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attique ; on l’appelloit ainsi, parce que pendant ce mois, on célebroit les fêtes du Soleil nommées thargélies. Le Soleil lui-même s’appelloit θαργήλιος, comme qui diroit θέρων γῆν ἥλιος, le Soleil échauffant la terre. Le vase dans lequel on faisoit cuire les prémices des moissons & des fruits qu’on offroit à ce dieu, se nommoit θάργηλος. Le mois thargélion répondoit au mois d’Avril, selon le P. Pétau ; c’étoit le onzieme mois de l’année athénienne, & il avoit trente jours. (D. J.)

THARSIS, (Géog. sacrée.) lieu maritime dont il est parlé en plusieurs endroits de l’Ecriture sainte, surtout à l’égard des navigations qui furent faites sous le regne de Salomon. Comme on ne trouve le nom de ce lieu dans aucun ancien géographe, les savans ignorent parfaitement sa situation, malgré toutes leurs recherches pour la découvrir.

Josephe, à qui le vieux Testament étoit connu, a suivi la tradition de son tems, qui expliquoit Tharsis par la mer de Tharse. L’idée des navigations de Salomon étoit déjà entierement perdue ; on savoit bien qu’elle s’étoit faite, mais on ne savoit pas où. D’ailleurs Josephe, auteur peu exact, & d’un jugement borné, pour ne rien dire de plus, confond perpétuellement les marchandises d’Ophire & de Tharsis. Si Strabon, Pline, & les autres géographes eussent connu l’endroit nommé Tharsis dans l’Ecriture, nous saurions à quoi nous en tenir ; mais faute de guide, tous les commentateurs de l’Ecriture s’accordent si peu dans leurs opinions conjecturales, qu’on ne sait laquelle préférer.

Les uns, comme le paraphraste chaldaïque, S. Jerome & plusieurs modernes, ont pris avec les septante Tharsis pour la mer en général. Ainsi ils ont entendu par vaisseau de Tharsis tous ceux qui voguent sur la mer quelle qu’elle soit ; c’est une idée commode, & qui mettroit à l’aise, s’il n’étoit constant par plusieurs passages que l’Ecriture entend par Tharsis un lieu particulier, riche en argent, en mines, &c. En effet, si par ce terme de vaisseau de Tharsis on devoit entendre vaisseau de la mer, tous ceux qui voguent sur la mer quelle qu’elle soit, mer Egée, mer Adriatique, mer Noire, seront des vaisseaux de Tharsis ; & quelque part qu’ils aillent, soit du côté de l’orient ou de l’occident, ils seront toujours censés aller à Tharsis, ce qui seroit de la derniere absurdité. Il résulte donc que l’Ecriture appelle vaisseaux de Tharsis, des vaisseaux qui devoient aller à Tharsis, ainsi que la flotte d’Ophir alloit à Ophir.

Plusieurs commentateurs ont cherché Tharsis en Afrique, Bochart dans les Indes, & M. le Grand en Arabie. Enfin quelques modernes ont cru que Tharsis devoit être plutôt dans la Bétique, c’est-à-dire, dans l’Andalousie, ou près du détroit de Gibraltar. Cette derniere opinion est celle de toutes qui paroît la plus raisonnée.

Les Phéniciens ayant une colonie à Carthage, pousserent aisément leur navigation jusqu’au détroit de Gibraltar, où ils eurent des établissemens considérables ; ils sortirent du détroit, & furent les fondateurs de Cadix. Ils bâtirent Tartessus, & y éleverent un temple en l’honneur d’Hercule. Le géographe nomme trois Tartesses, toutes trois dans la Bétique ; l’une, savoir, Carteïa, dans la baie de Gibraltar ; l’autre Gardir ou Gades, au golfe de Cadix ; & l’ancienne Tartessus, fondée par les Phéniciens à l’embouchure du Guadalquivir, entre les deux sorties de ce fleuve ; c’est dans cette troisieme Tartesse que les premiers Phéniciens commerçoient, & c’est celle qui paroît être la Tharsis de l’Ecriture, & qui possédoit des richesses immenses, comme il paroît par un passage d’Aristote dans son livre des merveilles. On dit, rapporte-t-il, que les premiers Phéniciens qui navigerent à Tartessus, y changerent l’huile & au-

tres ordures qu’ils portoient sur leurs vaisseaux, contre

de l’argent, en telle quantité que leurs navires ne pouvoient presque le contenir. Si donc l’on joint la richesse du pays à sa situation, & au commerce qu’y faisoient les Tyriens, on aura moins de peine à regarder Tartessus pour la Tarsis de l’Ecriture. Ajoutez ce passage d’Eusebe, Θαρσεῖς ἐξ τοῦ Ἴβηρες, Tharsis ex quo Iberi, Tarsis de qui sont venus les Ibériens ou les Espagnols.

Dès le tems de Josué les Phéniciens étoient passés en Afrique. Des vaisseaux qui rasoient la côte de Phénicie, & ensuite celle de Cilicie, arrivoient aisément à l’île de Candie, & aux autres îles qui sont au midi de la Morée, de-là ils ne perdoient point la vue des terres pour côtoyer la Grece, la côte méridionale d’Italie & celle de Sicile ; à la pointe occidentale de Sicile, ils touchoient presque aux côtes d’Afrique, où étoit leur colonie de Carthage. De-là en suivant cette côte, ils trouvoient le détroit de Gibraltar : je ne dis rien ici qui ne soit conforme aux témoignages de l’antiquité, & à la plus saine géographie. Ce voyage de Cilicie, de Carthage & du détroit, a pu être appellé le voyage de Tharsis, parce que Tharsis étoit le premier terme : de même nous appellons voyage du Levant, un voyage qui s’étend quelquefois jusqu’à la Perse ; & voyage des Indes, un voyage qui s’étend jusqu’au Tonquin & à la Chine. On ne doit donc pas s’étonner si quelques anciens par Tharsis ont entendu les environs de Tharses, d’autres Carthage, d’autres l’Afrique, sans désigner quelle partie de l’Afrique.

A l’égard de Tharsis en Espagne, la différence qu’il y a entre ce nom & celui de Tartessus, ne doit point faire de peine ; car les Phæniciens peuvent avoir changé le premier ש en π, c’est-à-dire l’s en t, comme on a dit l’Aturie pour l’Assyrie, la Batanée pour le pays de Batan : peut-être aussi n’ont-ils rien changé à ce nom. Polybe rapportant les conditions d’un traité fait entre les Romains & les Carthaginois, dit : il ne sera point permis aux Romains de faire des prises au-delà de Mastia & de Tarseium, ni d’y aller trafiquer, ni d’y bâtir des villes. Ταρσήϊον, Tarseïum, selon Etienne le géographe est une ville auprès des colomnes d’Hercule. Le nom de Tharsis est bien reconnoissable en celui de Tharséium. Aussi Goropius, Hispan. l. V. VI. VII. Grotius, in 111. Reg. c. x. v. 28. Pineda, de rebus Salom. l. IV. c. xiv. & Bochart, Phaleg. l. III. c. vij. n’ont-ils fait aucune difficulté d’assurer que c’étoit le même nom, & le même lieu.

Il n’est pas douteux qu’on ne trouvât dans la Bétique les marchandises dont il est dit que la flotte de Tharsis se chargeoit en revenant. Ces marchandises étoient de l’argent en masse ou en lame, la chrysolite, de l’ivoire, des singes, des perroquets, & des esclaves éthiopiens. La Bétique produisoit de l’argent, comme nous avons vu, & comme elle avoit, selon Pline, des chrysolites du poids de douze livres, on voit bien qu’elle ne devoit pas être stérile de cette sorte de pierres.

Les Phéniciens avoient des établissemens au-delà du détroit de la Nigritie. Ils étoient sur les flottes de Salomon ; ils savoient bien comment lui procurer de l’ivoire, des singes, des negres, & des perroquets. La côte occidentale d’Afrique ne manque point de tout cela, & il n’est pas nécessaire d’aller bien loin, ni jusqu’au coin de la Guinée, pour en trouver ; encore moins de faire le tour de l’Afrique. Les Phéniciens de la Bétique avoient soin de se fournir d’une marchandise qu’ils voyoient que la flotte combinée de Hiram & de Salomon emportoit avec plaisir ; & le terme de trois ans, qui s’écouloit d’un voyage à l’autre, étoit bien assez long pour les amasser au lieu où la flotte abordoit, sans qu’elle eût la peine de les aller chercher ailleurs qu’à Tharsis.