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déclarerent ; elle fut sanglante & dangereuse de part & d’autre.

Les Romains mirent sur pié une grosse armée pour venger les injures de leurs concitoyens. Celle des Tarentins n’étoit pas moindre, & pour être mieux en état de se défendre, ils appellerent à leur secours Pyrrhus, roi des Epirotes. Celui-ci vint en Italie avec tout ce qu’il put ramasser de troupes dans l’Epire, en Thessalie, & en Macédoine. Il battit d’abord les Romains ; il en fut ensuite battu deux fois, & obligé d’abandonner l’Italie ; ce qui entraina la perte de Tarente, qui fut soumise aux Romains.

Tite-Live & Plutarque, dans la vie de Fabius qui s’empara de Tarente, détaillent la grandeur, la puissance, & les richesses de cette ville : ils remarquent que l’on comptoit trente mille esclaves faits prisonniers, & envoyés à Rome, avec quantité d’argent, & quatre-vingt mille livres pesant d’or en monnoie. Ils ajoutent qu’il y avoit de plus un si grand nombre d’étendarts, de tables, & d’autres meubles de prix, qu’on mettoit un si riche butin en parallele avec celui que Marcellus avoit apporté de la ville de Syracuse, à Rome.

On ignore en quel tems & par qui Tarente a été ruinée, ni quand elle a été rebâtie sur le pié qu’on la voit aujourd’hui ; peut-être ce dernier événement arriva-t-il par des habitans de Calabre, chassés de leur patrie, lorsque Totila, roi des Goths, pilla la ville de Rome. Quoi qu’il en soit, Tarente n’eut alors qu’une petite partie de son ancienne grandeur.

Après la décadence de l’empire romain en occident, les Tarentins furent soumis aux empereurs de Constantinople, jusqu’à l’arrivée des Sarrasins en Italie, qui s’emparerent du golfe de Tarente, & conquirent la grande Grece, la Lucanie, la Calabre, la Pouille, une partie de la Campanie, & le pays des Salentins & des Brutiens. Tarente tomba dans la suite sous la domination des princes & rois de Naples, qui honorerent ce pays du titre de principauté. Plusieurs particuliers en ont porté le nom, entre lesquels on compte quelques personnes de la famille des Ursins de Rome. Le dernier prince de Tarente de cette famille, se nommoit Jean, & possedoit de belles qualités.

Aujourd’hui Tarente n’est plus qu’une bicoque, érigée en archevêché : on n’y retrouve aucun vestige de son ancienne splendeur, de son théâtre, de ses bâtimens publics, & de l’embouchure de son fameux port.

Octavien & Antoine, aspirant tous deux à la souveraine puissance, ne manquerent pas de se brouiller souvent. Leur réconciliation étoit toujours peu durable, parce qu’elle n’étoit jamais sincere. Parmi les négociations qui se firent pour les raccommoder, l’histoire nous en marque deux principales, l’une en 714. & l’autre en 717. Cette derniere se fit à Tarente, par les soins d’Octavie, & Mécene qui fut toujours un des entremetteurs, à cause de son attachement pour Octavien, mena Horace avec lui pour l’amuser, & lui fit voir Brindes & Tarente ; c’est pourquoi j’ai tiré de ce poëte la description des agrémens du territoire de cette ville, molle Tarentum. Il n’a pas beaucoup changé, il est toujours gras & fertile. Varron faisoit comme Horace l’éloge de son miel. Pline en vantoit les figues, les noix, les châtaignes, & le sel, qu’il dit surpasser en douceur & en blancheur tous les autres sels d’Italie ; ses porreaux étoient forts, Ovide en parle ainsi :

Fila Tarentini graviter redolentia porri
Edisti, quoties oscula clausa dato.

Mais je me garderai bien d’oublier les hommes célebres, tels qu’Archytas, Lysis, Aristoxene, &c. à qui Tarente a donné le jour. On sait aussi que Py-

thagore y demeura long-tems, & qu’il y fut en très haute

considération.

Archytas, grand philosophe, grand astronome, grand géometre, grand général, grand homme d’état, & ce qui releve encore tous ses talens, citoyen aussi vertueux qu’éclairé, gouverna Tarente sa patrie, en qualité de premier magistrat. Il vérifia cette maxime souvent répétée, que les états sont heureux qui ont de grands hommes pour conducteurs. Archytas fut un modele de conduite & de probité ; on le tira souvent de l’obscurité de son cabinet, pour lui confier les emplois les plus épineux, & il les exerça toujours avec gloire. Il commanda sept fois l’armée de la république, & ne fut jamais vaincu. Il florissoit un peu plus de 400 ans avant J. C. puisqu’il étoit contemporain de Platon, qu’il acheta de Polide, capitaine de vaisseau. Quel esclave, & quel maître ! On trouve dans Diogene Laërce deux lettres, que ces deux grands hommes s’écrivirent.

Archytas est le premier qui a fait servir la connoissance des mathématiques à l’usage de la société, & il n’a été surpassé que par Archimède. Au milieu de ses études, si souvent interrompues par les soins du gouvernement & par le tumulte des armes, il trouva la duplication du cube, & enrichit les méchaniques de la vis & de la poulie ; Fabricius, bib. græc. tom. I. p. 485. vous instruira de quelques autres découvertes qu’on lui attribue.

Ce grand homme écrivit & laissa divers ouvrages de tous genres, de mathématiques, de philosophiques, & de moraux, du-moins à en juger par les titres qui nous en restent & qu’on trouve dans les anciens. Fabricius & Stanley vous en donneront la liste. Porphyre nous a conservé un fragment d’un traité des mathématiques, qu’il assure être le moins suspect des ouvrages attribués à Archytas. Henri Etienne a fait imprimer ce fragment en grec avec d’autres ouvrages ; & M. Jean Gramm, savant Danois, l’a fait réimprimer avec une version latine de sa main, & une dissertation sur Archythas, à Coppenhague, 1707, in-4°. Platon avoit recueilli soigneusement tous les ouvrages d’Archytas, & il avoue généreusement, dans une de ses lettres, qu’il en tira beaucoup de profit.

Cicéron nous a conservé la substance d’un discours d’Archytas contre l’amour de la volupté, qui dans sa durée étouffe toutes les lumieres de l’esprit ; voyez le livre de Senect. cap. xj. & Stanley, hist. philos. part. VIII. p. 821. La conduite d’Archytas répondit à ses écrits moraux, & c’est-là ce qui doit rendre sa mémoire vénérable. Il s’attira l’estime générale par sa modestie, par sa décence, & par le frein qu’il mit à ses passions. Plutarque rapporte que ce grand homme étant de retour de la guerre, où il avoit commandé en qualité de capitaine général, trouva toutes ses terres en friche, & rencontrant son fermier : « il t’en prendroit mal, lui dit-il, si je n’étois dans une grande colere ».

Diogène Laërce parle de quatre autres personnes du nom d’Archytas, & qui tous quatre ont eu de la réputation ; l’un de Mitylene, qui étoit musicien ; un second qui a écrit sur l’agriculture ; le troisieme étoit poëte, & le quatrieme architecte ; il ne faut les confondre les uns ni les autres avec notre Archytas éleve de Pythagore.

Horace nous apprend la particularité qui regarde sa mort. Il périt par un naufrage sur la mer Adriatique, & fut jetté sur les côtes de la Pouille, à Matine, ville maritime des Salentins sur le mer Ionienne, dans le pays qu’on appelle aujourd’hui la terre d’Otrante. Voyez comme en parle le poëte de Vénuse, ode xxviij. liv. I.

« Archytas, vous qui pouviez mesurer la vaste étendue des terres & des mers, & compter le nom-