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Olivier Cromwel faisoit grand cas de M. Sadlerd, & lui offrit par une lettre du 31 Décembre 1649 la place de premier juge de Mounster en Irlande, avec mille livres sterling d’appointemens ; mais il s’excusa de l’accepter. Voici le précis de la lettre de Cromwell, qui peint son caractere, sa conduite, & son attention à nommer les meilleurs sujets à toutes les places du gouvernement, & à les nommer avec des graces irrésistibles. Il n’étoit pas possible qu’un homme de cette vigilance & de cette habileté ne vînt à triompher au-dedans & au-dehors. Lisons sa lettre à Sadler.

« Vous proposer, monsieur, à l’improviste une charge importante, c’est peut-être s’exposer à vous prévenir de maniere à vous empêcher d’y penser du tout, ou à prendre le parti de la négative, quand il s’agira de vous déterminer. Nous avons murement réfléchi à ce que nous vous offrons, comme vous vous en appercevrez par les raisons dont nous appuyons notre demande, & nous vous l’offrons de bon cœur, souhaitant que ce soit Dieu, & non pas vous qui nous réponde.

» Que Dieu nous ait visiblement assisté dans les grandes révolutions arrivées depuis peu parmi nous, c’est une chose que tous les gens de bien sentent, & dont ils lui rendent graces, persuadés qu’il a de plus grandes vues encore : & que comme il a manifesté, par tout ce qui s’est passé, sa sévérité & sa justice, il viendra aussi un tems, où il fera éclater sa grace & sa miséricorde.

» Quant à nous, dont il s’est servi comme d’instrument pour cette œuvre, ce qui cause notre joie, c’est que nous faisons l’œuvre de notre maître ; qu’il nous honore de sa protection ; & que nous vivons dans l’espérance qu’il ramenera la paix, & qu’il nous introduira dans le royaume glorieux & pacifique qu’il a promis.

» Si cette espérance nous console, nous ne sommes pas moins réjouis de voir que les affaires prennent un tour qui donne lieu de croire que l’éternel a dessein de faire sentir à cette pauvre île les effets de sa miséricorde. Nous ne pouvons donc nous dispenser de faire tout ce qui dépend de nous, (en qualité de foible instrument), pour répondre aux vues de Dieu, quand l’occasion s’en présente.

» On avoit coutume d’avoir dans la province de Mounster un premier juge, qui, conjointement avec quelques assesseurs, décidoit des affaires ; c’est cet emploi que je vous prie d’accepter. Comme je crois que rien ne vous conviendra mieux que d’avoir des appointemens fixes, j’ose vous promettre mille livres sterling par an, payables tous les six mois. J’ignore jusqu’où vous regarderez cet emploi comme une vocation ; ce dont je suis sûr, c’est que je n’ai jamais rien fait avec plus de plaisir. Informez-moi cependant le plutôt que vous pourrez de votre résolution. Je me recommande à vos prieres, & suis votre affectionné ami & serviteur ».

O. Cromwell.
Corke, le 31 Décembre 1649.

Selden (Jean) est regardé des étrangers pour un des savans hommes de l’Europe ; mais ils ignorent en général la gloire qu’il s’est acquise dans son pays, en qualité de membre du parlement, & le rôle qu’il y a joué, sans pour cela discontinuer la culture des lettres, & sans que les traverses qu’il essuya en défendant les droits de la nation, aient eu le pouvoir d’ébranler la force de son ame. Il avoit pris pour sa devise ces mots grecs, περὶ παντὸς τὴν ἐλευθερίαν, la liberté sur toutes choses.

Il naquit en 1584, étudia à Oxford, s’y distingua,

& se fit bientôt une grande réputation par les écrits qu’il mit au jour, consécutivement sur divers sujets. En 1621 le roi Jacques I. mécontent du parlement, fit arrêter Selden, avec quelques-uns des membres de la chambre des communes. En 1625, il fut élu député au premier parlement qui se tint sous Charles I. & alors il se déclara nettement contre le duc de Buckingham. Il s’opposa encore fort vivement au parti de la cour en 1627 & 1628.

« Je ne prens pas la parole, dit-il, dans les débats qu’il y eut touchant la liberté des sujets ; je ne prens pas la parole pour alléguer des raisons sur ce point, le plus important qu’on ait jamais agité. Cette liberté, qui est reconnue, je me flatte de tout le monde, aussi bien que des jurisconsultes, a été violée, non sans qu’on se soit plaint ; mais je ne crois pas, que jamais on en ait légitimé la violation, sinon en dernier lieu. Le privilege du habeas corpus a été réclamé ; la cause a été rapportée par ordre du roi ; signification s’est faite de la part du conseil. On a plaidé, on a allégué sept actes parlementaires : tout cela n’a servi de rien ; l’autorité seule a agi, on a décidé, que quiconque est emprisonné par ordre du roi ou du conseil, ne peut être élargi. J’ai toujours vu que dans les affaires graves, on a coutume d’alléguer publiquement les raisons qu’on a d’agir : il s’agit ici d’une affaire où sa majesté & son conseil sont intéressés. Je desire seulement que quelques-uns du conseil nous instruisent de ce qui peut fonder un pouvoir si étendu ».

L’an 1629 Selden se signala de nouveau contre la cour, lorsqu’on agita dans la chambre-basse de Votter, si la saisie des effets des membres du parlement par les officiers de la douane, n’étoit pas une violation de leurs privileges ? L’orateur refusa de proposer la question, en conséquence de la défense du roi. Selden lui dit : « il est étonnant, M. l’orateur, que vous n’osiez faire une proposition lorsque la chambre vous l’ordonne. Ceux qui vous succéderont, pourront ainsi déclarer dans tous les cas, qu’ils ont ordre du roi de ne point faire une proposition ; mais sachez, monsieur, que ce n’est point là remplir votre charge ; nous sommes assemblés ici pour le bien public par ordre du roi, & sous le grand sceau ; & c’est le roi lui-même, qui, séant sur son trone, & en présence des deux chambres, vous a nommé notre orateur ».

Le roi ayant dissout le parlement, Selden fut arrêté, & emprisonné dans la prison du banc du roi, où il courut risque de la vie, à cause de la peste qui regnoit dans le quartier. Il recouvra la liberté quelque tems après ; & le parlement lui donna cinq mille livres sterling pour le dédommager des pertes qu’il avoit faites dans cette occasion.

En 1630, il fut encore emprisonné avec quelques seigneurs, ayant été accusé d’avoir répandu un libelle intitulé propositions pour le service du roi, de brider l’impertinence des parlemens. La naissance de Charles, prince de Galles, engagea le roi à ordonner qu’on mît Selden, & les autres prisonniers, en liberté.

En 1634, il survint une querelle entre l’Angleterre & la Hollande, pour la pêche du hareng sur les côtes de la grande-Bretagne ; Grotius ayant publié en faveur des Hollandois son mare liberum, Selden lui répondit par son mare clausum, seu de dominio maris, libri duo, Londres 1636, in-8°. Cet ouvrage le mit si bien avec la cour, qu’il ne tint qu’à lui de s’élever aux premiers emplois, mais il leur préfera le plaisir de s’appliquer tout entier à l’étude. Le roi lui-même ayant résolut d’ôter les sceaux à M. Littleton, eut quelqu’envie de les donner à Selden ; mais les lords Claredon & Falkland déclarerent à sa majesté, que