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l’abus étoit très-grand dans la forme passée, s’ensuit-il que la présente n’en ait aucun ? Et si elle en a, n’est-on pas autorisé à s’en plaindre[1] ? N’est-il pas de l’injustice la plus criante de laisser subsister ces recherches interminables, contre lesquelles le citoyen ne peut jamais assurer sa tranquillité, & d’exiger des arrérages de vingt années, lorsqu’on restreint à deux les répétitions que les parties qui ont trop payé sont en droit de demander ?

« Ce mot de liberté, que chacun interprete ou confirme, admet ou rejette, fait aujourd’hui la base la plus générale des projets, des écrits & des conversations : on en a même fait une sorte de cri de guerre, un signal de combat ; il nous est venu d’Angleterre, & peut-être n’est-ce pas-là un des moindres torts que nous aient fait nos voisins ». Cet étonnant langage, qu’un esclave avili sous un despote de l’Orient auroit de la peine à prononcer, se trouve à la page 186 des doutes. N’est-on pas indigné de tant d’humiliation ? Un roi, le pere de ses peuples, peut-il être plus noblement loué, que lorsque la liberté fait la base des écrits, des projets & des conversations ? C’est l’éloge le plus pur & le plus attendrissant qu’on puisse faire d’un souverain, que de s’entretenir devant lui du plus grand des biens. On ne le prononce pas sous un tyran, ce mot sacré ; il ne vient point de l’Angleterre, la nature l’a gravé dans tous les cœurs ; il est le cri du plus mâle des sentimens. On ne comprend point comment on a pu se permettre, à ce sujet, une sortie contre des livres anglois, qu’on feroit très-bien d’étudier avant d’en hasarder dans sa propre langue.

Par une suite des grandes vues de l’anonyme, il ne s’en fie pas à l’intérêt pour éclairer les hommes sur l’espece de culture & de commerce qu’ils doivent choisir ; il veut qu’on décide à Paris, si ce sont des oliviers qui conviennent à la Provence & des manufactures de soie à la ville de Lyon.

En voilà assez, & peut-être trop, pour indiquer la maniere du contradicteur de M. de M… Il est tems d’abandonner une critique qui ne respire, ni la chaleur de la bienfaisance, ni le courage de la justice, pour s’attacher à effacer ce que l’Encyclopédie offre de pernicieux sous les deux articles ferme, (finance) & financier.

Observations sur les articles ferme, finance, & financier de ce Dictionnaire. « Ferme du roi, finance. Il ne s’agit dans cet article que des droits du roi que l’on est dans l’usage d’affermer ; & sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d’affermer les revenus publics ou de les mettre en régie » ?

Premier principe de M. de Montesquieu. « La régie est l’administration d’un bon pere de famille, qui leve lui-même avec économie & avec ordre, ses revenus ».

Observations de M. P***. Tout se réduit à savoir, si dans la régie il en coûte moins au peuple que dans la ferme ; & si le peuple payant autant d’une façon que de l’autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers. Car s’il arrive dans l’un ou dans l’autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple soit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l’autre ; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l’on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme & la régie ne seront-elles pas également propres à produire l’avantage de l’état, dès

que l’on voudra & que l’on saura bien les gouverner ? Peut-être néanmoins pourroit-on penser avec quelque fondement, que dans le cas d’une bonne administration, il seroit plus facile encore d’arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c’est-à-dire qui prennent soin des intérêts d’autrui.

Quant à l’ordre & à l’économie, ne peut-on pas avec raison imaginer qu’ils sont bien moins observés dans les régies que dans les fermes ; puisqu’ils sont confiés ; savoir, l’ordre à des gens qui n’ont aucun intérêt de le garder dans la perception, l’économie à ceux qui n’ont aucune raison personnelle d’épargner les frais du recouvrement ? C’est une vérité dont l’expérience a fourni plus d’une fois la démonstration.

Réponses. Si de la solution de cette premiere question dépendoit celle de la thèse générale, le principe de M. de Montesquieu auroit bientôt force de loi. Le régime le plus sage ne peut imprimer la perfection à aucun établissement, il ne peut que diminuer à un certain point, le nombre & la grandeur des abus. Laissons donc à la régie & à la ferme ceux dont elles sont susceptibles, & nous serons convaincus que le peuple paye plus dans la seconde que dans la premiere. La négligence ne poursuit ni ne surcharge ; elle est lente, elle oublie ; mais elle ne tourmente pas. Si elle fait perdre, c’est au souverain, qui dans une bonne administration doit compter sur ces pertes légeres en elles mêmes, utiles à plusieurs citoyens, par-là faciles à réparer ; puisqu’elles laissent des moyens dont le gouvernement peut se ressaisir dans des tems orageux. Cette méthode ne peut donc avec son abus, nuire à l’état. Il n’en est pas ainsi de l’exaction ; le petit nombre qui l’exerce est le seul qui en profite : un peuple est écrasé, & le prince ne s’enrichit point. Le royaume sera épuisé, sans que le trésor-royal soit rempli : les gains extraordinaires attaqueront les ressources dans leur principe, & les enfans n’auront, dans les plus pressans besoin de leur pere, que des vœux stériles à lui offrir. Ceux qui connoîtront les hommes & les gouvernemens, avoueront que dans une monarchie, l’ardeur de l’intérêt particulier est bien plus impossible à réprimer, qu’il n’est difficile d’exciter le zele & de s’assurer de l’exactitude de ceux qui prennent soin des intérêts d’autrui. Accordons cependant, que l’un n’est pas plus aisé que l’autre, & il n’en sera pas moins évident que la paresse de la régie est préférable à la cupidité de la ferme.

Tout homme aime l’ordre & l’observe, tant que son intérêt ne s’y oppose point. C’est parce que le régisseur n’en a aucun à la perception, qu’elle sera juste : mais le fermier, dont les richesses augmentent en raison de l’étendue des droits, interprétera, éludera & forcera sans cesse la loi ; seul il multipliera les frais, parce qu’ils déterminent le recouvrement qui est le mobile de sa fortune, & qui est, comme nous l’avons supposé, indifférent au régisseur.

Second principe de M. de Montesquieu. « Par la régie, le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de son peuple ».

Observations. Il l’est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l’amélioration de certaines parties de la recette & par la diminution de la dépense, il se met en état de se relâcher du prix du bail convenu, ou d’accorder des indemnités : les sacrifices qu’il fait alors en faveur de l’agriculture, du commerce & de l’industrie se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d’une autre espece. Mais ces louables opérations ne sont, ni particulieres à la régie, ni étrangeres à la ferme ; elles dépendent dans l’un & dans l’autre cas d’une administration, qui mette

  1. Un ministre auquel un étranger demanderoit pourquoi il n’y a pas au-moins dans la capitale une salle où l’on puisse représenter convenablement les chef-d’œuvres du théatre françois, répondroit-il en disant qu’autrefois une populace d’importuns se mêloit à un sénat romain, qu’Athalie avoit un panier, & que ces grossieretés ridicules sont abolies ?