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l’un & l’autre cas : on juge que les muscles soumis à la volonté sont dans une contraction contre nature, lorsque cette contraction n’est point volontaire, c’est ce que j’appelle proprement convulsion. Cette mesure seroit fautive à l’égard des parties qui se contractent naturellement sans la participation de la volonté ; on ne doit donc décider leur contraction non-naturelle que lorsqu’elle sera portée à un trop haut point, que le mouvement tonique sera augmenté de façon à entraîner une lésion sensible dans l’exercice des fonctions. Cette seconde espece me paroît devoir retenir le nom plus approprié de spasme ; la différence que je viens d’établir dans la nomenclature se trouve encore fondée sur la façon ordinaire de s’exprimer ; ainsi on dit : Un homme est tombé dans les convulsions, il avoit le bras en convulsion, &c. lorsqu’il s’agit de ces contractions contre nature extérieures involontaires, & l’on dit au contraire : Le spasme des intestins, de la vessie, des extrémités artérielles des différens organes, &c. lorsqu’on veut exprimer l’augmentation de ton de ces parties intérieures. En partant de ces principes, je crois qu’on peut dire qu’une convulsion suppose un spasme violent ; & dans ce cas, il sera vrai que le spasme est une disposition prochaine à la convulsion. Cette assertion est fondée sur ce que tous les symptomes apparens ont pour cause un dérangement intérieur que nous croyons analogue.

Quel est donc ce dérangement intérieur, & quelle en est la cause ? Champ vaste ouvert aux théoriciens, sujet fertile en discussions, en erreurs & en absurdités. Les partisans de la théorie ordinaire confondant toujours spasme & convulsion, les ont regardés comme des accidens très-graves, qu’ils ont fait dépendre d’un vice plus ou moins considérable dans le cerveau ; les uns ont cru que ce vice consistoit dans un engorgement irrégulier des canaux nerveux ; d’autres l’ont attribué à un fluide nerveux, épais & grumelé, qui passoit avec peine & inégalement dans les nerfs, & excitoit par-là cette irrégularité dans les mouvemens. La plûpart ont pensé que la cause du mal étoit dans les vaisseaux sanguins du cerveau, & que leur disposition vicieuse consistoit en des especes de petits anévrismes extrèmement multipliés, qui rendoient la circulation du sang déja épais & sec, plus difficile, & en troubloient en même tems l’uniformité. Tous enfin ont recours à des causes particulieres, presque toutes vagues, chimériques, ou peu prouvées pour l’explication d’un fait plus général qu’on ne le pense communément.

Et c’est précisément de tous les défauts qu’on pourroit, par le plus léger examen, découvrir dans ces théories, celui qui est le plus remarquable, & qu’il est le plus important d’approfondir ; rien n’est plus nuisible aux progrès d’une science, que de trop généraliser certains principes, & d’en trop particulariser d’autres. La circulation du sang, simple phénomene de Physiologie, dont la découverte auroit dû, ce semble, répandre un nouveau jour sur la Médecine théorique, n’a fait qu’éblouir les esprits, obscurcir & embrouiller les matieres, parce que tout aussi-tôt on l’a regardée comme un principe général, & qu’on en a fait un agent universel. Erreur dont les conséquences ont toujours été de plus en plus éloignées du sanctuaire de la vérité ou de l’observation ; donnant dans l’écueil opposé, on n’a considéré le spasme que sous l’aspect effrayant d’un symptome dangereux, tandis qu’avec une idée plus juste de l’économie animale on n’y auroit vu qu’un principe plus ou moins général, qui, vrai Protée, changeoit de forme à chaque instant, & produisoit dans différentes parties & dans différentes circonstances des effets très différens. C’est par la lecture de quelques ouvrages modernes, specimen novi medicinæ conspectus, idée

de l’homme physique & moral, &c. & des différens écrits de M. de Bordeu, que partant d’une connoissance exacte de l’économie animale, voyez ce mot ; on pourra sentir de quelle importance il est d’analyser plus profondément qu’on ne l’a fait jusqu’ici le spasme, & d’en examiner de beaucoup plus près la nature, le méchanisme, la marche, les especes & les variations.

A mesure que les sujets sont plus intéressans, on doit chercher davantage à trouver de grands points de vûe pour les mieux appercevoir, pour les considérer en grand, & les suivre dans toutes leurs applications ; mais il faut bien prendre garde aux fondemens sur lesquels on établit de grands principes. Il est incontestable qu’en Médecine de pareils fondemens ne peuvent être assis que sur l’observation ; & comme les différentes théories qui se sont succédées jusqu’à présent n’ont été reçues que sur la foi d’un pareil appui, & qu’il est probable que leurs auteurs étoient persuadés de les avoir ainsi fondés, il en résulte nécessairement qu’il en est de l’observation, comme Montagne le disoit de la raison, que c’est un pot à deux anses, une regle de plomb & de cire alongeable, ployable & accommodable, à tous sens & à toutes mesures. Il y a donc une maniere de saisir l’observation pour en tirer les lumieres qu’elle doit fournir ; il faut donc un point de vûe propre à saisir le fonds de l’observation, avant que de pouvoir se flatter d’en tirer assez de parti pour former une théorie également solide & profonde.

Insantum corpus loeditur in quantum convellitur ; c’est un grand & important axiome que le célebre auteur des ouvrages cités plus haut, établit pour fondement de la théorie des maladies, il découle naturellement des principes justes & feconds qu’il a exposés sur l’économie animale ; il est d’ailleurs appuyé sur des observations multipliées, & sur-tout sur le genre d’observation le plus lumineux & le moins équivoque ; c’est celui dont on est soi-même l’objet : voilà donc le spasme proposé comme cause générale de maladie, suivons l’auteur dans les différens pas qu’il a faits pour venir à cette conséquence, & examinons sans prévention les preuves sur lesquelles il en étaye la vérité. Jettons d’abord un coup d’œil sur l’homme sain, & sans remonter aux premiers élémens peu connus dont il est composé, fixons plus particulierement nos regards sur le tableau animé que présentent le jeu continuel des différentes parties & les fonctions diversifiées qui en résultent.

Qu’est-ce que l’homme ? ou pour éviter toute équivoque, que la méchanceté & la mauvaise foi sont si promptes à faire valoir ; qu’est-ce que la machine humaine ? Elle paroît à la premiere vûe, un composé harmonique de différens ressorts qui mûs chacun en particulier, concourent tous au mouvement général ; une propriété générale particulierement restreinte aux composés organiques, connue sous les noms d’irritabilité ou sensibilité, se répand dans tous les ressorts, les anime, les vivifie & excite leurs mouvemens ; mais modifiée dans chaque organe, elle en diversifie à l’infini l’action & les mouvemens ; par elle les différens ressorts se bandent les uns contre les autres, se résistent, se pressent, agissent & influent mutuellement les uns sur les autres ; cette commixture réciproque entretient les mouvemens, nulle action sans réaction. De cet antagonisme continuel d’actions, résulte la vie & la santé ; mais les ressorts perdroient bientôt & leur force, & leur jeu, les mouvemens languiroient, la machine se détruiroit, si l’Etre suprème qui l’a construite n’avoit veillé à sa conservation, en présentant des moyens pour ranimer les ressorts fatigués, & pour ainsi dire débandés, pour rappeller les mouvemens & remonter en un mot toute la machine ; c’est-là l’usage des six choses