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des tems Auguste ordonna, par une loi, que le sénat ne pût régulierement s’assembler que deux jours du mois, les calendes & les ides.

On n’assembloit que très-rarement le sénat pendant les fêtes publiques, destinées à des jeux, & consacrées aux pompes de la religion, telles que les saturnales, que l’on célébroit dans le mois de Décembre, & qui duroient plusieurs jours consécutifs. Cicéron, lorsqu’il rapporte les disputes élevées dans le sénat en présence de deux cens sénateurs, appelle l’assemblée tenue dans cette occasion, une assemblée plus nombreuse qu’il n’auroit cru qu’elle dût l’être, lorsque les jours saints étoient déja commencés.

Le sénat, dans ses jours d’assemblée, ne mettoit sur le tapis aucune affaire avant le jour, & ne la terminoit point après le coucher du soleil. Toute affaire proposée & conclue avant ou après ce tems, étoit nulle & sujette à cassation, & celui qui l’avoit proposée étoit soumis à la censure ; de sorte que ce fut une regle stable, qu’on ne proposât aucune affaire dans le sénat après la quatrieme heure de l’après-dînée ; ce qui fait que Cicéron censure certains décrets prononcés par Antoine dans son consulat, comme rendus trop avant dans la nuit, & qui par cette raison n’avoient aucune autorité.

On voit cependant un exemple d’une assemblée du sénat tenue à minuit, l’an de Rome 290, à cause de l’arrivée d’un exprès envoyé par l’un des consuls, pour informer le sénat qu’il se trouvoit assiégé par les Eques & les Volsques, dont les forces étoient supérieures, & qu’il risquoit de périr avec toute son armée, si on ne lui envoyoit un prompt secours ; ce qui lui fut accordé tout de suite par un decret. C’est Denis d’Halicarnasse, l. IX. c. lxiij. qui le dit.

Le sénat étant assemblé, le lecteur sera sans doute bien aise de savoir la méthode que cette compagnie célebre observoit dans ses déliberations.

Il faut d’abord se représenter qu’à la tête du sénat étoient placés le dictateur & les consuls dans des sieges distingués, élevés, ainsi que nous le croyons, de quelques degrés au-dessus des autres bancs. Par égard pour la dignité de ces premiers magistrats, lorsqu’ils entroient dans la curie, tous les sénateurs étoient dans l’usage de se lever de leurs sieges. Le préteur Décius ayant manqué à ce devoir, un jour que le consul Scaurus passoit près de lui, ce consul le punit d’avoir méprisé sa dignité, & ordonna qu’on ne plaideroit plus à son tribunal.

Manuce croit que les magistrats inférieurs étoient placés à côté les uns des autres, au-dessous des sieges des consuls, chacun suivant son rang ; les préteurs, les censeurs, les édiles, les tribuns & les questeurs.

Il est toujours vrai que les sénateurs sur leurs sieges, gardoient entr’eux un ordre de préséance, pris de la dignité de la magistrature qu’ils avoient auparavant remplie. Lorsque Cicéron en parle, il indique cet ordre. C’étoit aussi celui que gardoient les magistrats en se plaçant, & lorsqu’il s’agissoit de proposer leur opinion, chacun dans son rang & à son tour.

Quelques savans conjecturent que les édiles, les tribuns & les questeurs, étoient assis sur des bancs séparés ; avec cette différence, que ceux des magistrats curules étoient un peu plus élevés que les autres. Il semble que Juvenal indique cette différence dans sa satire jx. 52. contre celui qui veut faire voir qu’il a une dignité curule. Ces bancs étoient en quelque sorte semblables à nos petites chaises sans dossier. Suétone, dans sa vie de Claude, c. xxiij. dit que quand cet empereur avoit quelque grande affaire à proposer au sénat, il s’asseyoit sur un banc des tribuns, placé entre les chaires curules des deux consuls. Mais il falloit aussi qu’il y eût d’autres bancs longs, de maniere que plusieurs sénateurs pouvoient

s’y placer ; car Cicéron rapporte, dans ses épit. famil. iij. 9. que Pompée appelloit les décisions du sénat, le jugement des longs bancs, pour le distinguer des tribunaux particuliers de justice.

Indépendamment de la diversité des bancs, & des places assignées à chaque ordre de sénateurs, l’un des membres de ce corps auguste étoit toujours distingué des autres par le titre de prince du sénat. Cette distinction, qui avoit commencé sous les rois, eut lieu dans tous les tems de la république. On voulut conserver cette premiere forme établie par le fondateur de Rome, qui s’étoit reservé en propre le choix & la nomination du principal sénateur, qui, dans son absence & dans celle des rois, devoit présider dans cette assemblée ; le titre de prince du sénat étoit dans les regles, & par voix de conséquence donné à celui dont le nom étoit placé le premier dans la liste de ce corps, toutes les fois que les censeurs la renouvelloient. On eut attention de le donner toujours à un sénateur consulaire, qui avoit été revêtu de la dignité de censeur. On choisissoit l’un de ceux que sa probité & sa sagesse rendoient recommandable ; & ce titre étoit tellement respecté, que celui qui l’avoit porté étoit appellé de ce nom par préférence à celui de quelque autre dignité que ce fût, dont il se seroit trouvé revêtu. Il n’y avoit cependant aucun droit lucratif attaché à ce titre, & il ne donnoit d’autre avantage, qu’une autorité qui sembloit naturellement annoncer un mérite supérieur dans la personne de ceux qui en étoient honorés. Mais voyez Prince du sénat.

Le sénat étant assemblé, les consuls ou les magistrats qui en avoient fait la convocation par leur autorité, prenoient avant tout les auspices, & après avoir rempli les devoirs ordinaires de la religion par des sacrifices & des prieres, ils étoient dans l’usage de déclarer le motif de la convocation de cette assemblée, & de proposer les matieres des délibérations de ce jour. Par préférence à tout, on expédioit d’abord & sans délai les affaires de la religion & qui concernoient le culte des dieux. Lorsque le consul avoit soumis à l’examen quelque point, on le discutoit ; s’il étoit question de rendre un decret, il disoit son opinion à cet égard, & parloit aussi long-tems qu’il le vouloit ; il demandoit ensuite les opinions des autres sénateurs, en les appellant par leurs noms, & suivant l’ordre dans lequel ils étoient placés ; il commençoit par les sénateurs consulaires, & continuoit par les prétoriens.

Originairement on étoit dans l’usage d’interroger le prince du sénat le premier ; mais bientôt on ne se conduisit plus ainsi, & cette politesse fut accordée à quelque vieux sénateur consulaire, distingué par ses vertus, jusqu’aux derniers tems de la république, que s’introduisit la coutume fixe de donner cette marque de respect à ses parens, à ses amis particuliers, ou à ceux que l’on croyoit vraissemblablement d’un avis conforme à ses propres vues & à ses sentimens sur la question proposée.

Quelque ordre que les consuls observassent, en demandant les opinions le premier de Janvier, ils le gardoient pendant tout le reste de l’année. C. César, à la vérité, se mit au-dessus de cette regle & en changea l’usage ; car quoiqu’il eût au commencement de son consulat interrogé Crassus le premier, cependant ayant marié sa fille à Pompée, dans le cours de cette magistrature, il donna cette marque de prééminence à son gendre ; politesse dont il fit ensuite excuse au sénat.

Cet honneur d’être interrogé d’une maniere extraordinaire, & par préférence à tous les autres sénateurs du même rang, quoique d’âge & de noblesse plus ancienne, paroît ne s’être étendu qu’à quatre ou cinq personnages consulaires. Tous les autres sé-