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c’est-à-dire, major sum præ eâ ratione secundùm quam rationem ille homo, cui homini res est itæ ut fortuna possit nocere, est magnus. Major, quam pro re, lætitia (Liv.), c’est-à-dire, lætitia major, præ eâ ratione secundùm quam rationem lætitia debuit esse magna pro re. Cette nécessité de suppléer est toujours la même, jusques dans les phrases où le comparatif semble être employé d’une maniere absolue, comme dans ce vers de Virgile (Æn. I.) : tristior, & lachrimis oculos suffusa nitentes, c’est-à-dire, tristior præ habitu solito.

Ceux qui ne se sont jamais mis en peine d’approfondir les raisons grammaticales du langage, les Grammairiens purement imitatores, ne manqueront pas de s’élever contre ces supplémens, qui leur paroitront des locutions insoutenables & non autorisées par l’usage. Quoique j’aie déjà répondu ailleurs aux scrupules de cette fausse & pitoyable délicatesse, je transcrirai ici une réponse de Périzonius, qui concerne directement l’espece de supplément dont il s’agit ici. (Minerv. III. xiv. not. 7.) horridiora ea sunt sæpe, fateor, sed & idcircò, seu elegantiæ majoris gratiâ, omissa sunt. Nam si uteremur integris semper & plenis locutionibus, quàm maximè incomta & prorsus absona foret latina oratio. Et un peu plus bas : vides quam alienâ ab aurium voluptate & orationis concinnitate sint hæc supplementa ; sed & idcircò etiam proecisa sunt, ut dixi, retentâ tantùm illâ voculâ, in quâ vis transitionis in comparando consistit, sed quæ vis non nisi per illa supplementa explicari, planè & ut oportet, potest.

Je reviens au comparatif, puisque j’ai cette occasion d’en approfondir la nature, & que cela n’a point été fait en son lieu par M. Dumarsais. Si l’adjectif ou l’adverbe comparatif, par la raison qu’il énonce un rapport, suppose nécessairement une comparaison des deux termes ; on peut dire réciproquement que la préposition præ, qui est comparative en soi, suppose pareillement que l’adjectif ou l’adverbe énonce un rapport découvert par la comparaison ; ce rapport est en latin celui de supériorité, comme le seul auquel l’usage ait destiné une terminaison propre, & le seul peut-être auquel il ait été fait attention dans toutes les langues. De-là viennent 1°. ces locutions fréquentes, où la comparaison est très-sensible, quoique l’adjectif ou l’adverbe soit au positif, comme nous avons vu plus haut : præ nobis beatus, præ se formosis, parvam præ eâ quæ conderetur. De-là vient 2°. que les Hébreux ne connoissent que la forme positive des adjectifs & des adverbes, & qu’ils n’expriment leurs comparaisons que comme on le voit dans ces exemples latins, ou par la préposition men ou me qui en est l’abrégé, & qui a la signification extractive de ex ou celle de præ, ou bien par la préposition al qui veut dire super ; c’est ainsi qu’il faut entendre le sens de ce passage (ps. cxvij. 8. 9.) ; bonum est confidere in domino quàm confidere in homine ; bonum est sperare in domino quàm sperare in principibus ; le quàm latin étant ramené à sa valeur analytique, præ eâ ratione secundùm quam rationem bonum est, rend la valeur de la préposition hébraïque, & prouve qu’avec bonum il faut sousentendre magis que les Hébreux n’expriment point ; c’est encore par un hébraïsme semblable qu’il est dit (ps. cxij. 4.) excelsus super omnes gentes dominus, pour excelsior præ omnibus gentibus. De-là vient 3°. que l’on trouve le superlatif même employé dans des phrases comparatives, dont la comparaison est énoncée par une préposition, ou désignée par le régime nécessaire de la préposition, si elle est sousentendue ; ante alios pulcherrimus, famosissima super cæteras, inter omnes maximus, ex omnibus doctissimus, la préposition est exprimée ; quod minimum quidem est omnibus seminibus (Matth. xiij. 32.), la préposition præ est indiquée ici par l’ablatif qui en est le régime nécessaire.

Résumons ce premier argument. On trouve des

phrases comparatives où l’adjectif est au positif ; la comparaison n’y est donc pas exprimée par l’adjectif, c’est uniquement par la préposition : on trouve d’autres phrases où la même préposition comparative est exprimée, ou clairement désignée par son régime nécessaire, quoique l’adjectif soit au comparatif ou au superlatif ; donc dans ces cas là même, l’adjectif n’a aucune signification comparative : j’ai déterminé plus haut en quoi consiste précisément la signification du degré comparatif ; pour celle du superlatif, nous l’examinerons en particulier, quand j’aurai ajouté à ce que je viens de dire, la seconde preuve que j’ai promise d’après Sanctuis, & qui tombe directement sur ce degré.

C’est que l’on rencontre quantité de phrases où ce degré est employé de maniere qu’il n’est pas possible d’y attacher la moindre idée de comparaison, ce qui seroit apparemment impossible, s’il étoit naturellement destiné au sens comparatif. Quand Ciceron par exemple écrit à sa femme Térence : ego sum miserior quam tu quæ es miserrima ; la proposition est sans contredit comparative, & l’adjectif miserior, qui qualifie par un rapport de supériorité, suppose nécessairement cette comparaison, mais sans l’exprimer ; rien ne l’exprime dans cette phrase, elle n’y est qu’indiquée, & pour la rendre sensible il faut en venir à l’analyse, ego sum miserior (præ eâ ratione secundùm) quam (rationem) tu, quæ es miserrima, (es misera) : or il est évident que miserrima n’est pas plus comparatif, ou si l’on veut, pas plus relatif dans quæ es miserrima, que misera ne l’est lui même dans tu es misera : au lieu du tour complexe que Ciceron a donné à cette proposition, il auroit pu la décomposer de cette maniere, où il ne reste pas la moindre trace d’un sens relatif : equidem tu es miserrima ; sed ego sum miserior quam tu ; vous êtes malheureuse, j’en conviens, & très-malheureuse ; cependant je le suis encore plus que vous.

Cette explication là même nous met sur les voies du véritable sens de la forme qu’on a nommée superlative ; c’est une simple extension du sens primitif & fondamental enoncé par la forme positive, mais sans aucune comparaison prochaine ou éloignée, directe ou indirecte ; c’est une expression plus énergique de la même idée ; ou si quelque chose est ajouté à l’idée primitive, c’est une addition réellement indéterminée, parce qu’elle se fait sans comparaison : je dirois donc volontiers que l’adjectif, ou l’adverbe, est pris alors dans un sens ampliatif, plutôt que dans un sens superlatif, parce que cette derniere dénomination, supposant, comme on l’a vu plus haut, une comparaison de termes qui n’a point lieu ici, ne peut qu’occasionner bien des erreurs, & des discussions souvent aussi nuisibles aux progrès de la raison, que l’erreur même.

Que ce soit en effet ce sens ampliatif qui caractérise la forme particuliere dont il est ici question, c’est une vérité attestée par bien des preuves de fait.

1°. La langue hébraïque & ses dialectes n’ont point admis cette forme ; mais elle y est remplacée par un idiotisme qui présente uniquement à l’esprit cette addition ampliative & absolue ; c’est la répétition de l’adjectif même ou de l’adverbe. Cette sorte d’hébraïsme se rencontre fréquemment dans la version vulgate de l’Ecriture, & il est utile d’en être prévenu pour en saisir le sens, malum est, malum est, dicit omnis emptor, (Prov. xx. 17.) c’est-à-dire, pessimum est. Voyez Amen, & Idiotisme. La répétition même du verbe est encore un tour énergique, que l’analyse ne peut rendre que par ce qu’on nomme superlatif : par exemple, fiat ! signifie analytiquement cupio hoc ut res fiat ; mais fiat, fiat ! c’est cupio vehementissimè, &c.

2°. L’idée de cette répétition pour désigner le sens