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tous les peuples du monde ont consacré de bonne heure les statues à la religion. Les Egyptiens montrerent l’exemple : ces peuples, dit Diodore de Sicile, liv. I. frappés d’admiration en observant le mouvement régulier du soleil & de la lune, les regarderent comme les premieres divinités auxquelles ils se croyoient redevables de toute la douceur de leur vie. Ils bâtirent des temples à leur honneur, poserent à l’entrée de ces édifices sacrés des figures de sphinx, & dans l’intérieur des statues de lions, à cause de l’entrée du soleil dans le signe du lion, au tems des débordemens du Nil, principe de la fertilité de leurs terres dans toute l’étendue de son inondation. Osiris leur avoit enseigné l’agriculture ; ils l’honorerent, après sa mort, sous la figure d’une genisse.

La promptitude des Israélites à élever le serpent d’airain, montre que cette nation avoit appris en Egypte l’art de la statuaire. Cet art passa promptement chez les Grecs & chez les Romains, qui chargerent leurs temples de superbes statues, depuis celle de Cybelle jusqu’à celle d’Isis, après qu’ils eurent adopté le polythéïsme.

Il seroit peut-être à souhaiter que les payens n’eussent jamais songé à faire entrer les statues & les images dans leur culte religieux, du-moins le Christianisme épuré pouvoit s’en passer. Le peuple n’est pas capable de s’élever au-dessus des sens ; mettant toujours l’accessoire à la place du principal, il cherche à s’acquitter aisément ici la superstition le subjugue, & là la dépravation l’entraîne dans des excès criminels.

Elien, Hist. var. liv. IX. c. xxxjx. rapporte qu’un jeune athénien devint amoureux de la statue de la Bonne Fortune qui étoit dans le Prytanée. Les vœux fréquens qu’il lui présentoit l’échaufferent à un tel point, qu’après avoir trouvé des raisons pour excuser dans son esprit la folie de sa passion, il vint à l’assemblée des prytanes, & leur offrit une grosse somme pour l’acquisition de la statue : on le refusa ; il orna la statue avec toute la magnificence qui pouvoit être permise à un particulier, lui fit un sacrifice, & se donna la mort Pline, l. XXXVI. c. jv. Valere-Maxime, VIII. xj. Athenée, l. VIII. Plutarque, in Gryllo ; Clément d’Alexandrie, admonit. ad Gentiles ; Arnobe, lib. adversus Gentiles, sont remplis d’exemples de ces foiblesses humaines pour les statues de Vénus qu’on voyoit à Gnide & dans l’île de Chypre.

Quoi qu’il en soit, après les dieux, l’honneur des statues fut communiqué aux demi-dieux & aux héros que leur valeur élevoit au-dessus des autres, & qui par des services éclatans s’étoient rendus vénérables à leur siecle.

Quelques-uns ont reçu ces honneurs pendant leur vie, & d’autres les ayant refusés, les ont mérités après leur mort par un motif de reconnoissance encore moins équivoque. Tel fut Scipion, à qui Rome ne rendit cet éclatant témoignage de son estime que quand il ne fut plus en état de s’y opposer lui-même. Etant censeur, il avoit fait abattre toutes les statues que les particuliers s’étoient érigées dans la place publique, à-moins qu’ils n’eussent été autorisés à le faire par un decret du sénat ; & Caton aima mieux que l’on demandât pourquoi on ne lui en avoit point élevé, que si on pouvoit demander à quel titre on lui avoit fait cet honneur-là.

Suétone dit qu’Auguste déclara par un édit que les statues qu’il avoit fait élever en l’honneur des grands hommes de toutes les nations, ne l’avoient été que pour leur servir d’exemple, de même qu’aux princes ses successeurs, & afin que les citoyens en désirassent de semblables. Mais on sait assez que la plûpart de ses successeurs en furent plus redevables à la crainte de leurs sujets qu’à leur propre mérite ; aussi sentant bien qu’ils n’avoient rien de semblable à espérer après leur mort, ils se hâtoient de se faire

rendre par force ou par complaisance un hommage qui n’étoit dû qu’à la vertu.

Les statues, comme les temples, faisoient une partie considérable des apothéoses dont il est si souvent parlé dans les auteurs de l’histoire d’Auguste ; on y trouve un grand détail des cérémonies essentielles qui se pratiquoient en ces occasions, & de tout ce que la flatterie y ajouta pour plaire davantage aux vivans dans des honneurs si légerement décernés aux défunts. Les Romains étoient si scrupuleux dans ces dédicaces de temples ou de statues, qu’ils les auroient recommencées s’ils s’étoient apperçus qu’un seul mot ou même une seule syllabe y eût été obmise ; & Pline observe que le pontife Métellus, qui étoit begue, se prépara pendant six mois à prononcer le nom de la déesse Ops-opifera, à laquelle on devoit dédier une statue.

Les législateurs ont été honorés de statues dans presque tous les états ; quelques hommes illustres ont partagé avec eux cet honneur ; mais d’autres se défiant de la reconnoissance & de l’estime publique, n’attendirent pas qu’on le leur accordât, ils éleverent à eux-mêmes des statues à leurs frais ; & c’est peut-être à cette liberté que l’on doit les réglemens qui défendirent d’en ériger sans l’aveu des censeurs. Mais ces ordonnances ne s’étendoient pas sur les statues que les personnes de quelque consideration faisoient poser pour l’ornement de leurs maisons de campagne, où quelquefois à côté des leurs, ils en élevoient pour des esclaves dont les services leur avoient été agréables, ce qui n’étoit pas permis à la ville, du-moins pour les esclaves.

Valere-Maxime dit qu’une statue de Sémiramis la représentoit au même état où elle se trouvoit lorsqu’on vint dire que les habitans de Babylone s’étoient révoltés ; elle étoit à sa toilette, n’ayant qu’un côté de ses cheveux relevés ; & s’étant présentée en cet état à son peuple, il rentra aussi-tôt dans le devoir.

Cornélius Népos, dans la vie de Chabrias, rapporte que les Athéniens qui honoroient d’une statue les athletes victorieux à quelque jeu que ce fût de la Grece, le firent représenter appuyé sur un genou, couvert de son bouclier, la lance en arrêt, parce que Chabrias avoit ordonné à ses soldats de se mettre dans cette attitude pour recevoir l’attaque des soldats d’Agésilaüs, qui furent défaits. Ces mêmes Athéniens éleverent à Bérose, qui a vécu du tems d’Alexandre, & non au tems de Moïse, ainsi que l’établit Eusebe, une statue dont la langue étoit dorée, & qui fut posée dans le lieu des exercices publics par estime pour ses écrits, & pour ses observations astronomiques.

Pline dit que Lucius Minucius Augurinus, qui s’opposa aux desseins ambitieux de Mélius, & qui de l’état de sénateur où il étoit né, passa à celui de plebéien pour pouvoir être tribun du peuple, ayant rétabli l’abondance à Rome, fut honoré d’une statue à la porte Trégemina ; & Patin cite la médaille qui le représente comme il l’étoit dans cette statue, tenant en sa main deux épis, symbole de l’abondance.

Les femmes même qui avoient rendu quelque service à la république, furent associées à la prérogative d’avoir des statues. On ordonna une statue équestre à Clélia, échappée des mains de Porsenna qui la gardoit en ôtage. La vestale Suffétia eut par un decret du sénat, la permission de choisir le lieu qui lui plairoit pour poser la statue qui lui fut décernée en reconnoissance de quelques terres dont elle fit présent à la ville de Rome ; & Denys d’Halicarnasse en allegue quelques autres exemples.

Quand le sénat ordonnoit une statue, il chargeoit les entrepreneurs des ouvrages publics de prendre au trésor de l’état de quoi fournir à la depense qui convenoit. Il y avoit un terme fixé pour l’exécution de