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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/41

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cylindre nerveux ou n’est pas de sa nature, ne pouvant être disposé pour admettre la sensibilité, se convertit en un organe général & passif appellé tissu cellulaire ou corps muqueux, dont le principal usage est de contenir les sucs aqueux du corps, de renforcer les productions de la fibre animale, ou d’en modifier la sensibilité, &c.

Voilà à peu-près tout ce qu’on peut présumer de la sensibilité dans l’état de simple ébauche où se trouve l’embryon ; ce tableau, tout imparfait qu’il est, ne laisse pourtant pas que de renfermer des vérités très-importantes qu’on peut se représenter par autant de corollaires.

1°. On voit que la sensibilité ou l’ame sensitive est une avec la vie de l’animal, qu’elle naît avec elle, & est inhérente à la substance du nerf ou des parties nerveuses, à l’exclusion de toutes les autres substances du corps.

2°. Que le nerf doit composer essentiellement l’animal en tant qu’être sensible ou vivant : car ce que nous avons appellé tissu cellulaire n’appartient pas plus à l’animal proprement dit, que la terre n’appartient à la plante qui y vegete ; ce n’est-là que l’écorce, l’enveloppe de l’animal, la terre dans laquelle la plante nerveuse se plaît à vivre ; ensorte que l’homme physique n’est à cet égard que le squelete nerveux, s’il est permis de s’exprimer ainsi, animé de la sensibilité & plongé ou niché dans différens tas de matiere muqueuse, plus ou moins compacte, suivant la nature des organes ; ce qui revient à-peu-près à la comparaison qu’Isaac fait de l’homme à un arbre renversé dont le cerveau est la racine, ex libris Galeno adscriptis, pag. 45.

3°. Les nerfs formant & la base & l’essence de tous les organes, il est clair que toute partie du corps doit être douée plus ou moins de sentiment, ou de sensibilité, de mouvement ou de mobilité. Les seules parties purement muqueuses sont insensibles & immobiles, ou du moins n’ont-elles qu’un sentiment & un mouvement empruntés du nerf ; car leur disposition au desséchement & à l’adhérence propre à tous les corps muqueux, ne doit pas être confondue avec la faculté animale ou vitale propre au nerf, &c.

Cette sensibilité générale des parties est d’une vérité constante en Médecine. Hippocrate avoit déja remarqué que toutes les parties de l’animal étoient animées, animantur animalium omnes partes. Elles ont, dit Montagne, des passions propres qui les éveillent & les endorment. Voyez Essais, lib. I. c. xx. Lucrece s’en explique plus positivement encore dans son poëme.

Sensus jungitur omnis
Visceribus, nervis, venis quæcumque videmus,
Mollia mortali consistere corpore creta,

Lib. I. de rerum nat.

4°. L’activité de l’ame sensitive étant une propriété inséparable de cette ame, & comme son archée, & la sensibilité se mesurant elle-même sur la disposition des parties nerveuses, combien n’en doit-il pas résulter de modifications ou de nuances de sensibilité & de mobilité, conséquemment au plus ou au moins de corps muqueux qu’il peut y avoir dans une partie, & aux autres variétés de l’organisation ? De-là peuvent se déduire les différens goûts & appétits des nerfs, ainsi que leurs différens usages ; pourquoi, par exemple, le son qui frappe les nerfs de l’oreille y cause un sentiment qu’il ne sauroit produire sur l’œil, & que la lumiere fait sur celui-ci une sensation qu’elle ne sauroit faire sur l’autre ? Pourquoi de même l’estomac ne peut supporter le tartre émétique qui ne fait rien sur l’œil, tandis que l’huile qui est insupportable aux parties sensibles de

ce dernier organe, ne fait aucune impression sur l’estomac ? Enfin, pourquoi tel organe est plus mobile que sensible, tel autre au contraire plus sensible que mobile, &c. toutes ces différences dérivant naturellement de cette spécification d’organisation, il est donc bien inutile de créer des nerfs de plusieurs sortes, comme le font ceux qui d’après Erasistrate, en veulent pour le sentiment, & d’autres pour le mouvement, sans penser que le même nerf réunit nécessairement les deux propriétés, & qu’elles sont encore une fois absolument dépendantes & inséparables l’une de l’autre.

Sensibilité dans le fœtus. L’embryon ayant acquis toutes ses formes au point de donner l’ensemble ou la figure entiere de l’animal, le fœtus en un mot, renferme dans ses parties l’appareil économique de la vie ou de la sensibilité ; il vit par conséquent, néanmoins cette vie du fœtus ne peut guere être qu’empruntée dès qu’il lui manque plusieurs circonstances qu’il ne sauroit trouver que hors du ventre de la mere, pour exercer toutes les branches de la sensibilité. Il n’y aura donc que quelques centres, comme le cœur & certains autres organes préposés à la nutrition & à l’accroissement du fœtus, qui, aidés de l’impression de la vie de la mere, exerceront actuellement le sentiment. Tout le reste de la sensibilité attendra que l’animal jouisse de la lumiere pour se developper sous l’impression des agens externes, & établir le concours des fonctions d’où dépend la vie générale, ou la vie proprement dite. Voyez ce qu’en dit l’illustre auteur de l’idée de l’homme physique & moral.

Sensibilité dans l’état naturel de l’homme, ou par rapport à la Phvsiologie. Dans le tems marqué par la nature, le fœtus éprouve l’effet puissant d’une sensibilité étrangere qui le met au jour. Il est d’abord frappé du nouvel air qui l’environne, & on sent quelles révolutions doit éprouver la sensibilité pour que la convenance ou le rapport des températures s’établisse entre elle & ce fluide.

Cette premiere impression de l’air excite sur-tout la flamme vitale dans les poumons, comme par une espece de ventilation ; cette action se communique à plusieurs autres centres dont les forces & l’activité se déployant, tout s’anime, tout se meut dans ce nouvel homme, & la sensibilité jouissant de presque tous ses droits, ouvre le cercle des phénomenes de la vie.

1°. La disposition & la situation favorables des organes influant sur leur sensibilité, il arrive qu’il y en a qui doivent paroître avoir différens mouvemens & sentimens, & plus ou moins de mouvement & de sentiment, suivant qu’ils sont plus ou moins à portée des impressions externes. Voilà le fondement & l’origine des cinq sens qui radicalement se réduisent à un, c’est-à-dire le tact.

2°. Mais comme, ainsi que nous l’avons remarqué plus haut en parlant de la formation, il se trouve dans le corps différens centres ou foyers de sensibilité qu’on pourroit évaluer par une plus grande ou une moindre combinaison de filamens nerveux ou de substance nerveuse, & peut-être encore par la circonstance d’avoir été les premiers jouissans de la sensibilité, il suit que les principaux de ces centres doivent absorber à eux seuls presque toute l’activité de l’ame sensitive. Tels sont, suivant des observations aisées à faire, la tête, le cœur ou la région précordiale, l’estomac ou la région épigastique, où reviennent très-bien les divisions que les anciens avoient faites des fonctions en animales, vitales & naturelles, lesquelles se soutiennent réciproquement les unes les autres, en se volant ou se prêtant mutuellement de leur activité ; ce qui paroît visiblement dans le sommeil. Ces trois fameux centres seront donc comme le triumvirat ou le