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à un corps vivant ? Le tact qu’est-il, sinon le satellite universel de l’ame sensitive ? Il semble que cela n’a pas besoin d’une plus grande démonstration. Voyez encore l’exercitation 57 d’Harwée.

Quant au plus ou au moins de sensibilité que M. de Haller a reconnu dans les différens organes, c’est, avons-nous dit, une suite nécessaire de leur organisation qui est comme spécifiée dans chacun d’eux par une quantité de tissu cellulaire, & la maniere dont ce tissu y est employé, par leur consensus avec les organes voisins, par leur situation, & une multitude infinie d’autres circonstances qu’on peut se représenter. Du reste, on doit se rappeller que tous ces organes sont essentiellement formés par les nerfs ; & à l’égard des membranes, elles sont pour la plûpart ou d’une substance toute nerveuse, ou animée en quelques endroits par des rameaux nerveux plus ou moins clairsemés, qui s’étendent dans le tissu même de la membrane, ou qui rampent sur ses vaisseaux ; nous en avons pour preuve l’inflammation qui y survient quelquefois. Les membranes du fœtus que M. de Haller donne pour irritables sur la simple autorité de Lups, reçoivent vraissemblablement des nerfs du cordon ombilical, ainsi que le soupçonne M. Whitt.

Une erreur non moins considérable encore, & contre laquelle nous croyons qu’on ne sauroit être assez prévenu, c’est la faculté aïrritable que M. de Haller accorde au tissu cellulaire, ensorte que ce qu’il y a de vraiment actif dans le corps humain, est confondu avec ce qu’il y a de passif. Nous avons assez clairement exposé, en parlant de la formation, ce qui est purement physique d’avec ce qui est animal dans le corps, pour faire sentir l’inconvenient qu’il y auroit à ne pas distinguer ces deux choses, lorsqu’on expose les parties des animaux à l’action des acides, ou de tel autre agent. Encore une fois, tout ce qui est susceptible d’irritation est dépendant du principe vital ou sensitif. Or on ne sauroit reconnoître dans le tissu cellulaire qu’une disposition au desséchement, & à l’adhérence qui lui est commune avec tous les corps muqueux, & un mouvement emprunté de l’action des parties sensibles, &c. ainsi, placer dans une classe de propriétés le nerf au même rang que le tissu cellulaire, c’est y placer l’être à côté du néant. Toutes ces raisons s’opposent encore d’elles-mêmes à ce que le signe de l’irritabilité soit dans le gluten de nos parties, ainsi que le prétend M. de Haller : il y a plus ; ce savant auteur semble se contredire lui-même dans cette prétention ; car toutes nos parties étant liées par ce gluten, toutes devroient être susceptibles d’irritabilité, comme le remarque M. Whitt ; cependant dans le système de M. de Haller, la plûpart sont privées de cette faculté.

C’est en vain qu’on voudroit argumenter des expériences de M. de Haller pour défendre son système. Cet appareil imposant de faits, quelqu’exacts, quelque vrais qu’ils puissent être, ne sauroit subsister, pour peu qu’on fasse d’attention à la variété des dispositions dont l’ame sensitive est si fort susceptible, & qui doit nécessairement entrainer celle des produits dans les mêmes procédés & les mêmes circonstances appliquées aux individus d’une même espece. Voilà la source de cette contradiction qui se trouve entre les expériences de M. de Haller, & les mêmes expériences répétées par MM. Bianchi, Lorri, Lecat, Regis, Robert Whitt, Tandon, habile anatomiste de Montpellier, & quelques autres. Aussi ces considérations n’ont-elles point échappé à M. Whitt ; il en a tiré autant d’argumens victorieux contre M. de Haller. Voyez les observations sur la sensibilité & l’irritabilité, &c. à l’occasion du mémoire de M. de Haller ; & ce qu’il y a de plus heureux, lorsqu’on a des adversaires de la plus grande réputation à combattre, Hippocrate lui a fourni les premieres & les plus for-

tes armes dans cet aphorisme ; savoir, que de deux

douleurs dans différens endroits du corps la plus forte l’emporte sur la moindre : duobus doloribus simul obortis, non in eodem loco, vehementior obscurat alterum. Aphoris. lib. II. n°. 46. Cette maxime est confirmée par l’expérience journaliere. Une piquure qui cause une douleur vive fait cesser le hoquet, &c. on ne doit donc pas s’étonner, dit M. Whitt, « qu’après la section des parties plus sensibles, les animaux qu’ouvroit M. de Haller ne donnassent aucun signe de douleur, quand il blessoit des parties qui l’étoient moins ».

Lorsqu’on blessera le cœur à un chien après avoir ouvert la poitrine, l’irritation de ce viscere sera toujours moindre, par la plus grande douleur qu’aura d’abord excitée cette ouverture. D’ailleurs, ne seroit-il pas nécessaire, comme on la déja dit, pour bien constater l’irritation du cœur, d’appliquer les stimulus dans l’intérieur même des ventricules ? Et en ce cas, pourroit-on compter sur le résultat d’une expérience qui paroît susceptible de tant d’inconvéniens ? La théorie des centres & des transports de l’activité de l’ame sensible, nous a fourni plusieurs autres exemples du risque qu’il y a de s’en imposer à soi-même dans les épreuves sur les animaux ; tel est celui du malfaiteur dont nous avons parlé d’après Vanhelmont ; l’observation d’Hoffman sur le retour périodique des coliques néphrétiques, &c. Bianchi a remarqué dans ses vivi-sections l’absence & le retour de la sensibilité, dans l’intervalle de quelques momens, sur une même partie, &c. La crainte dont les animaux sont susceptibles aussi-bien que les hommes, influe singulierement sur l’exercice de la sensibilité, comme nous l’avons vu. Mais jusqu’où n’iront pas les effets de cette passion sous les couteaux d’un dissecteur ? Voyez de contractilitate & sensibilit. theses aliquot. D. D. Francisco de Bordeu, Monspelii, &c.

On doit faire encore la plus grande attention au consensus de la peau avec les parties internes, & à celui de tous les organes entr’eux ; par exemple, si après avoir irrité les parties de la région épigastrique, vous portez le stimulus sur une extrémité, ou sur une partie quelconque qui peut être du département de ce centre, la sensibilité que la premiere irritation aura, pour ainsi dire, toute transportée dans ce foyer général, ne sauroit se trouver en assez grande activité dans la partie que vous irritez en second lieu, pour répondre aux agens que vous y employez. Autre exemple du consensus ; dans l’ouverture d’un chien vivant, après avoir fait plusieurs incisions au diaphragme, on a vu le mesentere suivre les mouvemens des lambeaux de ce muscle, & s’élever en forme de gerbe, en entraînant le reste des intestins qui n’étoient pas sortis par l’ouverture. Voyez l’idée de l’homme physique & moral, p. 205. Combien d’observateurs ont vainement tenté d’irriter le mesentere faute de cette attention au consensus de la partie avec le diaphragme ? &c. L’antagonisme des périostes interne & externe entre eux & avec la peau, les prolongemens, les connexions de la dure-mere avec les tégumens de la tête & de certains endroits de la face, &c. ne sont-ils pas d’une considération essentielle dans les expériences qui se font dans la vue de reconnoître la sensibilité de ces parties ? Ajoutez à ces raisons l’impression de l’air externe sur une partie mise entierement à nud, suivant la méthode que prescrit M. de Haller, page 108 de son mémoire, l’altération graduelle qu’elle éprouve dans la dissection par le progrès de la solution de continuité, &c. la différence qu’il doit y avoir entre la sensibilité des animaux & celle de l’homme, il se trouvera qu’il n’y a pas moyen de poser aucun principe sur de pareilles expériences.

L’ulcere fait plus encore sur une partie que les