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des magistrats augmentoit dans les nouvelles conquêtes de la république, & dans les accroissemens qu’elle faisoit à son domaine, de même le nombre des sénateurs a dû varier ; & par plusieurs accidens, exposée à des vuides. Le dictateur Silla, lorsque ce corps se trouva comme épuisé par les proscriptions & les guerres civiles, créa 300 membres en une seule fois. Il les prit de l’ordre équestre. Cette augmentation fit probablement monter le nombre entier des sénateurs à environ 500. Il paroît que le sénat s’est maintenu dans cet état jusqu’à la ruine de la liberté par Caïus César ; puisque Cicéron dans un récit qu’il fait d’une affaire particuliere, dit à Atticus, que 415 sénateurs y avoient assisté, ce qu’il appelle le plein sénat.

Les anciens auteurs nous indiquent clairement qu’il étoit nécessaire d’avoir un certain âge pour être sénateur, quoiqu’aucun d’eux ne nous ait précisément marqué quel devoit être cet âge. Il fut fixé par les lois sous le regne de Servius Tullius, à 17 ans pour entrer dans le service militaire ; & chaque citoyen, au rapport de Polybe, étoit obligé de servir dix ans dans les guerres, avant que de pouvoir prétendre à aucune magistrature civile. Ce qui sert à déterminer l’âge auquel on pouvoit demander la questure ou le premier grade des honneurs, c’est-à-dire l’âge de 28 ans ; or comme cette magistrature donnoit entrée dans le sénat, la plus grande partie des savans paroît avoir fixé l’obtention du rang de sénateur à l’âge de 28 ans.

A la vérité quelques écrivains, d’après l’autorité de Dion Cassius, ont pensé que l’âge d’admission dans ce corps étoit de 25 ans ; ne faisant pas attention que Dion ne rapporte ce fait que comme une regle proposée à Auguste par son favori Mécène ; mais à en juger par l’usage de la république en ces derniers tems, l’âge pour être questeur, ainsi que pour être sénateur, étoit de 30 ans accomplis, parce que Cicéron qui déclare dans quelques-unes de ses oraisons, qu’il avoit obtenu les honneurs de la république, sans avoir essuyé aucun refus, chacun de ces honneurs dans l’âge requis par la loi, n’obtint en effet la questure qu’à 30 ans passés ; & lorsque Pompée fut créé consul d’une maniere extraordinaire à l’âge de 36 ans, sans avoir passé par les grades inférieurs, Cicéron observe à cet égard qu’il fut élevé à la plus haute magistrature, avant que les lois lui permissent d’obtenir les moins considérables ; ce qui regarde l’édilité qui étoit le premier emploi, appellé proprement magistrature, & qui ne pouvoit être obtenu qu’après un intervalle de cinq ans entre cette charge & la questure.

Mais l’opinion que nous adoptons, semble confirmée par la disposition de certaines lois, que donnerent en divers tems les gouverneurs de Rome aux nations étrangeres, sur les reglemens de leurs petits sénats. Par exemple, lorsque les Halaisins, peuples de la Sicile, eurent de grandes contestations entr’eux sur l’élection des sénateurs, ils requirent le sénat de Rome de les diriger à cet égard ; & le préteur Caïus Claudius leur envoya des lois & des réglemens convenables. L’un de ces réglemens étoit, que l’on ne pût devenir sénateur avant l’âge de 30 ans, & qu’on ne reçût personne qui exerçât quelque métier, ou qui n’eût une certaine quantité de biens. Scipion prescrivit les mêmes lois au peuple d’Agrigente.

Enfin, Pline fait mentions d’une loi donnée en pareille occasion aux Bythiniens par Pompée le grand. Cette loi défendoit la réception dans le sénat avant l’âge de 30 ans : elle ordonnoit de plus, que tous ceux qui avoient exercé une magistrature, fussent conséquemment admis dans ce corps. Ces divers réglemens indiquent d’une maniere assez claire la source dont ils étoient émanés, & prouvent que le magis-

trat romain avoit naturellement donné aux autres

peuples les usages établis dans la république.

Cicéron prétend que les lois pour régler l’âge des magistrats, n’étoient pas bien anciennes ; qu’on les fit pour mettre un frein à l’ambition demesurée des nobles, & rendre tous les citoyens égaux dans la recherche des honneurs ; & Tite-Live nous apprend que L. Villius, tribun du peuple, fut le premier qui les introduisit, l’an de Rome 573, ce qui lui fit donner le surnom d’annaire. Mais bien du tems avant cette époque, on trouve que ces lois & ces usages avoient lieu à Rome, dans l’enfance même de la république. Par exemple, lorsque les tribuns furent institués, les consuls déclarerent dans le sénat, que dans peu de tems ils corrigeroient la pétulance des jeunes nobles, au moyen d’une loi qu’ils avoient préparée pour régler l’âge des sénateurs.

Il y avoit une autre qualité requise, & regardée comme nécessaire à un sénateur. On exigeoit un fonds de biens considérable pour le maintien de cette dignité, & cette quantité de biens étoit établie par les lois, Mais on ne trouve en aucun endroit le tems de cet établissement, ni à quelle somme ces biens devoient monter. Suétone est le premier des auteurs qui en ait parlé, & qui nous apprend que la quotité des biens étoit fixée à 800 sesterces avant le regne d’Auguste ; ce qui suivant le calcul de la monnoie angloise, monte de six à sept mille liv. Cette somme, ainsi que quelques auteurs l’ont prétendu, ne devoit pas être regardée comme une rente annuelle, mais comme le fonds des biens d’un sénateur, fonds réel, appartenant en lui en propre & estimé ou évalué par les censeurs. Cette quantité de biens paroîtra peut-être trop peu considérable, & on ne la trouvera pas proportionnée au rang & à la dignité d’un sénateur romain. Mais on doit faire attention que c’étoit la moindre quantité de biens qu’on pût avoir pour parvenir à ce grade. En effet, lorsqu’il arrivoit que les sénateurs possédoient moins que cette somme, ils perdoient leur place dans le sénat.

D’ailleurs, quelque peu considérable que paroisse aujourd’hui cette proportion de biens, il est certain qu’elle suffisoit pour maintenir un sénateur convenablement à son rang, sans qu’il fût forcé de s’occuper de quelque profession vile & lucrative, qui lui étoit interdite par la loi. Mais la constitution en elle-même ne paroît pas avoir été bien ancienne, ce qu’on peut aisément se persuader, puisque dans les premiers tems, le principaux magistrats étoient tirés de la charrue. Corn. Rufinus, qui avoit été dictateur & deux fois consul, fut chassé du sénat l’an de Rome 433, par le censeur C. Fabricius, parce qu’on trouva dans sa maison des vases d’argent du poids de dix livres. On ne donnoit donc pas alors dans l’élection d’un sénateur, la préférence à la quantité des biens. Nous voyons en effet Pline se plaindre de la vicissitude des tems, & déplorer le changement qui s’étoit introduit dans le choix des sénateurs, des juges & des magistrats qu’on élisoit, selon le calcul de leurs biens, époque à laquelle on commença de n’avoir plus d’égard au vrai mérite.

Cicéron dans une de ses lettres écrites lors de l’administration de C. César, rend un témoignage assuré de la quotité des biens que devoit avoir un sénateur ; il prie un de ses amis, qui avoit alors du crédit, d’empêcher que certaines terres ne soient enlevées par les soldats à Curtius, qui sans ses biens ne pourroit conserver le rang de sénateur, auquel César l’avoit lui-même élevé.

Ce n’étoit pas assez aux sénateurs d’avoir une certaine quotité de biens ; il falloit encore qu’ils donnassent un exemple de bonnes mœurs à tous les ordres de l’état ; mais indépendamment de cette régularité