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que celles qui ont été faites dans ce goût n’ont servi qu’à satisfaire les curieux ; on pense qu’il seroit très inutile d’entrer dans les détails de leur composition.

On est en usage à Rouen, & dans quelques autres villes du royaume, de teindre dans une cuve d’inde à froid & sans urine, différente des précédentes, mais on ne peut y teindre que le fil & le coton, & les cuves ne peuvent servir pour les laines. Il est vrai que ces cuves sont très-commodes en ce qu’elles viennent plus promptement que les autres, & qu’elles n’ont aucune mauvaise odeur : car il faut remarquer que si on vouloit teindre des étoffes de laine dans les cuves à l’urine, soit à froid ou à chaud, ces mêmes étoffes, quoique bien dégorgées, conservent toujours une partie de la mauvaise odeur dont l’urine les accompagne, ce qui est différent dans cette derniere qui est composée d’indigo bien pulvérisé, dans trois chopines d’eau-forte des savonniers, qui est une sorte de lessive de soude & de chaux vive, ou d’une dissolution de potasse.

On laisse aux physiciens le soin de donner la théorie de la méchanique invisible de la teinture bleue, dans laquelle il n’est pas possible d’employer les autres bleus dont les peintres se servent, tels que sont le bleu de Prusse, qui tient du genre animal & du genre minéral ; l’azur, qui est une matiere minérale vitrifiée ; l’outre-mer, qui vient d’une pierre dure préparée ; les terres colorées en bleu, &c. toutes ces matieres ne peuvent, sans perdre leur couleur en tout ou en partie, être réduites en atomes assez tenus pour être suspendus dans le liquide salin, qui doit pénétrer les fibres des matieres, soit animales, soit végétales, dont on fabrique les étoffes : car sous ce nom on doit comprendre aussi-bien les toiles de fil & de coton, que ce qui a été tissu en soie ou laine.

On ne connoît donc à présent que-deux plantes qui donnent le bleu après leur préparation ; l’une est le pastel en Languedoc & le vouede en Normandie ; on a dit que leur préparation consiste dans la fermentation continuée presque jusqu’à la putréfaction de toutes les parties de la plante, la racine exceptée ; par conséquent dans un développement de tous leurs principes, dans une nouvelle combinaison & arrangement de ces mêmes principes, d’où il résulte un assemblage de particules infiniment déliées, qui, appliquées sur un sujet quelconque, y réfléchissent la lumiere bien différemment de ce qu’elles feroient si ces mêmes particules étoient encore jointes à celles que la fermentation en a séparées.

L’autre plante est l’anil qu’on cultive dans les Indes orientales & occidentales, & dont on prépare cette fécule qu’on envoie en Europe sous le nom d’inde ou d’indigo. Dans la préparation de cette derniere plante, les Indiens & les Américains, plus industrieux que nous, ont trouvé l’art de séparer les seules parties colorantes de la plante, de toutes les autres parties inutiles ; & les colonies françoises & espagnoles qui les ont imités, en ont fait un objet considérable de commerce.

Du rouge. Le rouge est, comme on l’a déjà dit, une des cinq couleurs matrices ou primitives, reconnues pour telles par les Teinturiers. Dans le bon teint il y a quatre principales sortes de rouge, qui sont la base de toutes les autres. Ces rouges sont, 1°. l’écarlate de graine, connue autrefois sous le nom d’écarlate de France, & aujourd’hui sous celui d’écarlate de Venise ; 2°. l’écarlate à-présent d’usage, ou écarlate couleur de feu, qui se nommoit autrefois écarlate de Hollande, & qui est connue aujourd’hui de tout le monde sous le nom d’écarlate des Gobelins ; 3°. le cramoisi ; 4°. & le rouge de garence. Il y a aussi le demi-écarlate & le demi-cramoisi ; mais ce ne sont que des mélanges des autres rouges, qui ne doivent pas être regardés comme des couleurs par-

ticulieres. Le rouge ou nacarat de bourre étoit permis

autrefois dans le bon teint, mais son peu de solidité l’en a fait bannir par un nouveau réglement.

Les rouges sont dans un cas tout différent des bleus, car la laine ou l’étoffe de laine ne se plonge pas immédiatement dans la teinture, elle reçoit auparavant une préparation qui ne lui donne point de couleur, mais qui la dispose seulement à recevoir celle de l’ingrédient colorant. Cette préparation, comme on l’a déjà dit, se nomme bouillon : elle se fait ordinairement avec des acides, comme eaux sures, alun & tartre, qui peuvent être regardés comme tels, eau-forte, eau régale, &c. on met ces ingrédiens préparans en différente quantité, suivant la couleur & la nuance qu’on veut avoir : on se sert souvent aussi de noix-de-galle, & quelquefois de sels alkalis.

De l’écarlate. On fait différentes sortes d’écarlate, comme on l’a déja dit. L’écarlate de graine, appellée anciennement écarlate de France, & aujourd’hui écarlate de Venise, est faite avec une galle insecte, appellée kermès, qui se cueille en France, & en grande quantité en Espagne du côté d’Alicant & de Valence. Ceux qui l’achetent pour l’envoyer à l’étranger, l’étendent sur des toiles, & ont soin de l’arroser avec du vinaigre pour tuer les vermisseaux qui sont dedans, & qui produisent une poudre rouge qu’on sépare de la coque, après l’avoir laissée sécher en la passant par un tamis.

Lorsqu’il est question de donner le bouillon, on fait bouillir la laine ou étoffe dans une chaudiere une demi-heure environ ; & après l’avoir laissée égoutter, on prépare un bain frais, dans lequel on ajoute à l’eau qui le compose un cinquieme d’eau sure, quatre livres d’alun de Rome pilé grossierement, & deux livres de tartre rouge : on fait bouillir le tout, & aussitôt on y met la laine ou étoffe, que l’on y laisse pendant deux heures, ayant soin de la remuer continuellement, ou l’étoffe avec le tout.

Il faut observer que lorsque le bain où l’on a mis l’alun est prêt à bouillir, il se leve quelquefois très promptement & sort de la chaudiere, si l’on n’a soin d’abattre le bouillon en y jettant un peu d’eau froide.

Lorsque la laine ou étoffe a bouilli pendant deux heures sur le bain, on la leve & on la laisse égoutter ; on exprime la laine légerement, & on l’enferme dans un sac de toile que l’on porte dans un lieu frais, où on la laisse cinq ou six jours, & quelquefois plus long-tems ; à l’égard de l’étoffe on la plie simplement, & on la met égoutter sur un chevalet : cela s’appelle laisser la laine ou étoffe sur le bouillon. Le retard sert à le faire pénétrer davantage, & à augmenter l’action des sels ; parce que comme une partie de la liqueur se dissipe toujours, il est clair que ce qui reste étant plus chargé de parties salines, en devient plus actif, bien entendu qu’il y reste cependant une quantité suffisante d’humidité ; car les sels étant une fois crystallisés & à sec, n’agissent plus.

Après que les laines ou étoffes ont été sur le bouillon pendant cinq à six jours, elles sont en état de recevoir la teinture. On prépare donc un bain frais, suivant la quantité de laine ou étoffe qu’on veut teindre ; & lorsqu’il commence à être tiede, on y jette douze onces de kermès pour chaque livre pesant de laine ou étoffe à teindre, si l’on veut une écarlate bien pleine & bien fournie en couleur. Si le kermès étoit trop vieux ou éventé, il en faudroit davantage & à proportion de sa qualité.

Il faut que la laine ou étoffe bouille pendant une bonne heure, après quoi on la leve pour la laisser égoutter, ayant eu soin de la bien remuer pendant le tems qu’elle étoit dans la chaudiere, après quoi on la porte à la riviere pour la laver. Quelques teinturiers ont soin de passer la laine ou étoffe, avant que