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tems. Sanct. Minerv. 1. 13. not. 6. Mais enfin, il faut convenir que c’est abuser de l’ellipse : elle ne doit avoir lieu que dans les cas où d’autres exemples analogues nous autorisent à la suppléer, ou bien lorsqu’on ne peut sans y recourir, expliquer la constitution grammaticale de la phrase ; c’est ainsi qu’en parle Sanctius même, (Minerv. iv. 2.) avoué en cela par Périzonius son disciple : Ego illa tantum supplenda præcipio, quæ veneranda illa supplevit antiquitas, aut ea sine quibus grammaticæ ratio constare non potest. Or, 1°. il est avoué qu’on ne trouve dans les anciens aucun exemple où la premiere personne singuliere du prétendu futur du subjonctif soit employée avec ut ; 2°. en considérant comme principale la proposition où entre ce tems, on en explique très-bien la constitution grammaticale sans recourir à l’ellipse, ainsi qu’on l’a vû plus haut : c’est donc un subterfuge sans fondement, que de vouloir expliquer ce tems par une ellipse, plutôt que d’avouer qu’il n’appartient pas au subjonctif.

Il y a encore deux autres tems des verbes françois, italiens, espagnols, allemands, &c. que la plûpart des grammairiens regardent comme appartenans au mode subjonctif, & qui n’en sont pas ; comme je lirois, j’aurois lû ; je sortirois, je serois sorti. L’abbé Regnier les appelle premier & second futur du subjonctif ; la Touche les appelle imparfait & plus-que-parfait conditionels, & c’est le système commun des rudimentaires. Mais ces deux tems s’employent directement & par eux-mêmes dans des propositions principales : de même que l’on dit, je le ferai, si je puis, on dit, je le ferois, si je pouvois ; je l’aurois fait, si j’avois pû : or il est évident que dans trois phrases si semblables, les verbes qui y ont des fonctions analogues sont employés dans le même sens ; par conséquent, je ferois & j’aurois fait sont à un mode direct aussi-bien que je ferai ; les uns ne sont pas plus que l’autre à un mot oblique ; tous trois constituent la proposition principale ; aucun des trois n’est au subjonctif.

II. La seconde conséquence à déduire de la notion du subjonctif, c’est qu’on ne doit regarder comme primitive & principale, aucune proposition dont le verbe est au subjonctif ; elle est nécessairement subordonnée à une autre, dans laquelle elle est incidente, sous laquelle elle est comprise, & à laquelle elle est jointe par un mot conjonctif, subjungitur.

C’est cette propriété qui est le fondement de la dénomination de ce mode : subjunctivus modus, c’est-à-dire modus juvans, ad juvandam propositionem sub aliâ propositione : ensorte que les grammairiens qui ont jugé à propos de donner à ce mode le nom de conjonctif, n’ont abandonné l’usage le plus général, que pour n’avoir pas bien compris la force du mot ou la nature de la chose ; conjungere ne peut se dire que des choses semblables, subjungere regarde les choses subordonnées à d’autres.

1°. Il n’est donc pas vrai qu’il y ait une premiere personne du pluriel dans les impératifs latins, comme le disent tous les rudimens de ma connoissance, à l’exception de celui de P. R. amemus, doceamus, legamus, audiamus ; c’est la premiere personne du tems que l’on appelle le présent du subjonctif ; & si l’on trouve de tels mots employés seuls dans la phrase & avec un sens direct en apparence, ce n’est point immédiatement dans la forme de ces mots qu’il en faut chercher la raison grammaticale : il en est de cette premiere personne du pluriel comme de toutes les autres du même tems, on ne peut les construire grammaticalement qu’au moyen du supplément de quelque ellipse. Quelle est donc la construction analytique de ces phrases de Cicéron ? Nos autem tenebras cogitemus tantas quantæ quondam, &c. (de nat. deor. ij. 38.) &, videamus quanta sint quæ

à philosophiâ remedia morbis animorum adhibeantur. Tusc. iv. 27. La voici telle qu’on doit la supposer dans tous les cas pareils, res ita ut cogitemus, &c. res ita ut videamus, &c. comme les verbes cogitemus & videamus sont au subjonctif, je supplée la conjonction ut qui doit amener ce mode ; cette conjonction exige un antécédent qui soit modifié par la proposition incidente ou subjonctive, c’est l’adverbe ita, qui ne peut être que le complément modificatif du verbe principal esto ; je supplée esto à l’impératif, à cause du sens impératif de la phrase, & le sujet de ce verbe est le nom général res.

Ce seroit le même supplément, si le verbe étoit à la troisieme personne dans la phrase prétendue directe. Vendat ædes vir bonus propter aliqua vitia quæ ipse novit, cæteri ignorent pestilentes sint, & habeantur salubres : Ignoretur in omnibus cubiculis apparere serpentes : malè materiatæ, ruinosæ : sed hoc, præter deminum, nemo sciat. Off. iij. 13. Il faut mettre par-tout le même supplément, res esto ita ut.

2°. Ceux de nos grammairiens françois qui établissent une troisieme personne singuliere, & une troisieme personne plurielle dans nos impératifs, sont encore dans la même erreur. Qu’ils y prennent garde, la seconde du singulier & les deux premieres du pluriel ont une forme bien différente des prétendues troisiemes personnes ; fais, faisons, faites ; lis, lisons, lisez ; écoute, écoutons, écoutez, &c. ce sont comunément des personnes de l’indicatif dont on supprime les pronoms personnels ; & cette suppression même est la forme qui constitue l’impératif, voyez Impératif. Mais c’est tout autre chose à la prétendue troisieme personne ; qu’il ou qu’elle fasse, qu’il ou qu’elle lise, qu’il ou qu’elle écoute, au singulier ; qu’ils ou qu’elles fassent, qu’ils ou qu’elles lisent, qu’ils ou qu’elles écoutent, au pluriel ; il y a ici des pronoms personnels, une conjonction que, en un mot, ces deux troisiemes personnes prétendues impératives, sont toujours les mêmes, dit M. Restaut, ch. vj. art. 3. que celles du présent du subjonctif.

Or, je le demande, est-il croyable qu’aucune vûe d’analogie ait pu donner des formations si différentes aux personnes d’un même tems, je ne dis pas par rapport à quelques verbes exceptés, comme chacun sent que cela peut être, mais dans le système entier de la conjugaison françoise ? Ce ne seroit plus analogie, puisque des idées semblables auroient des signes différens, & que des idées différentes y auroient des signes semblables ; ce seroit anomalie & confusion.

Je dis donc que les prétendues troisiemes personnes de l’impératif sont en effet du subjonctif, comme il est évident par la forme constante qu’elles ont, & par la conjonction qui les accompagne toujours : j’ajoute que dans toutes les occasions où elles paroissent employées directement, comme il convient en effet au mode impératif, il y a nécessairement une ellipse, sans le supplément de laquelle il n’est pas possible de rendre de la phrase une bonne raison grammaticale. Qu’il médite beaucoup avant que d’écrire, c’est-à-dire il faut, il est nécessaire, il est convenable, je lui conseille, &c. qu’il médite beaucoup avant que d’écrire : Qu’elles ayent tout préparé quand nous arriverons ; c’est-à-dire, par exemple, je desire ou je veux qu’elles ayent tout préparé.

Mais, dira-t-on, ces supplémens font disparoître le sens impératif que la forme usuelle montre nettement ; donc ils ne rendent pas une juste raison de la phrase. Il me semble au contraire, que c’est marquer bien nettement le sens impératif, que de dire je veux, je desire, je conseille (Voyez Impératif) : & si l’on dit, il faut, il est nécessaire, il est convenable ; qu’est-ce à dire, sinon la loi ordonne, la raison rend nécessaire ou impose la nécessité, la bienséance ou la con-