Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaudroit peut-être mieux qu’une partie de l’espace qu’occupent les eaux fût rempli par la terre ferme ; il prévient cette objection, en disant que ce changement priveroit la terre d’une quantité suffisante de pluie & de vapeurs : car si les cavités qui se trouvent dans les mers, lacs, & rivieres, étoient plus profondes, & que cependant elles continssent la même quantité d’eau, l’étrecissement & la diminution de leur surface priveroient la terre d’évaporation, à proportion de cet étrecissement, & causeroient une sécheresse pernicieuse.

On ne sauroit douter que la distribution des eaux & du continent étant l’ouvrage du Créateur, n’ait été faite de la maniere la plus avantageuse pour nos besoins : mais l’équilibre prétendu que M. Derham croit appercevoir entre l’océan méridional & septentrional, & entre les continens d’Asie, d’Afrique, & d’Europe, peut bien être traité de chimere ; en effet, que veut dire l’auteur par cet équilibre ? Prétend-il que l’océan septentrional & méridional sont de la grandeur & de l’étendue nécessaires, pour qu’une de ces mers ne se jette pas dans l’autre ; mais une pareille supposition seroit contre les premiers principes de l’hydrostatique : la même liqueur se met de niveau dans les deux branches d’un syphon, quelque inégalité de grosseur qu’il y ait entre ces branches ; & le fluide contenu dans la petite, a toujours autant de force que le fluide contenu dans la grande, quoiqu’il ait beaucoup moins de poids. Ainsi quand l’océan septentrional, par exemple, ne seroit pas plus grand que la mer Caspienne, il seroit toujours en équilibre avec l’océan méridional, c’est-à-dire, que si ces deux océans communiquoient ensemble, l’eau se mettroit toujours dans l’un & dans l’autre au même niveau, quelque différence qu’il y eût d’ailleurs dans l’étendue des deux.

Le sentiment du docteur Burnet ne paroît pas plus fondé, du-moins à quelques égards : car toutes les observations astronomiques, & les opérations faites dans ces derniers tems, nous apprennent que la figure de la terre est celle d’un sphéroïde applati vers les poles, & assez régulier, & les inégalités qu’il peut y avoir sur sa surface, sont ou totalement insensibles par rapport à la masse du globe, ou celles qui sont le plus considérables, comme les montagnes, sont le reservoir des fontaines & des fleuves, & nous procurent les plus grandes utilités. Ainsi on ne peut point regarder la terre dans l’état où elle est aujourd’hui, comme un ouvrage indigne du Créateur. Ce que M. Burnet ajoute que le déluge peut y avoir causé des bouleversemens, paroît plus vraissemblable. En effet, pour peu qu’on jette les yeux sur une mappemonde, il est difficile de ne pas se persuader qu’il soit arrivé beaucoup de changemens sur la surface du globe terrestre.

La figure des côtes de la Méditerranée & de la mer Noire, les différens détroits qui aboutissent à ces mers, & les îles de l’Archipel, tout cela paroît n’avoir point existé autrefois ; & on est bien tenté de croire que le lieu que la Méditerranée occupe, étoit anciennement un continent dans lequel l’océan s’est précipité, ayant enfoncé les terres, qui séparoient l’Afrique de l’Espagne. Il y a même une ancienne tradition qui rend cela plus que conjectural ; la fable des colomnes d’Hercule paroît n’être autre chose qu’une histoire défigurée de l’irruption de l’océan dans les terres, & alterée par la longueur des tems. Enfin, tout nous porte à croire que la mer a causé sur notre globe plusieurs bouleversemens. Voyez Continent. (O)

Une preuve des irruptions de l’Océan sur les continens, une preuve qu’il a abandonné différens terreins, c’est qu’on ne trouve que très-peu d’îles dans le milieu des grandes mers, & jamais un grand nom-

bre d’îles voisines les unes des autres.

Les mouvemens de la mer sont les principales causes des changemens qui sont arrivés & qui arrivent sur la surface du globe ; mais cette cause n’est pas unique, il y en a beaucoup d’autres moins considérables qui contribuent à ces changemens, les eaux courantes, les fleuves, les ruisseaux, la fonte des neiges, les torrens, les gelées, &c. ont changé considérablement la surface de la terre.

Varenius dit que les fleuves transportent dans la mer une grande quantité de terre, qu’ils déposent à plus ou moins de distance des côtes, en raison de leur rapidité ; ces terres tombent au fond de la mer, & y forment d’abord de petits bancs qui s’augmentent tous les jours, font des écueils, & enfin forment des îles qui deviennent fertiles.

La Loubere, dans son voyage de Siam, dit que les bancs de sable & de terre augmentent tous les jours à l’embouchure des grandes rivieres de l’Asie, par les limons & les sédimens qu’elles y apportent, ensorte que la navigation de ces rivieres devient tous les jours plus difficile, & deviendra un jour impossible ; on peut dire la même chose des grandes rivieres de l’Europe, & sur-tout du Volga, qui a plus de soixante & dix embouchures dans la mer Caspienne, du Danube qui en a sept dans la mer Noire, &c.

Comme il pleut très-rarement en Egypte, l’inondation réguliere du Nil vient des torrens qui y tombent dans l’Ethiopie ; il charrie une très-grande quantité de limon, & ce fleuve a non-seulement apporté sur le terrein de l’Egypte plusieurs milliers de couches annuelles, mais même il a jetté bien avant dans la mer les fondemens d’une alluvion qui pourra former avec le tems un nouveau pays ; car on trouve avec la sonde à plus de vingt lieues de distance de la côte, le limon du Nil au fond de la mer, qui augmente tous les ans. La basse Egypte où est maintenant le Delta, n’étoit autrefois qu’un golfe de la mer.

La ville de Damiette est aujourd’hui éloignée de la mer de plus de dix milles, & du tems de saint Louis, en 1243, c’étoit un port de mer.

Cependant tous les changemens que les fleuves occasionnent sont assez lents, & ne peuvent devenir considérables qu’au bout d’une longue suite d’années ; mais il est arrivé des changemens brusques & subits par les inondations & les tremblemens de terre. Les anciens prêtres Egytiens, 600 ans avant la naissance de Jesus-Christ, assuroient, au rapport de Platon dans le Timée, qu’autrefois il y avoit une grande île auprès des colonnes d’Hercule, plus grande que l’Asie & la Lybie prises ensemble, qu’on appelloit Atlantides ; que cette grande île fut inondée & abymée sous les eaux de la mer après un grand tremblement de terre. Traditur Atheniensis civitas restitisse olim in numeris hostium copiis quæ ex Atlantico mari profectæ, propè cunctam Europam Asiamque obsederunt ; tunc enim fretum illud navigabile, habens in ore & quasi vestibulo ejus insulam quas Herculis columnas cognominant : ferturque insula illa Lybiâ simul & Asiâ major fuisse, per quam ad alias proximas insulas patebat aditus, atque ex insulis ad omnem continentem è conspectu jacentem vero mari vicinam ; sed intrà os ipsum portus angusto sinu traditur pelagus illud verum mare, terra quoque illa verè erat continens, &c. Post hæc ingenti terræ motu jugique diei unius & noctis illuvione factum est, ut terra dehiscens omnes illos bellicosos absorberet, & Atlantis insula sub vasto gurgite mergeretur.

Une troisieme cause de changement sur la surface du globe, sont les vents impétueux ; non-seulement ils forment des dunes & des collines sur les bords de la mer & dans le milieu des continens, mais souvent ils arrêtent & font rebrousser les rivieres, ils changent la direction des fleuves, ils enlevent les terres cultivées, les arbres, ils renversent les mai-