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qu’une réduction réfléchie de l’intérêt donneroit à une nation sur les autres par les facilités & l’accroissement qu’elle communiqueroit à toutes les branches du commerce.

XIV. Tous les moyens de favoriser la population & l’agriculture, dit un philosophe anglois (M. Hume) sont violens ou inutiles, excepté celui qui prend sa force dans l’intérêt même du propriétaire des fonds.

XV. Le meilleur réglement qu’un souverain pourroit faire pour augmenter le commerce, seroit l’assurance d’un prêt sans intérêt de sommes considérables, à des négocians pour exécuter ou étendre des entreprises auxquelles leurs fortunes ne suffiroient pas. Tel est le moyen avec lequel Henri VII. quoiqu’avare, jetta les fondemens de la puissance de l’Angleterre : mais pour opérer ainsi, il faut avoir des fonds. Le grand principe de l’économie se démontre donc à l’homme d’état toutes les fois qu’il veut déraciner l’abus & commencer les établissemens fructueux.

XVI. Si une compagnie établie chez une nation, exporte son argent, pour acquérir dans des climats éloignés des marchandises qu’elle revient vendre à cette seule nation, elle est certainement nuisible. Si dans un autre royaume, une compagnie de la même espece répete les achats que fait l’autre ; mais que n’en limitant point la vente à ses concitoyens, elle l’étende assez pour remettre dans l’état, par son gain, la quantité d’especes qu’elle lui enleve pour l’emplette, cette compagnie est nulle. Mais, si dans une république qui possede les épiceries de l’Inde, une compagnie, au-lieu de sortir l’argent de sa patrie, lui en rapporte de toutes les parties du monde où elle trafique avec ses propres richesses ; cette compagnie est utile, & on peut ajouter qu’elle est le trésor du gouvernement sous lequel elle travaille.

XVII. Je parts, pour fixer la position de l’Angleterre, du calcul de M. Davenant. Je conviens qu’elle a parmi les puissances le plus grand profit de la navigation, & que son revenu peut monter à onze cens trente millions :

Si on leve un septieme de ce produit, il rendra à peu près 162,000,000.
Profit de la douane 11,600,000

Total 173,600,000.
Déduire pour les frais de régie 5,500,000

Reste net 68,100,000

Examinons maintenant la dépense l’état, suivant les Anglois, doit trois milliards quatre cens cinquante millions ;

l’intérêt à 3 pour , monte à 103,500,000
Les papiers publics reconnoissent une dette cachée de 460,000,000. L’intérêt 13,800,000
Liste civile, c’est-à-dire, dépense ordinaire de l’état 23,000,000
Entretien des troupes 23,000,000
Marine 17,250,000

Total de la dépense 180,550,000

Donc, en tems de paix, la dépense excede la recette de plus de douze millions quatre cens cinquante mille livres ; puisque j’ai compris dans la recette le profit de la douane, qui n’a lieu qu’en tems de guerre, & que l’intérêt qui se paye à 4 pour , n’a été porté qu’à 3. Donc, ce royaume, loin de pouvoir éteindre les capitaux augmentera ses emprunts pour suffire aux intérêts ; donc il sera forcé à une banqueroute générale, s’il ne tire de son sein un revenu bien plus considérable par des moyens extraordinaires.

Si l’on compare à cette situation celle de la France, on verra qu’ayant un revenu de trois milliards deux cens millions, le trésor royal en reçoit un septieme

qui est 457 millions
Sur quoi déduisant les frais des régie, qui, proportion gardée à ceux de l’Angleterre, sont excessifs, puisqu’ils montent au moins à 57

Reste net 400 millions

Les besoins en tems de paix 300
Les intérêts de quatre milliards, à 3 pour 120

Ainsi la dépense excede la recette de vingt millions ; & ce gouvernement n’a ni banqueroute à craindre, ni ressources violentes à mettre en œuvre.

Un meilleur système d’économie suffiroit seul pour apurer en moins de quinze ans la dette nationale. Concluons encore, qu’aucune des deux nations ne peut continuer la guerre sans marcher à sa ruine, surtout si son argent passe à des mains étrangeres ; comme il arrivera quelquefois à la France, & toujours à l’Angleterre, quand elle combattra sur terre[1].

XVIII. Jacques premier, dont l’ardeur pour le despotisme fut si funeste à son fils & à sa postérité, agitoit sans cesse des questions relatives à la puissance absolue. Il demandoit un jour à deux évêques qui dînoient avec lui, si un roi pouvoit, sans autre loi que sa volonté, s’emparer de tout le bien de ses sujets. L’un dit qu’il n’y avoit aucun doute, & que sa majesté pouvoit disposer de tout ce que possédoit son peuple : l’autre voulut éluder la question ; mais presse d’y satisfaire, il répondit : « Je crois que votre majesté peut prendre le bien de mon confrere qui le lui offre ». C’est ainsi que la nation voudroit qu’en usât son maître à l’égard de ces gens qui, partant du même principe que l’un des deux évêques avoit la bassesse d’admettre, imaginent sans cesse de nouveaux impôts, & osent en presser l’établissement : leurs mémoires deviendroient fort rares, si on commençoit par s’emparer de leurs biens, avant de charger les peuples des taxes qu’ils ont inventées.

XIX. On pourroit juger assez surement de la bonne ou mauvaise administration d’un état, par le plus ou le moins de perfection qu’on y auroit donnée aux taxes sur les consommations du luxe. Je ne définis point ici le luxe, que je prends dans l’acception la plus générale. Le système du chevalier Deker sur cet objet, peut fournir à un ministre de très-heureuses parties. On a indiqué un projet pour remplacer à Paris la capitation & le dixieme d’industrie, impôts onéreux & arbitraires, par une taxe sur les domestiques & sur les fenêtres : mais on n’a pas suffisamment développé cette idée. Pour les domestiques, il faudroit accroître l’imposition en raison de leur nombre, de leur nécessité & de leur destination. A l’égard des fenêtres, on devroit aussi observer des proportions entre celles du devant, du premier, de la rue, du quartier ; se régler sur la quantité & peut-être sur la forme. Mais comme on ne mettroit point de taxe, ou qu’il n’y en auroit qu’une très-légere pour les domestiques que la charge du maître rendroit d’une nécessité absolue, on exempteroit aussi les artisans qui ne tirent le jour que par un seul endroit. Voilà une petite branche du luxe imposée sans inconvénient, & même avec avantage, surtout la premiere qui renverroit à la culture des terres & dans les manufactures cette armée d’hommes forts ou adroits, qui surcharge insolemmenut les villes. Eh combien d’autres articles sur lesquels on pourroit détourner des impôts qui ecrasent les fonds !

  1. Quand les calculs énoncés dans cet article ne seroient pas justes, pourvu qu’ils ne s’éloignassent pas du vrai, de façon à présenter des inductions opposées, les raisonnemens que l’on fait conserveroient toujours la même force.