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nomination de plusque parfait a tous les vices les plus propres à la faire proscrire. 1°. Elle implique contradiction, parce qu’elle suppose le parfait susceptible de plus ou de moins, quoiqu’il n’y ait rien de mieux que ce qui est parfait. 2°. Elle emporte encore une autre supposition également fausse, savoir qu’il y a quelque perfection dans l’antériorité, quoiqu’elle n’en admette ni plus ni moins que la simultanéité & la postériorité. 3°. Ces considérations donnent lieu de croire que les noms des préterits parfaits & plusque parfaits n’ont été introduits, que pour les distinguer du prétendu prétérit imparfait ; mais comme il a été remarqué plus haut que cette dénomination ne peut servir qu’à désigner l’imperfection des idées des premiers nomenclateurs, il faut porter le même jugement des noms de parfait & de plusque-parfait qui ont le même fondement.

Quoi qu’il en soit, ce second prétérit exprime en effet l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque antérieure elle-même à l’acte de la parole ; ainsi quand je dis cænaveram cum intravit, (j’avois soupé lorsqu’il est entré) ; cænaveram, (j’avois soupé), exprime l’antériorité de mon souper à l’égard de l’époque désignée par intravit, (il est entré) ; & cette époque est elle même antérieure au tems où je le dis : cænaveram est donc véritablement un prétérit antérieur simple, ou relatif à une simple époque.

III. En françois, en italien, & en espagnol, on trouve encore un prétérit antérieur périodique, qui est propre à ces langues, & qui differe du précédent par le terme de comparaison, comme le présent antérieur périodique differe du présent antérieur simple ; j’eus été, j’eus loué, j’eus admiré, sont des prétérits antérieurs périodiques ; & pour s’en convaincre, il n’y a qu’à examiner toutes les idées partielles désignées par ces formes des verbes être, louer, admirer, &c.

Quand je dis, par exemple, j’eus soupé hier avant qu’il entrât : il est évident 1°. que j’indique l’antériorité de mon souper, à l’égard de l’entrée dont il est question ; 2°. que cette entrée est elle-même antérieure au tems où je parle, puisqu’elle est annoncée comme simultanée avec le jour d’hier ; 3°. enfin il est certain que l’on ne peut dire j’eus soupé, que pour marquer l’antériorité du souper à l’égard d’une époque prise dans un période antérieur à celui ou l’on parle : il est donc constant que tout verbe, sous cette forme, est au prétérit antérieur périodique.

IV. Enfin nous avons un prétérit postérieur, qui exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque postérieure au tems où l’on parle ; comme fuero, (j’aurai été), laudavero, (j’aurai loué), miratus ero, (j’aurai admiré).

« Le troisieme tems composé, dit encore l’auteur de la grammaire générale (loc. cit.) est celui qui marque l’avenir avec rapport au passé, savoir le futur parfait, comme cænavero (j’aurai soupé) ; par où je marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au-regard d’une autre chose à venir qui la doit suivre ; comme quand j’aurai soupé il entrera : cela veut dire que mon souper qui n’est pas encore venu, sera passé lorsque son entrée, qui n’est pas encore venue, sera présente ».

La prévention pour les noms reçus fait toujours illusion à cet auteur ; il est persuadé que le tems dont il parle est un futur, parce que tous les grammairiens s’accordent à lui donner ce nom : c’est pour cela qu’il dit que ce tems marque l’avenir avec rapport au passé : au-lieu qu’il suit de l’exemple même de la grammaire générale, qu’il marque le passé avec rapport à l’avenir. Quelle est en effet l’intention de celui qui dit, quand j’aurai soupé il entrera ? c’est évidemment de fi-

xer le rapport du tems de son souper, au tems de l’entrée

de celui dont il parle ; cette entrée est l’époque de comparaison, & le souper est annoncé comme antérieur à cette époque ; c’est l’unique destination de la forme que le verbe prend en cette occurrence, & par conséquent cette forme marque réellement l’antériorité à l’égard d’une époque postérieure au tems de la parole, ou, pour me servir des termes de M. Lancelot, mais d’une maniere conséquente à l’observation, elle marque le passé avec rapport à l’avenir.

Une autre erreur de cet écrivain célebre, est de croire que cænavero, (j’aurai soupé), marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au regard d’une autre chose à venir, qui la doit suivre. Cænavero, & tous les tems pareils des autres verbes, n’expriment absolument que le second de ces deux rapports, & loin d’exprimer le premier, il ne le suppose pas même. En voici la preuve dans un raisonnement d’un auteur qu’on n’accusera pas de mal écrire, ou de ne pas sentir la force des termes de notre langue ; c’est M. Pluche.

« Si le tombeau, dit-il (spectacle de la nature, disc. prél. du tom. VIII. pag. 8 & 9.), est pour lui (l’homme) la fin de tout ; le genre humain se divise en deux parties, dont l’une se livre impunément au crime, l’autre s’attache sans fruit à la vertu… les voluptueux & les fourbes… seront ainsi les seules têtes bien montées, & le Créateur, qui a mis tant d’ordre dans le monde corporel, n’aura établi ni regle ni justice dans la nature intelligente, même après lui avoir inspiré une très-haute idée de la regle & de la justice ».

Des le commencement de ce discours, on trouve une époque postérieure, fixée par un fait hypothétique ; si le tombeau est pour l’homme la fin de tout, c’est-à-dire, en termes clairement relatifs à l’avenir, si le tombeau doit être pour l’homme la fin de tout : quand on ajoute ensuite que le Créateur n’aura établi ni regle ni justice, on veut simplement désigner l’antériorité de cet établissement à l’égard de l’époque hypothétique, & il est constant qu’il ne s’agit point ici de rien statuer sur les actes futurs du Créateur ; mais qu’il est question de conclure, d’après ses actes passés, contre les suppositions absurdes qui tendent à anéantir l’idée de la providence. Le verbe aura établi, n’exprime donc en soi aucune futurition, & l’on auroit même pu dire, le Créateur n’a établi ni regle ni justice ; ce qui exclut entierement & incontestablement l’idée d’avenir ; mais on a préféré avec raison le prétérit postérieur, parce qu’il étoit essentiel de rendre sensible la liaison de cette conséquence, avec l’hypothese de la destruction totale de l’homme, que l’on suppose future ; & que rien ne convient mieux pour cela, que le prétérit postérieur, qui exprime essentiellement relation à une époque postérieure.

§. 3. Système des futurs, justifié par les usages des langues. L’idée de simultanéité, celle d’antériorité, & celle de postériorité, se combinent également avec l’idée du terme de comparaison : de-là autant de formes usuelles pour l’expression des futurs, qu’il y en a de généralement reçues pour la distinction des présens & pour celle des prétérits. Nous devons donc trouver un futur indéfini, un futur antérieur, & un futur postérieur.

I. Le futur indéfini doit exprimer la postériorité d’existence avec abstraction de toute époque de comparaison ; & c’est précisément le caractere des tems latins & françois, futurus sum, (je dois être) ; laudaturus sum, (je dois louer) ; miraturus sum, (je dois admirer) ; &c.

Par exemple dans cette phrase, tout homme doit mourir, qui est l’expression d’une vérité morale, confirmée par l’expérience de tous les tems, ces mots doit mourir, expriment la postériorité de la mort,