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mais creux & un peu comprimé au côté opposé ; elles ne tombent jamais d’elles-mêmes, parce que l’arbrisseau est toujours verd, & il faut les arracher de force ; elles sont d’une substance moyenne, entre la membraneuse & la charnue, mais de différente grandeur ; les plus grandes sont de deux pouces de long, & ont un peu moins de deux pouces dans leur plus grande largeur : en un mot, lorsqu’elles ont toute leur crue, elles ont parfaitement la substance, la figure, la couleur, & la grandeur du griottier des vergers, que les botanistes nomment cerasus hortensis, fructu acido ; mais lorsqu’elles sont tendres, qui est le tems qu’on les cueille, elles approchent davantage des feuilles de ce qu’on appelle eronymus vulgaris fructu acido, excepté pour la couleur.

Ces feuilles, d’un petit commencement deviennent à-peu-près rondes, puis s’élargissent davantage, & enfin elles finissent en une pointe piquante ; quelques-unes sont de figure ovale, un peu pliées, ondées irrégulierement sur la longueur, enfoncées au milieu, & ayant les extrémités recourbées vers le dos ; elles sont unies des deux côtés, d’un verd sale & obscur, un peu plus clair sur le derriere, où les nerfs étant assez élevés, forment tout autant de sillons du côté opposé.

Elles sont dentelées ; la denture est un peu recourbée, dure, obtuse, & fort pressée, mais les pointes sont de différentes grandeurs ; elles sont traversées au milieu par un nerf fort remarquable, auquel répond du côté opposé un profond sillon, il se partage de chaque côté en six ou sept côtes de différentes longueurs, courbées sur le derriere ; près du bord des feuilles, de petites veines s’étendent entre les côtes traversieres.

Les feuilles, lorsqu’elles sont fraîches, n’ont aucune senteur, & ne sont pas absolument aussi désagréables au goût que l’écorce, quoiqu’elles soient astringentes, & tirant sur l’amer ; elles different beaucoup les unes des autres en substance, en grandeur, & en figure ; ce qui se doit attribuer à leur âge, à leur situation, & à la nature du terroir où l’arbrisseau est planté : de-là vient qu’on ne peut juger de leur grandeur, ni de leur figure, lorsqu’elles sont séchées & portées en Europe. Elles affecteroient la tête si on les prenoit fraîches, parce qu’elles ont quelque chose de narcotique qui attaque les nerfs, & leur cause un tremblement convulsif ; cette mauvaise qualité se perd quand elles sont séchées.

En automne, les branches de cet arbrisseau sont entourées d’un grand nombre de fleurs, qui continuent de croître pendant l’hiver ; elles sortent une à une, ou deux à deux des aîles des feuilles, & ne ressemblent pas mal aux roses sauvages ; elles ont un pouce ou un peu plus de diametre, & sont composées de six pétales, ou feuilles, dont une ou deux se retirent, & n’approchent pas de la grandeur & de la beauté des autres ; ces pétales, ou feuilles, sont rondes & creuses, & tiennent à des pédicules de demi-pouce de long, qui d’un commencement petit & délicat, deviennent insensiblement plus grands ; leur extrémité se termine en un nombre incertain, ordinairement de cinq ou six enveloppes, petites & rondes, qui tiennent lieu de calice à la fleur.

Ces fleurs sont d’un goût désagréable, tirant sur l’amer : on voit au fond de la fleur un grand nombre d’étamines blanches, extrèmement petites, comme dans les roses ; le bout en est jaune, & ne ressemble pas mal à un cœur. Kæmpfer nous assure qu’il a compté deux cens trente de ces étamines dans une seule fleur.

Aux fleurs succédent les fruits en grande abondance ; ils sont d’une, de deux, & plus communément de trois coques, semblables à celles qui contiennent la semence du riem, composées de trois autres co-

ques rondes, de la grosseur des prunes sauvages qui

croissent ensemble à une queue commune, comme à un centre, mais distinguées par trois divisions assez profondes.

Chaque coque contient une gousse, une noisette, & la graine ; la gousse est verte, tirant sur le noir lorsqu’elle est mûre ; elle est d’une substance grasse, membraneuse, & un peu ligneuse, s’entr’ouvrant au-dessus de sa surface, après qu’elle a demeuré une année sur l’arbrisseau, & laissant voir la noisette qui y est renfermée ; cette noisette est presque ronde, si ce n’est du côté où les trois coques se joignent, elle est un peu comprimée ; elle a une écaille mince, un peu dure, polie, de couleur de chataigne, qui étant cassée fait voir un pepin rougeâtre, d’une substance ferme comme celle des avelines, d’un goût douceâtre, assez désagréable au commencement, devenant dans la suite plus amer, comme le fruit du noyau de cerise ; ces pepins contiennent beaucoup d’huile, & rancissent fort aisément, ce qui fait qu’à peine deux entre dix germent lorsqu’ils sont semés. Les Japonois ne font aucun usage ni des fleurs ni des pepins.

Ce n’est pas une chose fort aisée que la récolte du thé : voici de quelle façon elle se fait au Japon. On trouve pour ce travail des ouvriers à la journée, qui n’ont point d’autres métiers ; les feuilles ne doivent point être arrachées à pleines mains, il les faut tirer avec beaucoup de précaution une à une, & quand on n’y est pas stylé, on n’avance pas beaucoup en un jour : on ne les cueille pas toutes en même tems, ordinairement la récolte se fait à deux fois, assez souvent à trois ; dans ce dernier cas, la premiere récolte se fait vers la fin du premier mois de l’année japonoise, c’est-à-dire les premiers jours de Mars ; les feuilles alors n’ont que deux ou trois jours, elles sont en petit nombre, fort tendres, & à peine déployées ; ce sont les plus estimées, & les plus rares ; il n’y a que les princes & les personnes aisées qui puissent en acheter, & c’est pour cette raison qu’on leur donne le nom de thé impérial : on l’appelle aussi fleur de thé.

Le thé impérial, quand il a toute sa préparation, s’appelle ticki tsjaa, c’est-à-dire thé moulu, parce qu’on le prend en poudre dans de l’eau chaude : on lui donne aussi le nom d’udsi tsjaa, & de tacke sacki tsjaa, de quelques endroits particuliers, où il croît ; le plus estimé en Japon, est celui d’Udsi, petite ville assez proche de Méaco. On prétend que le climat y est le plus favorable de tous à cette plante.

Tout le thé qui sert à la cour de l’empereur & dans la famille impériale, doit être cueilli sur une montagne qui est proche de cette ville ; aussi n’est-il pas concevable avec quel soin & quelle précaution on le cultive : un fossé large & profond environne le plan, les arbrisseaux y sont disposés en allées, qu’on ne manque pas un seul jour de balayer : on porte l’attention jusqu’à empêcher qu’aucune ordure ne tombe sur les feuilles ; & lorsque la saison de les cueillir approche, ceux qui doivent y être employés, s’abstiennent de manger du poisson, & de toute autre viande qui n’est pas nette, de peur que leur haleine ne corrompe les feuilles ; outre cela, tant que la récolte dure, il faut qu’ils se lavent deux ou trois fois par jour dans un bain chaud, & dans la riviere ; & malgré tant de précautions pour se tenir propre, il n’est pas permis de toucher les feuilles avec les mains nues, il faut avoir des gants.

Le principal pourvoyeur de la cour impériale pour le thé, a l’inspection sur cette montagne, qui forme un très-beau point de vue ; il y entretient des commis pour veiller à la culture de l’arbrisseau, à la récolte, & à la préparation des feuilles ; & pour empêcher que les bêtes & les hommes ne passent le fossé qui environne la montagne ; pour cette raison on a