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de la chaux, de l’alun, & quelques autres drogues dont on ne parlera pas, l’ignorance & le charlatanisme en ayant introduit l’usage.

Préparation de la lessive servant à purifier le sucre. Après avoir bouché légerement le trou du cuvier, on en garnit le fond avec des herbes & des racines coupées, fort estimées des Raffineurs : sur ce premier lit, on établit une couche de cendre épaisse de quatre doigts, sur laquelle on met une pareille épaisseur de chaux vive : le tout se recouvre avec des herbes, & l’on continue cet ordre jusqu’à ce que le cuvier soit totalement rempli ; alors on y verse de l’eau bouillante, qui après s’être impregnée des sels de la cendre & de la terre absorbante de la chaux, s’écoule par le trou du cuvier dans un vase destiné à la recevoir ; cette eau doit être recohobée plusieurs fois, afin de la bien charger de sels ; comme il y a quelques remarques importantes à faire sur sa composition, on croit devoir les renvoyer à la fin de cet article, pour ne pas interrompre l’ordre qu’on s’est proposé.

Procédé concernant la fabrique des sucres. Le vesou provenant des cannes écrasées au moulin, peut être bien ou mal conditionné, suivant la bonne ou mauvaise combinaison de ses principes constituans ; la nature du terrein où on a planté les cannes, leur degré de maturité, & la saison dans laquelle on a fait la récolte occasionnent des différences notables qu’il est essentiel de bien observer si l’on veut réussir.

C’est à l’inspection du vesou, lorsqu’on l’a fait passer du canot dans la grande chaudiere, que le raffineur décide du plus ou du moins d’ingrédiens qui doivent être employés, & dont la pratique seule indique les doses convenables. Si les principes salins, aqueux, terreux & huileux sont liés dans une juste proportion, le vesou se trouve parfait, & peut être travaillé facilement ; mais si au contraire les principes huileux & aqueux sont mal combinés avec les deux autres, l’acide se trouvant trop développé, le vesou alors doit être verd & gras ; c’est pourquoi il exige dans la chaudiere environ une pinte de cendre & autant de chaux en poudre très-fine bien délayée dans une suffisante quantité du même vesou.

Les vieilles cannes & celles qui ont souffert une grande sécheresse, donnent un suc noirâtre, épais, & comme à demi-cuit par la chaleur du soleil ; ce suc contient peu de principes aqueux, & l’acide n’y est plus sensible, s’étant, pour ainsi dire, neutralisé dans une portion du principe huileux qui s’y rencontre alors par surabondance.

La constitution de ce vesou oblige quelquefois d’y mêler de l’eau claire, & l’on jette dans la chaudiere une pinte de cendre, une chopine de chaux & un peu d’antimoine en poudre mêlé dans la lessive ; la nécessité d’employer cette derniere drogue n’est pas bien démontrée : au surplus on n’en met qu’une quantité si médiocre, qu’elle ne peut pas faire de mal, & on ne s’en sert que dans la fabrication du sucre qu’on veut laisser brut sans le blanchir ensuite. Voyez la remarque à la fin de l’article.

Ces précautions étant prises & le vesou chauffant dans la chaudiere, il faut avant qu’il bouille en enlever exactement toutes les écumes, jusqu’à ce qu’il n’en paroisse plus à la surface ; on le laisse ensuite bouillir pendant une heure, après quoi on le vuide avec des cuillieres dans la seconde chaudiere nommée la propre, ayant soin de le passer au-travers d’un blanchet soutenu de sa caisse percée ; la grande chaudiere se remplit de nouveau vesou, & l’on continue le travail sans interruption.

Le vesou qui a passé dans la propre commençant à bouillir, on y jette un peu de la lessive dont on a parlé, on écume avec soin, & l’on continue l’ébullition jusqu’à ce que la grande chaudiere soit en état

d’être transvasée, alors en faisant usage des cuilleres & du blanchet, le vesou de la propre doit être passé dans le flambeau, ou troisieme chaudiere, pour acquérir un nouveau dégré de purification par la violence du feu & d’un peu de lessive qu’on y met à plusieurs reprises, écumant toujours à chaque fois.

Du flambeau le vesou étant passé dans la quatrieme chaudiere perd son nom & se convertit en sirop par la force de l’ébullition, on continue de le purifier avec un peu de lessive, & on se sert d’une écumoire dont les trous sont étroits.

La batterie ou cinquieme chaudiere étant remplie de ce sirop, & très-violemment échauffée, on y met encore un peu de lessive ; les bouillons montent considérablement, & le sirop pourroit s’épancher par-dessus les bords, si l’on n’avoit soin d’y jetter de tems en tems quelques petits morceaux de beurre ou d’autres matieres grasses en l’élevant avec l’écumoire pour lui donner de l’air. Cette manœuvre répétée fait baisser les bouillons & donne le tems d’écumer, ce qu’il faut faire avec tout le soin possible.

Le sirop approchant du degré de cuisson qu’il doit avoir, & le raffineur se rappellant les phénomenes qu’il a observés dans la grande chaudiere, on verse dans la batterie, s’il en est besoin, une pinte d’eau de chaux dans laquelle on a fait dissoudre une once d’alun, quelquefois même pour mieux dégraisser le sucre, on met dans la chaudiere un peu d’alun en poudre.

C’est à la figure & au mouvement des bouillons qu’on juge si le sirop est suffisamment cuit, & afin de mieux s’en assurer, on en met une goutte sur le pouce ; y joignant l’index ou le doigt du milieu, & les écartant l’un de l’autre, il se forme un filet, dont la rupture plus ou moins nette & prompte, montre le degré de cuisson ; cela s’appelle prendre la cuite, laquelle étant à son juste point, il faut avec une extrême diligence retirer le sirop, crainte qu’il ne brûle ; on le vuide dans le rafraichissoire en le remuant avec la pagaye, après quoi on le laisse reposer ; au bout d’un quart d’heure ou environ, il se forme une croute à la surface, on la brise pour la bien mêler dans le sirop, & on laisse encore reposer le tout sur les habitations, ou l’on se contente de faire le sucre brut, sans avoir intention de le blanchir ; il suffit, au moyen du bec-de-corbin, de transporter le sirop du rafraichissoire dans un grand canot de bois, où après l’avoir remué un peu, on le laisse refroidir au point d’y pouvoir tenir le doigt ; alors le bec-de-corbin sert à le verser dans de grandes bariques ouvertes par le haut, percées d’un trou par le fond, & posées debout sur les soliveaux de la citerne ; le trou de ces bariques doit être bouché d’une canne plantée debout, laquelle venant à se sécher un peu par la chaleur du sucre laisse un passage libre pour l’écoulement du sirop qui n’étant pas condensé fait divorce d’avec la masse du sucre.

Le sucre que l’on veut terrer & blanchir exige d’autres précautions ; on met à chaque chaudiere un ouvrier pour la soigner, & l’on ne met point d’antimoine dans la lessive ; les formes dont a parlé ayant trempé dans de l’eau claire pendant 24 heures, & étant bien nettoyées, on en bouche le trou fort exactement avec un tampon d’étoupes, & on les dispose dans la sucrerie la pointe en bas. Voyez la fig. M dans les Planches. Le tout ainsi préparé, on prend dans le rafraichissoire une quantité suffisante de sirop pour en remplir le bec-de-corbin, cette quantité se partage par portions à-peu-près égales dans toutes les formes, dont le nombre est fixé suivant la capacité de la batterie ; on continue ainsi de charger & de vuider le bec-de-corbin jusqu’à ce que les formes soient totalement pleines de sirop à la