui seroient nécessaires pour fournir de la soie aux manufactures, & d’ailleurs comment faire pour prendre chaque jour ces mouches ? il falloit donc chercher une autre sorte de nourriture ; les araignées mangent des cloportes, des millepiés, des chenilles, des papillons ; ces insectes n’étoient guere plus aisés à trouver que des mouches ; M. de Reaumur s’avisa de leur donner des vers de terre coupés par morceaux, elles les mangerent, & en vêcurent jusqu’au tems de faire leur coque : il est facile de ramasser autant de vers de terre qu’on en veut ; ces insectes sont extrémement abondans dans les champs ; il faut les chercher pendant la nuit à la lumiere d’une chandelle ; on en trouve en quantité dans tous les tems, excepté après les longues sécheresses. On pourroit aussi nourrir les araignées avec les plumes des jeunes oiseaux ; elles mangent la substance molle qui est à l’extrémité de leur tuyau ; on coupe cette extrémité par morceaux longs d’une ligne, ou d’une ligne & demie ; les jeunes araignées semblent préférer cette nourriture à toute autre ; les rotisseurs fourniroient beaucoup de plumes ; on pourroit aussi en arracher de tems-en-tems aux poules & aux pigeons vivans, sans leur faire de mal. On trouveroit aussi d’autres moyens pour nourrir les araignées, & deja les vers & les plumes sont des nourritures plus assurées pour elles que les feuilles de meuriers pour les vers-à-soie : on n’a pas à craindre la gelée, & on en trouve dans tous les tems & dans tous les pays.

Il seroit donc aisé de nourrir un grand nombre d’araignées, mais on auroit bien de la peine de les élever, ou plutôt de les loger : si on les met plusieurs ensemble dans la même boîte au sortir de leurs coques, d’abord elles paroissent vivre en société ; elles travaillent plusieurs ensemble à faire une même toile

dans les premiers jours, on en voit aussi plusieurs qui mangent ensemble sur le même morceau de plume ; mais bientôt elles s’attaquent les unes les autres, & les plus grosses mangent les plus petites : en peu de tems de deux ou trois cens qui étoient dans la même boîte, il n’en restoit plus qu’une ou deux. C’est apparemment parce que les araignées se mangent les unes les autres, qu’il y en a si peu, en comparaison du grand nombre d’œufs qu’elles pondent ; car les frélons, les lézards, &c. ne pourroient pas en détruire un si grand nombre. Il faudroit donc, pour avoir de la soie, nourrir des araignées dans des lieux séparés, où chacune auroit sa case ; alors il faudroit bien du tems pour donner à manger à chacune en particulier. Les vers-à-soie ne demandent pas cette précaution ; d’ailleurs ils sont assez féconds puisqu’ils fournissent aujourd’hui une si grande quantité de soie en Europe ; on pourroit encore les multiplier davantage, si on le vouloit. Reste à savoir si la soie des araignées est plus abondante, meilleure, ou plus belle que celle des vers.

Toutes les especes d’araignées ne donnent pas une soie propre à être employée, ainsi pour distinguer celles dont la soie est bonne, il est nécessaire d’avoir une idée générale des principales sortes d’araignées. M. Bon les divise en deux classes ; savoir, les araignées à jambes longues, & les araignées à jambes courtes, & il dit que ce sont les dernieres qui fournissent la bonne soie. On a objecté deux choses contre cette division : il y a des araignées qui ont les jambes de longueur moyenne, c’est-là l’inconvénient des divisions méthodiques, on y rencontre toujours un terme moyen qui est équivoque ; mais ce n’est pas là le plus grand inconvénient de la division de M. Bon : on pourroit au-moins le parer en grande partie ; pour cela il suffiroit de prendre une espece d’araignée bien connue pour objet de comparaison. Le plus grand défaut est que cette division n’est pas exacte, parce que différentes especes d’araignées vagabondes, & les grosses araignées brunes qui habitent des trous de vieux murs, n’ont point de soie quoiqu’elles ayent les jambes plus courtes que la plûpart de celles qui en donnent.

M. de Réaumur donne un autre moyen pour reconnoître parmi les araignées du royaume celles qui peuvent fournir de la soie : il les divise d’abord en deux genres principaux ; le premier comprend celles qui courent au loin pour chercher leur proie sans tendre de toiles. M. Homberg a donné à toutes les especes de ce genre d’araignées le nom de vagabondes ; elles ne filent guere que lorsqu’elles font la coque de leurs œufs ; quelques-unes forment cette coque en demi-sphere, & la laissent collée à des pierres, ou cachée dans la terre ; d’autres font leur coque ronde comme une boule, & elles la portent toujours collée à leurs mamelons. Le tissu de toutes ces coques est très-serré, & communément de couleur blanche ou grise : on n’en peut tirer qu’une très-petite quantité de soie, qui n’est pas d’une assez bonne qualité pour être employée. Le second genre de la division de M. de Réaumur renferme toutes les araignées qui tendent des toiles, & il est sous-divisé en quatre especes principales. La premiere comprend toutes les araignées qui font des toiles dont le tissu est assez serré, & qui les étendent parallelement à l’horison, autant qu’elles peuvent se soutenir ; telles sont les araignées domestiques, qui font leurs toiles dans les maisons, & quelques especes d’araignées des champs, dont les toiles sont posées comme celles des araignées domestiques. Dans cette premiere espece les œufs sont renfermés dans une toile assez semblable à celles qu’elles tendent pour arrêter les mouches ; ainsi elle ne peut pas être employée. Les araignées qui habitent des trous dans les vieux murs sont de la seconde