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ges pour prestiges, la production des moucherons phantastiques ne leur eût pas dû couter davantage que celle des serpens ou de grenouilles imaginaires. Dans le livre de Job, satan demande à Dieu que ce saint homme soit frappé dans tous ses biens, & Dieu les lui livre, en lui défendant seulement d’attenter à sa vie ; ses troupeaux sont enlevés, ses enfans ensevelis sous les ruines d’une maison ; lui-même enfin se trouve couvert d’ulceres depuis la plante des piés jusqu’au sommet de la tête. L’histoire de l’évocation de l’ombre de Samuel faite par la pythonisse, & rapportée au xxviij. chap. du second livre des Rois, ce que l’Ecriture dit ailleurs des faux prophetes d’Achab & de l’oracle, de Beelzebuth à Accaron : tous ces traits réunis prouvent qu’il y avoit des magiciens & des sorciers, c’est-à-dire des hommes qui avoient commerce avec les démons.

On n’infere pas moins clairement la même vérité des ordres réitérés que Dieu donne contre les magiciens & contre ceux qui les consultent : Vous ferez mourir, dit-il, ceux qui font des maléfices ; maleficos non patieris vivere, Exod. xxij. v. 18. Même arrêt de mort contre ceux qui consultoient les magiciens & les devins : anima quæ declinaverit ad magos & ariolos & fornicata fuerit cum illis... interficiam illam de medio populi mei. Levitic. xx. v. 6. Qu’il n’y ait personne parmi vous, dit-il encore à son peuple, qui fasse des maléfices, qui soit enchanteur, ou qui consulte ceux qui ont des pythons ou esprits, & les devins, ou qui interroge les morts sur des choses cachées : nec inveniatur in te maleficus, nec incantator, nec qui pythones consulat, nec divinos, aut quærat à mortuis veritatem, Deuteron. xviij. v. 10 : précautions & sévérités qui eussent été injustes & ridicules contre de simples charlatans, & qui supposent nécessairement un commerce réel entre certains hommes & les démons.

La loi nouvelle n’est pas moins précise sur ce point que l’ancienne ; tant d’énergumenes guéris par J. C. & ses apôtres, Simon & Elymas tous deux magiciens, la pythie dont il est parlé dans les actes des apôtres, enfin tant de faits relatifs à la magie attestés par les peres, ou attestés par les écrivains ecclésiastiques les plus respectables, les décisions des conciles, les ordonnances de nos rois, & entr’autres de Charles VIII. en 1490, de Charles IX. en 1560, & de Louis XIV. en 1682. Les Jurisconsultes & les Théologiens s’accordent aussi à admettre l’existence des sorciers ; & sans citer sur ce point nos théologiens, nous nous contenterons de remarquer que les hommes les plus célebres que l’Angleterre ait produits depuis un siecle, c’est-à-dire, Mrs. Barrow, Tillotson, Stillingfleet, Jenkin, Prideaux, Clarke, Loke, Vossius, &c. ce dernier surtout remarque que ceux qui ne sauroient se persuader que les esprits entretiennent aucun commerce avec les hommes, ou n’ont lu les saintes Ecritures que fort négligemment, ou, quoiqu’ils se déguisent, en méprisent l’autorité. « Non possunt in animum inducere ulla esse in spiritibus commercia cum homine... sed deprehendi eos vel admodùm negligenter legisse sacras litteras, vel utcumque dissimularent, Scripturarum autoritatem parvi facere ». Voss. epistol. ad.

En effet dans cette matiere tout dépend de ce point décisif ; dès qu’on admet les faits énoncés dans les Ecritures, on admet aussi d’autres faits semblables qui arrivent de tems en tems : faits extraordinaires, surnaturels, mais dont le surnaturel est accompagné de caracteres qui dénotent que Dieu n’en est pas l’auteur, & qu’ils arrivent par l’intervention du démon. Mais comme après une pareille autorité il seroit insensé de ne pas croire que quelquefois les démons entretiennent avec les hommes de ces commerces qu’on nomme magie ; il seroit imprudent de se livrer à une imagination vive & tout-à-la-fois foible, qui

ne voit par-tout que maléfices, que lutins, que phantômes & que sorciers. Ajouter foi trop légérement à tout ce qu’on raconte en ce genre, & rejetter absolument tout ce qu’on en dit, sont deux extremes également dangereux. Examiner & peser les faits, avant que d’y accorder sa confiance, c’est le milieu qu’indique la raison.

Nous ajouterons même avec le P. Malebranche, qu’on ne sauroit être trop en garde contre les rêveries des démonographes, qui sous prétexte de prouver ce qui a rapport à leur but, adoptent & entassent sans examen tout ce qu’ils ont vû, lû, ou entendu.

« Je ne doute point, continue le même auteur, qu’il ne puisse y avoir des sorciers, des charmes, des sortileges, &c. & que le démon n’exerce quelquefois sa malice sur les hommes, par la permission de Dieu. C’est faire trop d’honneur au diable, que de rapporter serieusement des histoires, comme des marques de sa puissance, ainsi que font quelques nouveaux démonographes, puisque ces histoires le rendent redoutable aux esprits foibles. Il faut mépriser les démons, comme on méprise les bourreaux, car c’est devant Dieu seul qu’il faut trembler.... quand on méprise ses lois & son évangile.

Il s’ensuit de-là, (& c’est toujours la doctrine du P. Malebranche), que les vrais sorciers sont aussi rares, que les sorciers par imagination sont communs. Dans les lieux où l’on brûle les sorciers, on ne voit autre chose, parce que dans les lieux où on les condamne au feu, on croit véritablement qu’ils le sont, & cette croyance se fortifie par les discours qu’on en tient. Que l’on cesse de les punir, & qu’on les traite comme des fous, & l’on verra qu’avec le tems ils ne seront plus sorciers, parce que ceux qui ne le sont que par imagination, qui sont certainement le plus grand nombre, deviendront comme les autres hommes.

Il est sans doute que les vrais sorciers méritent la mort, & que ceux même qui ne le sont que par imagination, ne doivent pas être regardés comme innocens, puisque pour l’ordinaire, ces derniers ne sont tels, que parce qu’ils sont dans la disposition du cœur d’aller au sabbat, & qu’ils se sont frottés de quelque drogue pour venir à bout de leur malheureux dessein. Mais en punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie ; les sorciers par imagination se multiplient, & ainsi une infinité de gens se perdent & se damnent. C’est donc avec raison que plusieurs parlemens ne punissant point les sorciers » ; (il faut ajouter précisément comme sorciers, mais comme empoisonneurs, & convaincus de maléfices, ou chargés d’autres crimes, par exemple, de faire périr des bestiaux par des secrets naturels.) « Il s’en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort, & l’envie, la haine, & la malice des méchans ne peuvent se servir de ce prétexte pour accabler les innocens. » Recherch. de la vérité, liv. III. chap. vj.


Il est en effet étonnant qu’on trouve dans certains démonographes une crédulité si aveugle sur le grand nombre des sorciers, après qu’eux-mêmes ont rapporté des faits qui devroient leur inspirer plus de reserve. Tel est celui que rapporte en latin Delrio, d’après Monstrelet ; mais que nous transcrirons dans le vieux style de cet auteur, & qui servira à confirmer ce que dit le P. Malebranche, que l’accusation de sorcellerie est souvent un prétexte pour accabler les innocens.

« En cette année (1459), dit Monstrelet, en la ville d’Arras ou pays d’Artois, advint un terrible cas & pitoyable, que l’en nommoit vaudoisie, ne sai pourquoi : mais l’en disoit que c’étoient au-