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Daniel, ce prophete lui en avoit donné l’explication.

Le fait est rapporté bien différemment dans le second chapitre. Ici Nabuchodonosor ne voulut jamais déclarer aux mages le songe qu’il avoit eu. Il prétendit qu’ils le devinassent, parce qu’il ne pouvoit s’assurer sans cela que leur explication fût vraie. Ils eurent beau protester que leur science ne s’étendoit pas si loin ; il ordonna qu’on les fît mourir comme des imposteurs. Daniel vint ensuite, à qui le roi ne dit point le songe en question ; au contraire il lui parla en ces termes : me pourriez-vous déclarer le songe que j’ai eu, & son interprétation ? Dan. ij. 26. Là-dessus Daniel lui fait le récit du songe & l’explique.

Un savant critique moderne trouve la contradiction de ces deux récits si palpable, & leur conciliation si difficile, qu’il pense qu’on doit couper le nœud, & reconnoître que les six premiers chapitres de Daniel ne sont pas de lui ; que ce sont des additions faites par des juifs postérieurs à son ouvrage, & que ce n’est qu’au chapitre sept que commence le livre de ce prophete. (D. J.)

Songes, (Mythol.) enfans du sommeil, selon les poëtes. Les songes, dit Ovide, qui imitent toutes sortes de figures, & qui sont en aussi grand nombre que les épis dans les plaines, les feuilles dans les forêts, & les grains de sable sur le rivage de la mer, demeurent nonchalamment étendus autour du lit de leur souverain, & en défendent les approches. Entre cette multitude infinie de songes, il y en a trois principaux qui n’habitent que les palais des rois & des grands, Morphée, Phobetor & Phantase.

Pénélope ayant raconté un songe qu’elle avoit eu par lequel le prochain retour d’Ulyse & la mort de ses poursuivans lui étoient promis, ajoute ces paroles : « J’ai oui dire, que les songes sont difficiles à entendre, qu’on a de la peine à percer leur obscurité, & que l’événement ne répond pas toujours à ce qu’ils sembloient promettre, car on dit qu’il y a deux portes pour les songes, l’une est de corne & l’autre d’ivoire ; ceux qui viennent par la porte d’ivoire, ce sont les songes trompeurs qui font entendre des choses qui n’arrivent jamais ; mais les songes qui ne trompent point, & qui sont véritables, viennent par la porte de corne. Hélas, je n’ose me flatter que le mien soit venu par cette derniere porte » !

Horace & Virgile ont copié tour-à-tour cette idée d’Homere, & leurs commentateurs moralistes ont expliqué la porte de corne transparente, par l’air, & la porte d’ivoire, opaque, par la terre. Selon eux, les songes qui viennent de la terre, ou les vapeurs terrestres, sont les songes faux ; & ceux qui viennent de l’air ou du ciel, sont les songes vrais.

Lucien nous a donné une description toute poétique d’une île des songes dont le Sommeil est le roi, & la Nuit la divinité. Il y avoit des dieux qui rendoient leurs oracles en songes, comme Hercule, Amphiaraüs, Sérapis, Faunus. Les magistrats de Sparte couchoient dans le temple de Pasiphaë, pour être instruits en songes, de ce qui concernoit le bien public. Enfin on cherchoit à deviner l’avenir par les songes, & cet art s’appelloit onéirocritique. Voyez ce mot. (D. J.)

Songe, (Poésie.) fiction que l’on a employée dans tous les genres de poésie, épique, lyrique, élégiaque, dramatique : dans quelques-uns, c’est une description d’un songe que le poëte feint qu’il a, ou qu’il a eu ; dans le genre dramatique, cette fiction se fait en deux manieres ; quelquefois paroit sur la scene un acteur qui feint un profond sommeil, pendant lequel il lui vient un songe qui l’agite, & qui le porte à parler tout haut ; d’autres fois l’acteur raconte le songe

qu’il a eu pendant son sommeil. Ainsi dans la Mariane de Tristan, Hérode ouvre la scene, en s’éveillant brusquement, & dans la suite il rapporte ce songe qu’il a fait. Mais la plus belle description d’un songe qu’on ait donnée sur le théâtre, est celle de Racine dans Athalie ; épargnons au lecteur la peine d’aller la chercher. C’est Athalie qui parle scene v. acte II.

Un songe (me devrois-je inquieter d’un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l’évite partout, partout il me poursuit.
C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mere Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avoient point abattu sa fierté.
Même elle avoit encore cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre & d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille… En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser.
Et moi, je lui tendois mes mains pour l’embrasser,
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os & de chair meurtris, & traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, & des membres
affreux,
Que des chiens dévorans se disputoient entr’eux
, &c.

(D. J.)

Songes, fête des, (Hist. mod.) les sauvages de l’Amérique septentrionale appellent fête des songes ou du renversement de cervelle, une espece de bacchanale qui se célebre parmi eux vers la fin de l’hiver, & qui dure ordinairement 15 jours. Pendant ce tems, il est permis à chacun de faire toutes les folies que la fantaisie lui suggere. Chaque sauvage barbouillé ou déguisé de la maniere la plus bisarre, court de cabanes en cabanes, renverse & brise tout sans que personne puisse s’y opposer ; il demande au premier qu’il rencontre l’explication de son dernier rêve, & ceux qui devinent juste, sont obligés de donner la chose à laquelle on a rêvé. La fête finie, on rend tout ce qu’on a reçu, & l’on se met à réparer les desordres qu’une joie licentieuse a causés. Comme l’ivresse est souvent de la partie, il arrive quelquefois des tumultes & des catastrophes funestes dans ces sortes d’orgies, où la raison n’est jamais écoutée.

SONGER, v. act. (Métaphys.) songer, c’est avoir des idées dans l’esprit, pendant que les sens extérieurs sont fermés, ensorte qu’ils ne reçoivent point l’impression des objets extérieurs avec cette vivacité qui leur est ordinaire ; c’est, dis-je, avoir des idées, sans qu’elles nous soient suggérées par aucun objet de dehors, ou par aucune occasion connue, & sans être choisies ni déterminées en aucune maniere par l’entendement ; quant à ce que nous nommons extase, je laisse juger à d’autres si ce n’est point songer les yeux ouverts.

L’esprit s’attache quelquefois à considérer certains objets avec une si grande application, qu’il en examine les faces de tous côtés, en remarque les rapports & les circonstances, & en observe chaque partie avec une telle contention qu’il écarte toute autre pensée, & ne prend aucune connoissance des impressions ordinaires qui se font alors sur les sens, & qui dans d’autres tems lui auroient communiqué des perceptions extrèmement sensibles. Dans certaines occasions, l’homme observe la suite des idées qui se succedent dans son entendement, sans s’attacher particulierement à aucune ; & dans d’autres rencontres, il les laisse passer, sans presque jetter la vue dessus, comme autant de vaines ombres qui ne font aucune impression sur lui.