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soit moins de faire souffrir au coupable précisément le même mal qu’il a fait, que de lui faire supporter une peine égale, c’est-à-dire, proportionnée à son crime ; & c’est ce que Moïse lui-même semble faire entendre dans le Deutéronome, ch. xxv. où il dit que si les juges voient que celui qui a péché soit digne d’être battu, ils le feront jetter par terre & battre devant eux selon son mesfait, pro mensurâ peccati erit & plagarum modus.

Jésus-Christ prêchant au peuple sur la montagne (suivant saint Matthieu, chap. v.) dit : vous avez entendu que l’on vous a dit œil pour œil, dent pour dent ; mais moi je vous dis de ne point résister au mal ; & que si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, de lui tendre la gauche ; mais il paroît que cette doctrine eut moins pour objet de réformer les peines que la justice temporelle infligeoit, que de réprimer les vengeances particulieres que chacun se croyoit mal-à-propos permises, suivant la loi du talion, n’étant réservé qu’à la justice temporelle de venger les injures qui sont faites à autrui, & à la justice divine de les punir dans l’autre vie.

Il est encore dit dans l’Apocalypse, chap. xiij. que celui qui aura emmené un autre en captivité, ira lui-même ; que celui qui aura occis par le glaive, sera occis de même ; mais ceci se rapporte plutôt à la justice divine qu’à la justice temporelle.

Les Grecs à l’exemple des Juifs, pratiquerent aussi la loi du talion.

Par les lois de Solon, la peine du talion avoit lieu contre celui qui avoit arraché le second œil à un homme qui étoit déja privé de l’usage du premier, & le coupable étoit condamné à perdre les deux yeux.

Aristote écrit que Rhadamante roi de Lycie, fameux dans l’histoire par sa sévérité, fit une loi pour établir la peine du talion qui lui parut des plus justes ; il ajoute que c’étoit aussi la doctrine des Pythagoriciens.

Charondas, natif de la ville de Catane en Sicile, & qui donna des lois aux habitans de la ville de Thurium, rebâtie par les Sybarites dans la grande Grece, y introduisit la loi du talion ; il étoit ordonné : si quis cui oculum eruerit, oculum reo pariter eruito ; mais cette loi fut réformée, au rapport de Diodore de Sicile, à l’occasion d’un homme déja borgne, auquel on avoit crevé le bon œil qui lui restoit, il représenta que le coupable auquel on se contenteroit de crever un œil, seroit moins à plaindre que lui qui étoit totalement privé de la vue ; qu’ainsi la loi du talion n’étoit pas toujours juste.

Les décemvirs qui formerent la loi des 12. tables, prirent quelque chose des lois de Solon par rapport à la peine du talion, dans le cas d’un membre rompu ; ils ordonnerent que la punition seroit semblable à l’offense, à moins que le coupable ne fît un accommodement avec sa partie, si membrum rupit, ni cum eo pacit, talio esto : d’autres lisent, si membrum rupit, ut cum eo pacit, talio esto.

Lorsqu’il s’agissoit seulement d’un os cassé, la peine n’étoit que pécuniaire, ainsi que nous l’apprend Justinien, dans ses institutes, tit. de injur. §. 7. On ne sait pas à quelle somme la peine étoit fixée.

Cette portion de la loi des 12 tables est rappellée par Cicéron, de legibus, Festus, sous le mot talionis, par le jurisconsulte Paul, receptarum sentent. liv. V. tit. 4. & autres jurisconsultes.

Il paroît néanmoins que chez les Romains la loi du talion n’étoit pas suivie dans tous les cas indistinctement ; c’est pourquoi Sextus Cæcilius dans Aulugelle, liv. XX. dit que toutes les injures ne se réparent pas avec 25 as d’airain ; que les injures atroces, comme quand on a rompu un os à un enfant ou à un esclave, sont punies plus séverement, quelquefois même par la loi du talion ; mais avant d’en venir à la vengeance permise par cette loi, on proposoit un

accommodement au coupable ; & s’il refusoit de s’accommoder, il subissoit la peine du talion ; si au contraire il se prêtoit à l’accommodement, l’estimation du dommage se faisoit.

La loi du talion fut encore en usage chez les Romains long-tems après la loi des 12 tables, au-moins dans les cas où elle étoit admise ; en effet, Caton cité par Priscien, liv. VI. parloit encore de son tems de la loi du talion, comme étant alors en vigueur, & qui donnoit même au cousin du blessé le droit de poursuivre la vengeance, si quis membrum rupit, aut os fregit, talione proximus agnatus ulciscitur.

On ne trouve pas cependant que la loi des 12 tables eût étendu le droit de vengeance jusqu’au cousin de l’offensé ; ce qui a fait croire à quelques auteurs, que Caton parloit de cette loi par rapport à quelque autre peuple que les Romains.

Mais l’opinion de Théodore Marsilius, qui est la plus vraissemblable, est que l’usage dont parle Caton, tiroit son origine du droit civil.

Les jurisconsultes romains ont en effet décidé que le plus proche agnat ou cousin du blessé pouvoit poursuivre au nom de son parent, qui étoit souvent trop malade ou trop occupé pour agir lui-même. On chargeoit aussi quelquefois le cousin de la poursuite du crime, de crainte que le blessé emporté par son ressentiment, ne commençât par se venger, sans attendre que le coupable eût accepté ou refusé un accommodement.

Au reste, il y a toute apparence que la peine du talion ne se pratiquoit que bien rarement ; car le coupable ayant le choix de se soustraire à cette peine par un dédommagement pécuniaire, on conçoit aisément que ceux qui étoient dans le cas du talion, aimoient mieux racheter la peine en argent, que de se laisser mutiler ou estropier.

Cette loi ne pouvoit donc avoir lieu que pour les gens absolument misérables, qui n’avoient pas le moyen de se racheter en argent ; encore n’en trouve-t-on pas d’exemple dans les historiens.

Il en est pourtant encore parlé dans le code théodosien, de exhibendis reis, l. III. & au titre de accusationibus, l. tit. quest. 14. on peut voir Jacques Godefroy, sur la loi 7 de ce titre, formule 29.

Ce qui est de certain, c’est que long-tems avant l’empereur Justinien, la loi du talion étoit tombée en désuétude, puisque le droit du préteur appellé jus honorarium, avoit établi que le blessé feroit estimer le mal par le juge ; c’est ce que Justinien nous apprend dans ses institutes, liv. IV. tit. 4. de injur. §. 7 : la peine des injures, dit-il, suivant la loi des 12 tables, pour un membre rompu, étoit le talion, pour un os cassé il y avoit des peines pécuniaires selon la grande pauvreté des anciens ; les interpretes prétendent que ces peines pécuniaires avoient été imposées comme étant alors plus onéreuses.

Justinien observe que dans la suite les préteurs permirent à ceux qui avoient reçu quelque injure, d’estimer le dommage, & que le juge condamnoit le coupable à payer une somme plus ou moins forte, suivant ce qui lui paroissoit convenable : que la peine des injures qui avoit été introduite par la loi des 12. tables, tomba en désuétude que l’on pratiquoit dans les jugemens celle qui avoit été introduite par le droit honoraire des préteurs, suivant lequel l’estimation de l’injure étoit plus ou moins forte, selon la qualité des personnes.

Il y a pourtant certains cas dans lesquels les lois romaines paroissent avoir laissé subsister la peine du talion, comme pour les calomniateurs ; celui qui se trouvoit convaincu d’avoir accusé quelqu’un injustement étoit puni de la même peine qu’auroit subi l’accusé, s’il eût été convaincu du crime qu’on lui imputoit ; il n’y avoit qu’un seul cas où l’accusateur fût