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C’étoit où s’habilloient les acteurs, où l’on serroit les décorations, & où étoit placée une partie des machines, dont les anciens avoient de plusieurs sortes dans leurs théatres, ainsi que nous le verrons dans la suite.

Comme ils avoient de trois sortes de pieces, des comiques, des tragiques & des satyriques, ils avoient aussi des décorations de ces trois différens genres. Les tragédies représentoient toujours de grands bâtimens avec des colonnes, des statues, & les autres ornemens convenables ; les comiques représentoient des édifices particuliers, avec des toits & de simples croisées, comme on en voit communément dans les villes ; & les satyriques, quelque maison rustique, avec des arbres, des rochers, & les autres choses qu’on voit d’ordinaire à la campagne.

Ces trois scènes pouvoient se varier de bien des manieres, quoique la disposition en dût être toujours la même en général ; & il falloit qu’elles eussent chacune cinq différentes entrées, trois en face, & deux sur les aîles. L’entrée du milieu étoit toujours celle du principal acteur ; ainsi dans la scène tragique, c’étoit ordinairement la porte d’un palais ; celles qui étoient à droite & à gauche étoient destinées à ceux qui jouoient les seconds rôles ; & les deux autres qui étoient sur les aîles, servoient l’une à ceux qui arrivoient de la campagne, & l’autre à ceux qui venoient du port, ou de la place publique.

C’étoit à-peu-près la même chose dans la scène comique. Le bâtiment le plus considérable étoit au milieu ; celui du côté droit étoit un peu moins élevé, & celui qui étoit à gauche représentoit ordinairement une hôtellerie. Mais dans la satyrique il y avoit toujours un antre au milieu, quelque méchante cabane à droite & à gauche, un vieux temple ruiné, ou quelque bout de paysage.

On ne sait pas bien sur quoi ces décorations étoient peintes ; mais il est certain que la perspective y étoit observée ; car Vitruve remarque que les regles en furent inventées & mises en pratique dès le tems d’Eschyle par un peintre nommé Agatharcus, qui en laissa même un traité, d’où les philosophes Démocrite & Anaxagore tirerent ce qu’ils écrivirent depuis sur ce sujet. Voyez Perspective.

Parlons à-présent des machines, car, comme je l’ai dit, les anciens en avoient de plusieurs sortes dans leurs théatres ; outre celles qui étoient sous les portes des retours, pour introduire d’un côté les dieux des bois & des campagnes, & de l’autre les divinités de la mer, il y en avoit d’autres au-dessus de la scène pour les dieux célestes, & de troisiemes sous le théatre pour les ombres, les furies & les autres divinités infernales. Ces dernieres étoient à-peu-près semblables à celles dont nous nous servons pour ce sujet. Pollux nous apprend que c’étoient des especes de trappes qui élevoient les acteurs au niveau de la scène, & qui redescendoient ensuite sous le théatre par le relâchement des forces qui les avoient fait monter. Ces forces consistoient, comme celles de nos théatres, en des cordes, des roues & des contrepoids. Celles qui étoient sur les portes des retours, étoient des machines tournantes sur elles-mêmes, qui avoient trois différentes faces, & qui se tournoient d’un ou d’autre côté, selon les dieux à qui elles servoient.

De toutes ces machines, il n’y en avoit point dont l’usage fût plus ordinaire, que de celles qui descendoient du ciel dans les dénouemens, & dans lesquelles les dieux venoient pour ainsi dire au secours du poëte. Ces machines avoient assez de rapport avec celles de nos ceintres ; car aux mouvemens près, les usages en étoient les mêmes, & les anciens en avoient comme nous de trois sortes en général ; les unes qui ne descendoient point jusqu’en bas, & qui ne fai-

soient que traverser le théatre ; d’autres dans lesquel

les dieux descendoient jusque sur la scène, & de troisiemes qui servoient à élever ou à soutenir en l’air les personnes qui sembloient voler.

Comme ces dernieres étoient toutes semblables à celles de nos vols, elles étoient sujettes aux mêmes accidens. Nous lisons dans Suétone qu’un acteur qui jouoit le rôle d’Icare, & dont la machine eut malheureusement le même sort, alla tomber près de l’endroit où étoit placé Néron, & couvrit de sang ceux qui étoient autour de lui.

Mais quoique toutes ces machines eussent assez de rapport avec celles de nos ceintres, comme le théatre des anciens avoit toute son étendue en largeur, & que d’ailleurs il n’étoit point couvert, les mouvemens en étoient fort différens ; car au-lieu d’être emportées comme les nôtres par des chassis courans dans des charpentes en plafonds, elles étoient guindées à une espece de grue, dont le cou passoit par-dessus la scène, & qui tournant sur elle-même, pendant que les contre-poids faisoient monter ou descendre ces machines, leur faisoit décrire des courbes composées de son mouvement circulaire, & de leur direction verticale ; c’est-à-dire, une ligne en forme de vis de bas en-haut, ou de-haut en-bas, à celles qui ne faisoient que monter ou descendre d’un côté du théatre à l’autre.

Les contrepoids faisoient aussi décrire différentes demi-ellipses aux machines, qui après être descendues d’un côté jusqu’au milieu du théatre, remontoient de l’autre jusqu’au dessus de la scène, d’où elles étoient toutes rappellées dans un endroit du postcénium, où leurs mouvemens étoient placés. Toutes ces machines avoient différentes formes & différens noms, suivant leurs usages ; mais c’est un détail qui ne pourroit manquer d’ennuyer les lecteurs.

Quant aux changemens des théatres, Servius nous apprend qu’ils se faisoient ou par des feuilles tournantes, qui changeoient en un instant la face de la scène, ou par des chassis qui se tiroient de part & d’autre, comme ceux de nos théatres. Mais comme il ajoute qu’on levoit la toile à chacun de ces changemens, il y a bien de l’apparence qu’ils ne se faisoient pas promptement.

D’ailleurs, comme les aîles de la scène sur laquelle la toile portoit, n’avançoient que de la huitieme partie de sa longueur, les décorations qui tournoient derriere la toile, ne pouvoient avoir au plus que cette largeur pour leur circonférence. Ainsi il falloit qu’il y en eût au moins dix feuilles sur la scène, huit de face, & deux en aîles ; & comme chacune de ces feuilles devoit fournir trois changemens, il falloit nécessairement qu’elles fussent doubles, & disposées de maniere qu’en demeurant pliées, elles formassent une des trois scènes ; & qu’en se retournant ensuite les unes sur les autres, de droite à gauche, ou de gauche à droite, elles formassent les deux : ce qui ne peut se faire qu’en portant de deux en deux sur un point fixe commun, c’est-à-dire en tournant toutes les dix sur cinq pivots placés sous les trois portes de la scène, & dans les deux angles de ses retours.

Comme il n’y avoit que les portiques & le bâtiment de la scène qui fussent couverts, on étoit obligé de tendre sur le reste du théatre, des voiles soutenues par des mâts & par des cordages, pour défendre les spectateurs de l’ardeur du soleil. Mais comme ces voiles n’empêchoient pas la chaleur, causée par la transpiration & les haleines d’une si nombreuse assemblée, les anciens avoient soin de la tempérer par une espece de pluie, dont ils faisoient monter l’eau jusqu’au dessus des portiques, & qui retombant en forme de rosée, par une infinité de tuyaux cachés dans les statues qui regnoient autour du théatre, ser-