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xistence, à l’égard d’une époque, ou actuelle, ou antérieure, ou postérieure. Je vais le montrer dans trois exemples, où le même mot françois sera traduit exactement en latin par trois tems différens qui indiqueront sans équivoque l’actualité, l’antériorité, & la postériorité de l’époque envisagée dans le même tems françois.

1°. Quand je parlai hier au chimiste, je ne croyois pas que vous entendissiez ; (audire te non existimabam.)

2°. Je ne crois pas que vous entendissiez hier ce que je vous dis, puisque vous n’avez pas suivi mon conseil ; (audivisse te non existimo.)

3°. Votre surdité étoit si grande, que je ne croyois pas que vous entendissiez jamais ; (ut te unquam auditurum esse non existimarem.)

Dans le premier cas, vous entendissiez est relatif à une époque actuelle, & il est rendu par le présent audire ; dans le second cas, l’époque est antérieure, & vous entendissiez est traduit par le prétérit audivisse ; dans le troisieme enfin, il est rendu par le futur auditurum esse, parce que l’époque est postérieure : ce qui n’empêche pas que dans chacun des trois cas, vous entendissiez n’exprime réellement la simultanéité d’existence à l’égard de l’époque, & ne soit par conséquent un vrai présent.

Ce que je viens d’observer sur le présent antérieur, se vérifieroit de même sur les trois prétérits & les deux futurs antérieurs ; mais il est inutile d’établir par trop d’exemples, ce qui d’ailleurs est connu & avoué de tous les Grammairiens, quoiqu’en d’autres termes. « Le subjonctif, dit l’auteur de la Méthode latine de P. R. (Rem. sur les verbes, ch. II. §. iij.)

marque toujours une signification indépendante & comme suivante de quelque chose : c’est pourquoi dans tous ses tems, il participe souvent de l’avenir ». Je ne sais pas si cet auteur voyoit en effet, dans la dépendance de la signification du subjonctif, l’indétermination des tems de ce mode ; mais il la voyoit du-moins comme un fait, puisqu’il en recherche ici la cause : & cela suffit aux vûes que j’ai en le citant. Vossius, (Anal. III. xv.) est de même avis sur les tems du subjonctif latin ; ainsi que l’abbé Régnier, (Gramm. fr. in-12. pag. 344. in-4. pag. 361.) sur les tems du subjonctif françois.

Mais indépendamment de toutes les autorités, chacun peut aisément vérifier qu’il n’y a pas un seul tems à notre subjonctif, qui ne soit réellement indéfini, quand on les rapporte sur-tout au moment de la parole : & c’est un principe qu’il faut saisir dans toute son étendue, si l’on veut être en état de traduire bien exactement d’une langue dans une autre, & de rendre selon les usages de l’une ce qui est exprimé dans l’autre, sous une forme quelquefois bien différente.

§. V. Des tems de l’infinitif. J’ai déja suffisamment établi ailleurs contre l’opinion de Sanctius & de ses partisans, que la distinction des tems n’est pas moins réelle à l’infinitif qu’aux autres modes. (Voyez Infinitif.) On va voir ici que l’erreur de ces Grammairiens n’est venue que de l’indétermination de l’époque de comparaison, dans chacun de ces tems, qui tous sont essentiellement indéfinis. Il y en a cinq dans l’infinitif de nos verbes françois, dont voici l’exposition systématique.

SYSTÈME DES TEMS DE L’INFINITIF.
I. II. III.
Présent. chanter. arriver. se révolter.
Prétérits positif. avoir chanté. être arrivé ou vée. s’être révolté ou tée.
comparatif. avoir eu chanté. avoir été arrivé ou vée. s’être eu révolté ou tée.
prochain. venir de chanter. venir d’arriver. venir de se révolter.
Futur. devoir chanter. devoir arriver. devoir se révolter.

Je ne donne à aucun de ces tems le nom d’indéfini, parce que cette dénomination convenant à tous, ne sauroit être distinctive pour aucun dans le mode infinitif.

Le présent est indéfini, parce qu’il exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque quelconque. L’homme veut être heureux ; cette maxime d’éternelle vérité, puisqu’elle tient à l’essence de l’homme qui est immuable comme tous les autres, est vraie pour tous les tems ; & l’infinitif être se rapporte ici à toutes les époques. Enfin je puis vous embrasser ; le présent embrasser exprime ici la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque actuelle, comme si l’on disoit, je puis vous embrasser actuellement. Quand je voulus parler ; le présent parler est relatif ici à une époque antérieure au moment de la parole, c’est un présent antérieur. Quand je pourrai sortir ; le présent sortir est ici postérieur, parce qu’il est relatif à une époque postérieure, au moment de la parole.

Après les détails que j’ai donnés sur la distinction des différentes especes de tems en général, je crois pouvoir me dispenser ici de prouver de chacun des tems de l’infinitif, ce que je viens de prouver du présent : tout le monde en fera aisément l’application. Mais je dois faire observer que c’est en effet l’indétermination de l’époque qui a fait penser à Sanctius, que le présent de l’infinitif n’étoit pas un vrai présent,

ni le prétérit un vrai prétérit, que l’un & l’autre étoit de tous les tems. In reliquum, dit-il, (Min. I. xiv.) infiniti verbi tempora confusa sunt, & à verbo personali temporis significationem mutuantur : ut cupio legere seu legisse, præsentis est ; cupivi legere seu legisse, prætiriti ; cupiam legere seu legisse, futuri. In passivâ verò, amari, legi, audiri, sine discrimine omnibus deserviunt ; ut voluit diligi ; vult diligi ; cupiet diligi. Ce grammairien confond évidemment la position de l’époque & la relation d’existence : dans chacun des tems de l’infinitif, l’époque est indéfinie, & en conséquence elle y est envisagée, ou d’une maniere générale, ou d’une maniere particuliere, quelquefois comme actuelle, d’autres fois comme antérieure, & souvent comme postérieure ; c’est ce qu’a vu Sanctius : mais la relation de l’existence à l’époque, qui constitue l’essence des tems, est invariable dans chacun ; c’est toujours la simultanéité pour le présent, l’antériorité pour les prétérits, & la postériorité pour les futurs ; c’est ce que n’a pas distingué le grammairien espagnol.

§. VI. Des tems du participe. Il faut dire la même chose des tems du participe, dont j’ai établi ailleurs la distinction, contre l’opinion du même grammairien & de ses sectateurs. Ainsi je me contenterai de présenter ici le système entier des tems du participe, par rapport à notre langue.