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ce que l’eau surnageante soit aussi décolorée que de l’eau commune. Quand le mucilage cramoisi s’est bien affaissé au fond du vaisseau, on tire l’eau claire avec un syphon, & on verse le reste sur un filtre, pour achever de l’égoutter ; après quoi on le fait sécher au soleil.

Si la premiere opération n’avoit pas tiré tout le teint de la gomme lacque, on répétera tout ce qui a été fait dans la premiere extraction. De cette maniere, on sépare toute la teinture que la gomme lacque peut fournir ; & comme on la fait sécher pour la pulvériser ensuite, on sait ce que cette gomme a rendu, & on est aussi plus sûr des doses qui sont employées dans la teinture des étoffes, que ne le sont ceux qui se contentent de l’évaporer en consistance d’extrait ; parce que le plus compact sera plus colorant que le plus humide.

Il y a une circonstance dans la teinture d’écarlate qui mérite attention : il s’agit de savoir de quelle matiere doit être la chaudiere dont on se sert. Tous les Teinturiers sont partagés sur ce point : on se sert en Languedoc de chaudieres d’étain fin ; il y a à Paris quelques teinturiers qui s’en servent aussi. Cependant M. de Juliene, qui fait des écarlates fort recherchées, ne se sert que de chaudieres de cuivre jaune.

On n’en a pas d’autres non plus dans la manufacture des teintures de S. Denis. On a seulement la précaution de placer un grand réseau de corde, dont les mailles sont assez étroites, dans la chaudiere, afin que l’étoffe n’y touche point. Au-lieu d’un réseau, d’autres se servent d’un grand panier d’osier, écorcé à claire voie, qui est moins commode que le réseau, parce que jusqu’à ce qu’il soit chargé du drap ou de l’étoffe qu’on doit y plonger, il faut un homme de chaque côté de la chaudiere pour appuyer dessus, & l’empêcher de remonter à la surface du bain.

Suivant plusieurs expériences, on a reconnu que le drap ou étoffe teint dans une chaudiere d’étain avoit plus de feu que celui qui étoit teint dans une chaudiere de cuivre, dans laquelle il faut employer un peu plus de composition que dans celle d’étain. Ce qui fait que le drap est plus rude au toucher. Pour éviter ce défaut, les Teinturiers se servent de chaudieres de cuivre, employent un peu de terra merita, drogue de faux teint prohibée par les reglemens aux Teinturiers du grand teint, mais qui donne à l’écarlate cette nuance qui est présentement en mode, c’est-à-dire la couleur de feu que la vue a peine à soutenir. Il est aisé de reconnoître cette sorte de falsification, quand on en a quelque soupçon ; il n’y a qu’à couper un petit échantillon du drap avec des ciseaux, & en regarder la tranche, elle sera d’un beau blanc, s’il n’y a point de terra merita, & elle paroîtra jaune, s’il y en a. L’écarlate légitime ne tranche jamais : on l’appelle légitime, & l’autre falsifiée, parce que celle où l’on a employé le terra merita, est plus sujette que l’autre à changer de couleur à l’air. Mais comme le goût des couleurs varie beaucoup, que les écarlates les plus vives sont présentement à la mode. & que pour satisfaire l’acheteur, il faut qu’elle ait un œil jaune, il vaut beaucoup mieux tolérer l’emploi du terra merita, quoique de faux teint, que de laisser mettre une trop grande quantité de composition pour porter l’écarlate à ce ton de couleur, parce que, dans le dernier cas, le drap s’en trouveroit altéré ; & qu’outre qu’il est d’autant plus tachant à la boue, qu’il a eu plus de composition acide dans sa teinture ; c’est qu’il se déchire plus aisément, parce que les acides roidissent les fibres de la laine & les rendent cassantes.

Il faut encore ajouter, que si l’on se sert d’une chaudiere de cuivre, il faut qu’elle soit d’une propreté infinie. Cependant il vaudroit beaucoup mieux

se servir de chaudieres d’étain ; puisque sans étain on ne peut faire de l’écarlate : une chaudiere de ce métal ne peut que contribuer à sa beauté. Il est vrai que ces chaudieres coûtent trois à quatre mille livres, ce qui est un objet, & dès une premiere opération, elles peuvent être fondues par l’inattention des compagnons. Cependant il n’y a point de doute qu’un tel vaisseau ne soit préférable à tous les autres : il ne s’y fait aucune rouille ; & si l’acide de la liqueur en détache quelques parties, ces parties détachées ne sauroient nuire.

Du rouge de garence. Pour teindre en rouge de garence, le bouillon est à-peu-près le même que pour le kermès ; on le fait toujours avec l’alun & le tartre. Les Teinturiers ne sont pas toujours d’accord sur les proportions ; on pense néanmoins que la meilleure est de mettre cinq onces d’alun & une once de tartre rouge pour chaque livre de laine filée, ou une aune de drap ; on peut mettre environ une douzieme partie d’eau sûre dans le bain du bouillon, & y faire bouillir la laine ou étoffe pendant deux bonnes heures. Si c’est de la laine filée, on la laisse sur son bouillon pendant sept ou huit jours ; & si c’est du drap, on peut achever le quatrieme.

Pour teindre cette laine ou étoffe, on prépare un bain frais ; & lorsque l’eau est chaude à pouvoir y souffrir encore la main, on y jette une demi-livre de la plus belle garence grappe pour chaque livre de laine ou aune de drap, & on a soin de la faire bien pallier & mêler dans la chaudiere avant que de mettre la laine ou étoffe qu’on y tient pendant une heure sans faire bouillir le bain, parce que la couleur seroit terne. Mais pour mieux assurer la teinture, on peut le faire bouillir sur la fin de l’opération seulement pendant quatre ou cinq minutes.

La garence appliquée sur les étoffes, sans les avoir préparées à la recevoir par le bouillon d’alun & du tartre, lui donne à la vérité sa couleur rouge, mais elle la donne mal unie, & de plus elle n’a aucune solidité ; ce sont donc les sels qui en assûrent la teinture, ce qui est commun à toutes les autres couleurs, rouge ou jaune, qui ne peuvent se faire sans un bouillon.

Du jaune. Les nuances de jaune les plus connues dans l’art de la Teinture sont le jaune paillé ou de paille, le jaune pâle, le jaune citron & le jaune naissant.

Pour teindre en jaune, on donne à la laine filée ou à l’étoffe le bouillon ordinaire, dont il a déja été parlé plusieurs fois, c’est-à-dire celui de tartre & d’alun. On met quatre onces d’alun pour chaque livre de laine ou aune de drap. A l’égard du tartre, il suffit d’en mettre une once par livre, au-lieu de deux onces qu’on emploie pour les rouges.

Maniere de teindre le jaune & le verd sur le fil & coton en bon teint. Il faut lessiver le coton dans un bain préparé avec des cendres de bois neuf, ensuite le bien laver & le faire sécher.

Il faut préparer un bain dont l’eau soit prête à bouillir, y faire fondre de l’alun de Rome la pesanteur du quart du poids de matiere qu’on veut travailler.

Il est à observer que si on veut faire du verd, soit sur le fil, soit sur le coton, il faut que la même matiere, après avoir été bien décruée, soit teinte en bleu, des nuances qu’on desire ; qu’il soit ensuite bien dégorgé dans l’eau & bien séché.

On agite ensuite le tout dans le bain d’alun pendant quelques minutes, on couvre la chaudiere, on retire le feu, & on laisse infuser dans cet alunage pendant vingt-quatre heures, après lequel tems on fait sécher sans laver. Il est à remarquer que plus de tems il reste sec, mieux il prend la couleur. On